Entretien avec Stephane Brizé
1 - Vous êtes donc né à Rennes le 18 octobre 1966... Avez-vous toujours une attache ou un quelconque lien avec Rennes et/ou la région Bretagne aujourd'hui ?
J'ai de la famille à Rennes, des oncles, des tantes, des cousins et quelques amis. Mais j'y viens rarement. Le lien que je suis bien obligé d'admettre avec la Bretagne - et qui m'amuse - c'est qu'on me dit régulièrement que je suis têtu comme un breton. Les racines doivent donc être profondes.
2 - Pour mon dossier sur vous et vos films j'ai eu des difficultés à trouver des renseignements. Il semble que vous vous protégez beaucoup, sur votre vie privée (normal et vous avez raison) mais aussi sur un côté plus "mode public" (parcours entre études et premier court-métrage par exemple). Est-ce une volonté de votre part ?
J'aurais d'abord envie de répondre par une
question : qu'y aurait-il d'intéressant à savoir sur ma vie privée ? Sans doute pas grand chose. Quant à mon parcours, j'ai fait des études d'électronique (!) à Rennes, j'ai un peu travaillé
comme technicien à la télévision avant d'aller prendre des cours de théâtre à Paris. Juste le temps de me rendre compte que je n'avais pas fondamentalement envie d'être acteur ni de mettre en
scène des pièces de théâtre (je le sais j'en ai monté quatre). Je me suis alors mis à écrire ce que j'avais en tète et ça avait spontanément la forme de scenarios. J'ai envoyé un texte par la
poste à des producteurs, l'un d'entre eux m'a répondu et j'ai ainsi tourné mon premier court-métrage. Trois jours de tournage, c'était en 1993. J'ai enfin eu le sentiment d'être à ma
place.
3 - Sur "Le bleu des villes" un mot me semble caractéristique : "pathétique" (notamment sur le regard portée sur les pervenches). êtes-vous d'accord avec cette remarque et, en tous cas, était-ce une volonté consciente ?
Si vous étiez en face de moi (nous faisons cet entretien par un échange de mails), vous me verriez abasourdi par le terme que vous employez. Pathétique ? J'y vois du jugement de votre part. Parce que de mon côté, je ne me suis attaché qu'à aller à la découverte de l'intimité de cette contractuelle. Sans jugement. Sans condescendance. Juste avec bienveillance et honnêteté. Après si vous trouvez la vie de cette femme pathétique, je vous laisse juge. Moi je la trouve juste douloureuse.
4 - Outre l'importance de Florence Vignon dans votre parcours on peut citer
Milena Poylo et Gilles Sacuto (production), Valérie Saradjian (décor), Anne Klotz (montage)... Quelques noms importants dans votre filmographie qui étaient déjà présents sur "Le bleu des villes"
(1998 sortit en 1999) et qui étaient de retour avec "Je ne suis pas là pour être aimé" (2004 sortit en 2005). Entre temps vous avez tourné avec une autre équipe un film de commande, "Entre
adultes" (2004 mais sorti en 2007) qui est votre film le moins abouti ou du moins celui qui a le plus déçu. Est-ce que, comme on pourrait le supposer, il y aurait une cause à effet avec le
résultat final ?
Plusieurs personnes travaillent avec moi depuis le début. Quand on s'entend bien avec des gens et qu'ils sont compétents, pourquoi en changer ?
Quant à Entre Adultes, ce n'est pas un film
de commande du tout. Il a été tourné en 4 jours (et monté en 4 jours aussi) dans le cadre d'un stage avec des comédiens. On m'a offert quelques jours pour travailler avec des acteurs, plutôt que
de faire des exercices, j'ai préféré écrire un scénario et tourner un film. Qu'il vous déçoive ou qu'il vous semble moins abouti, c'est votre point de vue. C'est pour moi un film important dans
mon parcours parce que c'est sur ce film que j'ai réellement mis au point la manière dont je dirige les comédiens aujourd'hui. Si on considère le nombre de spectateurs qui sont allé le voir,
c'est effectivement celui de mes films qui a fait le moins d'entrées mais je ne mesure pas la réussite d'un film au nombre d'entrées qu'il fait. Ça voudrait dire que Bienvenue chez les ch'tis est
un chef d'œuvre. Ce qui est, reconnaissons-le, très discutable. Le film s'est retrouvé sur les écrans parce que Claude Lelouch avait vu le dvd par hasard et qu'il a flashé sur cette histoire et
la forme brute qu'elle avait. Pour lui, cela ne devait pas rester sur une étagère. C'est lui qui a financé les travaux pour sortir une copie film. Mais il ne m'a pas forcé à le faire, j'aime
beaucoup de film. Une anecdote, le magazine Positif qui n'avait jamais écrit une ligne sur moi et mon travail a décidé d'en écrire onze pages en découvrant Entre Adultes. Visiblement, eux, comme
d'autres d'ailleurs, n'ont pas été déçu par le film.
5 - A part "Entre adultes" vos quatre films donnent deux césures. La première signe un pas en avant avec "Je ne suis pas là pour être aimé" dans la façon de maitriser les silences. La seconde est plus marquante ; les deux premiers films ont un personnage dont le métier est peu aimé du public (pervenche et huissier) avec une dose de pathétique (à divers niveau) tandis que les deux derniers ont des personnages ouvriers (maçon et routier) ancrés dans une réalité difficile avec une certaine empathie. Qu'a-t-il bien pu se passer entre 2004 et 2009 pour qu'un tel changement de cap se produise ?
