Seules les Bêtes (2019) de Dominik Moll

par Selenie  -  7 Décembre 2019, 07:01  -  #Critiques de films

Après un détour non concluant dans la comédie avec "Des Nouvelles de la Planète Mars" (2016), le réalisateur Dominik Moll revient à son genre de prédilection, le thriller qu'il lui a donné le succès avec le grand film "Harry un Ami qui vous veut du Bien" (2000), un genre qu'il a exploré aussi avec "Lemming" (2005) et "Le Moine" (2010). Le cinéaste a eu envie d'adapter le roman éponyme  (2017) de Colin Niel (qui fait un caméo en vendeur de la coopérative), il explique : "La campagne française, en l'occurence les Causses où les éleveurs sont parfois si isolés qu'ils ont du mal à fonder une famille, et à cinq mille kilomètres de là, une métropole africaine de près de cinq millions d'habitants, Abidjan, où certains jeunes rêvent de faire fortune en devenant "brouteurs", c'est à dire cyber-arnaqueurs. Colin Niel rend ses personnages si vibrants et attachants que j'avais envie de les voir en chair et en os." Moll collabore à nouveau avec Gilles Marchand, qui a été son assistant réalisateur sur le premier long métrage "Intimité" (1993) et qui est son scénariste depuis à l'exception de "Le Moine", mais qui a aussi signé ses propres films avec "Qui a tué Bambi ?" (2003), "L'Autre Monde" (2010) et "Dans la Forêt" (2017). Les deux co-scénaristes ont également apprécié la structure narrative du film chapitré avec cinq personnages respectifs qui nous permettent d'avoir différents angles de vue...

A notre époque, une femme disparaît dans la région des Causses (sud Massif Central), et tandis qu'un gendarme enquête chez les riverains on suit cinq protagonistes plus ou moins liés à cette disparition et qui ont tous un secret... A noter que les co-scénaristes ont quelque peu modifié les narrateurs, légèrement avec Armand qui devient Amandine mais surtout en occultant complètement le personnage de Maribé remplacé par le personnage de Marion absente du roman. Ce dernier choix est finalement peu compréhensible. Donc les narrateurs sont Michel incarné par le monolithe Denis Ménochet vu dans "Grâce à Dieu" (2019) de François Ozon, puis son épouse Alice incarnée par Laure Calamy vue dans "Le Dindon" (2019) de Jalil Lespert, le fermier Joseph interprété par l'omniprésent Damien Bonnard (c'est son année !) qu'on a vu dans pas moins de 6 films en 2019 et pas des moindres dont le tout récent uppercut "Les Misérables" (2019) de Ladj Ly, Armand/Amandine qui est joué par l'inconnu Guy Roger N'Drin, et enfin la nouvelle Marion jouée par la jolie Nadia Tereszkiewicz autre révélation 2019 après "Sauvages" (2019) de Dennis Berry et "Persona Non Grata" (2019) de et avec Roshdy Zem. Sinon il y a le gendarme interprété par le méconnu Bastien Bouillon qu'on a vu dans "Le Mystère Henry Pick" (2019) de Rémi Bezançon, une ex de Armand jouée par l'inconnue mais non moins belle Perline Eyombwane, puis enfin la disparue incarnée par Valeria Bruni-Tedeschi qu'on a vu précédemment dans son propre film "Les Estivants" (2019). Par là même le film occulte plusieurs autres protagonistes comme Eliane une autre assistante sociale ou Pom un néo-rural... Ce système narratif en chapitrage forme un puzzle intéressant mais qui aurait dû être plus puissant en ce qui concerne l'évolution de l'intrigue.

En effet la tension grimpe doucement mais pas de façon assez forte, le suspense étant de même trop vite éventé. Ce puzzle crée surtout un mystère qui ajoute à l'atmosphère pesante dont Dominik Moll a le secret. On s'aperçoit que un des narrateur/personnage (Joseph) le plus intéressant est pourtant celui qui influe le moins sur le récit, dommage... Ensuite, le lien entre Abidjan et le Causse tient à une succession de coïncidences qu'on accepte difficilement tant on tombe dans la simple invraisemblance avec l'auto-stoppeuse. C'est presque pire quand le moyen de faire passer la pilule se résume à un personnage qui affirme "le hasard est plus fort que tout". Evidemment, en filigrane on comprend le parallèle politico-social (en gros le tiers-monde rêvant de fortune, le milieu paysan "riches" qui rêve à l'amour) mais c'est trop peu exploité pour vraiment entrer en considération dans l'intrigue. D'ailleurs, le propos sur l'harponnage (cyber-arnaque) est tout aussi sous-exploité, ou plutôt il est beaucoup trop simplifié et montre alors une victime beaucoup trop naïve pour convaincre. Ces deux derniers points restent des détails, et n'influe que peu sur l'intrigue principale qui reste malgré tout prenante grâce à une tension omniprésente. Le cinéaste reste un de nos maîtres du film noir, l'atmosphère est parfaitement rendu. En prime un casting au diapason, des acteurs impeccables dont deux qui terminent leur année révélatrice avec deux performances bluffantes. Un peu déçu de par les maladresses multiples mais on reste immergé dans cette intrigue qui nous lâche jamais avec pourtant une noirceur et un pessimisme complètement assumée. Note un peu généreuse.

 

Note :                    

 

14/20

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