Le Fabuleux Destin de Amélie Poulain (2001) de Jean-Pierre Jeunet
Après deux succès aussi singuliers que "Delicatessen" (1991) et "La Cité des Enfants Perdus" (1995) co-réalisés avec Marc Caro, Jean-Pierre Jeunet accepte d'assumer le blockbuster "Alien la Résurrection" (1997) et part à Hollywood. Si l'aventure est merveilleuse dixit le cinéaste, la machine hollywoodienne donne envie au réalisateur français de revenir à quelque chose de plus "petit". Il reprend donc un projet à peine ébauché et s'inspire fortement de deux courts-métrages, "Lucille et le Photomaton" (1993) de Sébastien Nuzzo et "Agathe tricote" (1998) de Catherine Lecoq. Le réalisateur-scénariste co-écrit son scénario avec Guillaume Laurant, dialoguiste sur "La Cité des Enfants Perdus" (1995) et qui poursuivront ensuite leur collaboration, entre temps le scénariste écrira aussi pour "Effroyables Jardins" (2003) de Jean Becker, "Enfermés Dehors" (2006) de et avec Albert Dupontel ou "L'Odeur de la Mandarine" (2015) de Gilles Legrand. Malgré la déception d'être absent du Festival de Cannes (Gilles Jacob trouva le film "inintéressant" !) le film est un succès populaire, critique et public engrangeant pour un budget de 11,7 millions d'euros pas moins de 174 millions de dollars au box-office mondial dont plus de 8,6 millions d'entrées France avec, en prime, quatre Césars dont meilleur film et meilleur réalisateur. Multiprimé à travers le monde, désormais le film est classé dans les 1000 meilleurs films du New-York Times, dans les 50 meilleures comédies romantiques de tous les temps par le magazine Rolling Stone, dans le top 250 du site IMDB... Amélie est serveuse dans un bar de Montmartre et passe son temps à observer les gens. Seule elle se met en tête de faire le bien autour d'elle et se fixe donc un objectif, celui de rendre heureux ceux qui l'entourent. Mais dans sa quête du bonheur il y a aussi le sien, à savoir un jeune homme étrange qui se passionne pour les photomatons...
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Au départ, Jean-Pierre Jeunet avait songé à la britannique Emily Watson mais elle a dû se retirer à cause d'un planning incompatible avec "Gosford Park" (2001) de Robert Altman. Après le refus de Vanessa Paradis le cinéaste tombe sur l'affiche du film "Vénus Beauté" (Institut)" (1999) de Tonie Marshall : "J'ai découvert Audrey Tautou avec ses grands yeux sombres, un éclat d'innocence. C'était une évidence." Ainsi le rôle titre est incarné par Audrey Tautou qui jouait à la même période dans "Le Battement d'Aile du Papillon" (2001) de Laurent Firode qui fut vendu pour raison marketing dans certains pays d'Asie sous le titre de "Amélie 2" ! Le jeune passionné de photomaton est joué par Mathieu Kassovitz qui était apparu sans être crédité dans "La Cité des Enfants Perdus" (1995) et qui retrouvera dans "Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre" (2002) de et avec Alain Chabat son partenaire Djamel Debbouze remarqué auparavant dans "Le Ciel, les Oiseaux et... ta Mère !" (1999) de Djamel Bensalah. Citons ensuite Dominique Pinon acteur fétiche de Jeunet sur tous ses films depuis son court métrage "Foutaises" (1990), retrouvant ainsi Audrey Tautou juste après dans "Un Long Dimanche de Fiançaille" (2004) dans lequel jouera aussi Rufus qui était également dans "Delicatessen" (1991) et "La Cité des Enfants Perdus" (1995), retrouvant aussi après ce dernier Lorella Cravotta et Serge Merlin remarqué surtout dans "Samson" (1961) et "Danton" (1982) tous deux de Andrzej Wajda, puis n'oublions pas ceux qui retrouveront Jeunet et Audrey Tautou dans "Un Long Dimanche de Fiançaille" (2004) avec Ticky Holgado dont ce sera le dernier film, Clotilde Mollet qui retrouve Mathieu Kassovitz après "Un Héros très Discret" (1995) de Jacques Audiard, Michel Robin vu entre autre dans "La Traque" (1975) de Serge Leroy ou "Les