La Favorite (2019) de Yorgos Lanthimos
Le producteur-réalisateur grec Yorgos Lanthimos se façonne une carrière exemplaire, mine de rien, doucement mais sûrement. Après des premiers films grecs dont le remarqué "Canine" (2009) il a su se faire une place particulière dans le cinéma mondial avec les jolis succès "The Lobster" (2015) et "Mise à Mort du Cerf Sacré" (2017) bien aidé par le Festival de Cannes où il remporte des prix pour chacun des films sus-cités... Cette fois il quitte le monde "contemporain" pour un film en costume, un drame historique sur la guerre fratricide entre les deux favorites de la Reine d'Angleterre Anne Stuart. En effet, le film raconte ce qu'on pourrait appeler la guerre de succession à la faveur de la Reine, entre Sarah Churchill et Abigail Masham... Ce projet date d'un vingtaine d'année, mais après plusieurs années d'écriture c'est après avoir vu "Canine" que les producteurs ont pensé au réalisateur grec pour mener à bien le film. Il a fallu ensuite 4 ans pour finaliser et peaufiner les dialogues surtout. Pour ce projet le cinéaste retrouve son producteur mais aussi une partie de son casting. Pour les trois rôles principaux seule Emma Stone est néophyte de l'univers de Lanthimos. La star de "La La Land" (2017) de Damine Chazelle a de surcroît jamais joué dans un film en costume, l'époque la plus ancienne qu'elle a visité se résume au film "Gangster Squad" (2013) de Ruben Fleischer. Les deux autres par contre se retrouvent après "The Lobster", Olivia Colman vue dans l'excellent "Tyrannosaur" (2012) de Paddy Considine et qui a déjà incarné des reines dans "Week-end Royal" (2013) de Roger Michell et dans la série TV "The Crown", puis Rachel Weisz vue en toge dans "Agora" (2009) de Alejandro Amenabar et qui partage un autre point commun avec sa partenaire ayant joué dans "My Cousin Rachel" (2017) du même Roger Michell.
Pour l'anecdote, Rachel Weisz a accepté le rôle après les refus de Kate Winslet et Cate Blanchett. Chez les hommes, de seconds rôles pour Nicholas Hoult plutôt discret depuis quelques temps, se résumant à un caméo dans "Deadpool 2" (2018) de David Leitch où il reprend son rôle du Fauve issu de la saga "X-Men", et on remarquera Joe Alwyn la révélation du film "Un Jour dans la vie de Billy Lynn" (2016) de Ang Lee... On suit donc un pan d'Histoire, Anne est Reine depuis 1702 et sa favorite Sarah est une amie depuis près de 30 ans, c'est alors que Sarah fait entrer sa cousine Abigail à la cour en 1704. Sarah, dominatrice, cultivée, volubile et charmeuse ne s'attendait pas à ce que sa jeune cousine, Abigail, plus effacée mais flatteuse s'impose de plus en plus dans le coeur de la Reine. Outre une guerre fratricide et féminine il ne faut pas omettre la dimension politique "intra-familiale", la Reine Anne étant proche du partie Tories (proche de l'église et pour la Paix) alors que Sarah est du partie Whigs (pour la poursuite de la guerre). Dernière des Stuart elle ne laisse aucun héritier malgré 17 grossesses, Anne est une Reine que beaucoup considère comme faible et influençable... Si les scénaristes ont beaucoup étudié la correspondance des protagonistes pour écrire le scénario et enrichir cette page peu connue de l'Histoire il y a pourtant des libertés prises ; par exemple les lapins, le lesbianisme, l'empoisonnement ainsi qu'une chronologie chamboulée... Pour les lapins, c'est un détail (les lapins étaient considérés au pire comme des nuisibles au mieux comme de la nourriture) mais ça reste judicieux pour appuyer la détresse émotionnelle et psychologique de la Reine. Le lesbianisme est la matérialisation d'un simple fantasme (la grande majorité des historiens ne valident pas ces spéculations) qui ajoute de la puissance aux simples liens d'amitié. L'empoisonnement est plus problématique (car faux !), mais sur le fond ça ne choque pas au vu des moeurs de l'époque. La chronologie est vraiment un soucis par contre, la Paix et la Reine surviennent en 1714, la disgrâce de Sarah vers 1710-1711 mais le film suggère que la Paix est obtenue bien avant (quelques années) qu'arrive la mort de la Reine. On apprécie par contre les coulisses du pouvoir, la lutte entre Tories et Whigs qui n'a pas été anodin dans la disgrâce de Sarah Churchill, Abigail n'étant finalement qu'une goutte d'eau...

Mais la reconstitution historique de l'ensemble est sublime, tournant en lumière naturel et appuyant sur le baroque de l'époque, autant par la musique que par l'image en passant du plan large souvent en contre-plongée pour donner de l'ampleur et de la flamboyance. A cela le film se place sur la lignée du chef d'oeuvre "Barry Lyndon" (1975) de Stanley Kubrick. On notera un fait inattendu, que les actrices jouent quasi sans maquillage ni artifice en contraste avec leurs homologues masculins comme l'explique la Chef maquilleuse Nadia Stacey : "C'est probablement la seule période historique où les hommes étaient beaucoup plus parés que les femmes, nous avons tenu à le souligner."... Des dialogues ciselés pour des joutes verbales aiguisées comme des couperets, de la manipulation politique et émotionnelle passant par un humour noir et un cynisme rarement vu, une perversité omniprésente aussi jouissive que tragique, le tout porté par un trio d'actrices époustouflantes. Ce film entre drame historique et thriller psychologique est un grand film qui ne pêche que par quelques libertés prises avec les faits. La beauté formelle sert merveilleusement un fond vénéneux et anxiogène. Yorgos Lanthimos signe là son plus grand film, un film au titre prémonitoire puisqu'il est justement un des favoris aux prochains Oscars avec pas moins de 10 nominations (ex-aequo avec "Roma" de Alfonso Cuaron). Un des meilleurs film historique de ces dernières années...
Note :