La fille inconnue (2016) de frères Dardennes
Le retour des frères Dardennes s'est encore effectué via leur présentation au Festival de Cannes où, cette fois, l'accueil fut moins dithyrambique qu'à l'accoutumée. Luc et Jean-Pierre Dardennes sont toujours adeptes du cinéma épuré, quasi documentaire, filmé à hauteur d'homme (de femme plutôt !), caméra à l'épaule le plus souvent en 50mm (au plus près du regard humain) et sur des sujets très sociaux les rapprochant sur ce point d'un certain Ken Loach qui lui, a raflé sa seconde Palme d'Or cette année avec son "I, Daniel Blake" (2016). Cette fois leur héroïne n'est pas ouvrière, simple employée ou même à la recherche d'un emploi mais une jeune médecin coincée, engoncée dans un professionnalisme tout scolaire, tout en logique dans un sens. En effet, le docteur Jenny Davin est interprétée par l'actrice Adèle Haenel âgée de 27 ans, soit l'âge d'un médecin débutant après ces 9 années d'études. Le premier soucis se présente d'ailleurs un peu là : on a bien du mal à y croire. L'actrice, qui est en pleine ascension après son César mérité pour l'excellent "Les Combattants" (2014) de Thomas Cailley, semble un peu trop dirigée et manque de naturel. Tout va bien hors médecine, elle est impeccable d'émotion retenue mais dès qu'on se trouve dans les scènes "médicales" elle est comme une débutante timide et peu sûre d'elle, peu aidée il est vrai par des dialogues qui manquent de naturel, récités par cœur comme dans une cour d'école avec jeu de rôle.
On ne peut que penser au très bon "Médecin de campagne" (2015) de Thomas Litli, à la différence près que Cluzet incarnait un médecin et que Adèle Haenel joue comme en répétition voire, peut-être, joue comme annihilée par la directeur d'acteur des frères réalisateurs-scénaristes. De plus, il semblerait que le film soit truffé d'erreurs médicales et judiciaires. Je ne développerai pas plus le côté médical ne m'y connaissant pas franchement (par contre on peut s'étonner qu'un étudiant en médecine dans sa 5ème année se bloque devant une simple crise d'épilepsie) mais au niveau policier il y a effectivement des invraisemblances (révélation des résultats de l'autopsie et par téléphone !, la scène du crime libérée de toute contrainte judiciaire, ...). Et pourtant quelle belle histoire (encore) les Dardennes n'avaient-ils pas entre les mains ?! En effet, placer une jeune femme médecin dont on ne connaît rien dans une position inconfortable de responsable mais pas coupable, mais assez pour être hantée et accablée par le remord. Le choix du médecin est judicieux, le parallèle entre le soigneur du corps des autres qui tente alors de soigner son âme. Outre les "vieux" fidèles que sont Jérémie Rénier, Olivier Gourmet et Fabrizio Rongione (tous plus de 4-5 films chacun avec les Dardennes) c'est donc Adèle Haenel qui porte le film. À l'instar de leurs deux derniers films, il semblerait donc que les réalisateurs belges délaissent leur talent de découvreur de talent pour des actrices de premiers plans comme "Le gamin au vélo" (2011) avec Cécile de France et "Deux jours une nuit" (2014) avec Marion Cotillard. Si la perte de talent depuis est encore à débattre, il est amusant de remarquer que ce choix (connues contre inconnues) coïncide aussi avec le fait que les Dardennes aient pris de plus en plus d'options en tant que producteurs à part entière dans d'autres productions indépendantes... À suivre... En conclusion "La fille inconnue" est un film intéressant et prenant mais qui pêche par trop d'inexactitudes (médicales et judiciaires) symptomatiques d'un personnage principal auquel on a bien du mal à croire dès qu'il s'agit des scènes techniques médicales. Une déception donc pour ce qui est sans doute le film le moins "précis" du duo belge.
Note :