Enfants du Siècle" (1999) de Diane Kurys, puis André Dussolier ici le narrateur alors que la même année il joue dans "La Chambre des Officiers" (2001) de François Dupeyron, et il retrouvera encore Jeunet dans "Micmac à Tire-Larigot" (2009) dans lequel il retrouvera aussi Yolande Moreau, Urbain Cancelier vu notamment dans "Ridicule" (1996) de Patrice Leconte ou "Le Bossu" (1997) de Philippe De Broca, puis citons encore Isabelle Nanty remarquée dans "Tatie Danielle" (1990) et "Le Bonheur est dans le Pré" (1995) tous deux de Etienne Chatiliez et retrouvera dans "Big Bug" (2022) de Jean-Pierre Jeunet ses partenaires Claude Perron, André Dussolier et Dominique Pinon. Citons encore Claire Maurier vue dans "Les 400 Coups" (1959) de François Truffaut, "La Cuisine au Beurre" (1963) de Gilles Grangier ou "La Fiancée du Pirate" (1969) de Nelly Kaplan, Artus de Penguern qui connaît un joli succès personnel au même moment avec son propre film "Grégoire Moulin contre l'Humanité" (2001), Maurice Bénichou qui s'offre un peu de fantaisie alors en pleine période Michael Haneke avec "Code Inconnu" (2000), "Le Temps du Loup" (2002) et "Caché" (2004), puis enfin n'oublions pas Armelle vue dans "Bimboland" (1998) de Ariel Zeitoun ou "Jet Set" (2000) de Fabien Onteniente... Avec un casting de "gueules" qui peuplent de seconds rôles succulents Jeunet offre un Paris carte postale idéale, surtout un Montmartre digne de la grande époque que les couleurs vives habillent des plus beaux atours. Un déluge de tons en vert, jaune et rouge, un choix esthétique inspiré par l'artiste brésilien Juarez Machado. Fable moderne dans la forme et le style le cinéaste instille pourtant de nombreuses références qui laissent l'histoire ancrée dans la réalité notamment et surtout par divers clins d'oeil artistiques ou culturels, du gospel de Rosetta Tharpe à un enterrement qui s'avère les images d'archives des funérailles de Sarah Bernhardt en passant par une course cycliste menée par un cheval, le tableau d'Auguste Renoir ou le film "Jules et Jim" (1961) de François Truffaut, on pourrait même rappeler que la mort accidentelle de la mère de Amélie qui paraît si surréaliste est en fait tiré d'un fait divers réel survenu en 1993.
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Ce qui rend le film unique est qu'il est dans l'équilibre parfait entre mélancolie et fantaisie, où comment sous couvert de couleurs chatoyantes et de lubbies pleine d'empathie et d'espoir de Amélie on croit à une fable joyeuse et moderne dans un Montmartre de carte postale. Alors qu'en fait, à y regarder de plus près la quête du bonheur est loin d'être facile. Amélie elle-même n'as pas eu une enfance des plus heureuses, adultes elle est aussi seule que la plupart de ceux qu'elles souhaitent aider. Il y aurait presque un trop plein de bons sentiments mais là aussi le cinéaste évite l'écueil du conte disney, certains personnages restent au pire abjects, au mieux têtes à claques, et même Amélie/Tautou n'est pas si vertueuse n'hésitant pas à faire sa vengeuse secrète, ce qui correspond aussi à son manque de courage, même en amour. Alors que Amélie effectue ses petites missions du bonheur il y a pourtant le petit jeu du chat et de la souris qui reste aussi adorable qu'énigmatique. L'équilibre entre les sous-intrigues et la romance principale est une merveille d'écriture. Et que dire de cette musique, signée de Yann Tiersen, envoûtante et empreinte du bonheur qui se dessine au fil du récit. Le scénario est aussi original que vivant, un montage au diapason et un évident plaisir de faire plaisir. Le fond rejoint la forme et vice versa. Loin d'être une pure comédie ce film est avant un conte moderne, sans niaiserie, avec une douce mélancolie et un optimisme rare. Jeunet signe-là son meilleur film car il est unique et original. Un grand film à voir, revoir et à conseiller.
Note :