Encore une fois, je ne partage pas du tout l'emploi que vous faites du terme "pathétique". Contractuelle et huissier sont effectivement des métiers peu aimés par le public et il m'intéressait de m'attacher à cette femme et à cet homme qui étaient capables d'endosser le costume du mal aimé, tout en allant voir derrière la première image qu'ils véhiculent. Aller à la rencontre de leur humanité. Mais j'ai largement autant d'empathie pour eux que pour le maçon de mademoiselle Chambon ou le routier de Quelques heures de printemps. Il ne s'est donc rien passé de particulier entre 2004 et 2009 puisque je regarde toujours mes personnages de la même manière. Il y a seulement deux professions (contractuelle et huissier) qui sont moins apprécies par les gens. Que vous les trouviez pathétiques, c'est votre point de vue. Je le vois encore une fois comme un jugement que moi je n'ai pas.
6 - Petit à petit vous avez trouvé vos marques notamment un style qui s'affirme entre sobriété et précision où les silences et les non-dits sont particulièrement importants. En avez-vous conscience, est-ce un choix délibéré ou une évolution plus instinctive ?
J'en ai bien sûr conscience mais ce qui existe aujourd'hui d'une manière plus affirmée est en germe depuis le premier long-métrage. Je dirais-même depuis le moyen-métrage (l'œil qui traine) qui précède le premier long. Mais je n'ai pas de théorie là-dessus, mon regard et mon écriture s'affinent et j'ai juste de plus en plus confiance dans la force de l'image et du cadre. Bref, de plus en plus confiance dans le Cinéma.
7 - Jeux de regards, économie de dialogues... etc... sont presque devenus un dogme brizéen. Pensez-vous confirmer ce point de vue dans vos prochains films ?
Aucune idée. Autant je peux un peu commenter
ce qui a été fait, autant je ne peux rien dire sur ce qui n'existe pas encore. Le risque est de surtout éviter de prendre la pose. C'est à dire éviter le dogme brizeen, pour faire écho à votre
expression.
8 - Pour votre dernier film "Quelques heures de printemps" des spectateurs n'ont
pas pu supporter le "cynisme et l'ambiance glauque" (dixit Ouest-France après séance à Dinard). Est-ce que vous comprenez ce sentiment ? et surtout est-ce que vous envisagiez ce risque
?
Il faudrait juste que le journaliste de
Ouest France ouvre le dictionnaire et revoie les définitions de cynisme et glauque. On peut dire que je suis rugueux, que je regarde frontalement les choses, sans détours mais que je suis cynique
et glauque, je ne vois pas. Parce que je parle d'une relation conflictuelle, de la maladie et de la mort, je serais glauque ? Mais je parle de la vie. Seulement de la vie. Et d'amour aussi. En me
mettant à la même hauteur que mes personnages. En fait, je vais être assez franc, je n'ai même pas envie de commenter ce genre d'arguments, chacun y voit ce qu'il veut en fait. D'autres
journalistes on dit que le film était lumineux et apaisant. Ces gens ont pourtant tous vu le même film. Mais chacun avec sa propre histoire. C'est tout.
9 - Un court-métrage, un moyen-métrage et cinq longs-métrages (si on excepte le documentaire) près de 20 ans, un film tous les trois ans. Est-ce le temps nécessaire qu'il vous faut et qu'il vous faudra pour faire un film ou bien est-ce juste une coïncidence sans incidence particulière ?
C'est en tout cas le temps qu'il m'a fallu à chaque fois pour l'instant pour écrire, attendre le financement et tourner. Il faut du temps, notamment, pour écrire, pour inventer une histoire, en définir avec précision chaque enjeu, dessiner chaque personnage, chaque dialogue. C'est un long processus que je fais à chaque fois de A à Z, accompagné de ma co-scénariste. Sans doute la chose qui prend le plus de temps dans la fabrication d'un film pour moi. Alors c'est sûr je n'enchaîne pas les films comme des perles. Je fais à mon rythme…
10 - J'ai lu que votre film vénéré est "Scènes de la vie conjugale" (1973) de Ingmar Bergman. Ca semble logique tant on pense à lui pour vous. Si je vous dit Maurice Pialat, Michael Haneke et Aki Kaurismaki ?
Ils m'accompagnent au quotidien. Ils sont
dans mon imaginaire. Avec force et nécessité.
11 - Lorsqu'on jette un œil sur votre filmographie il semble difficile de vous
imaginer derrière un film qui ferait rire. Une juste appréciation ou une idée préconçue ?
Totalement préconçue et même erronée je
trouve car Le bleu des villes et Je ne suis pas là pour être aimé ont beaucoup de passages drôles. En tout cas qui font largement sourire. Je dis cela pour l'avoir à la fois souhaité et observé
en salle. Mais ce n'est pas un rire de pure comédie, je le reconnais.
12 - En ce qui concerne l'affiche des films et des taglines, est-ce une chose importante pour vous ou est-ce que ça vous passe au-dessus de la tête ?
Je suis derrière tout ce qui se fait à
propos de la communication de mes films. J'ai tellement détesté et souffert d'avoir été écarté du travail concernant la bande-annonce (que je déteste) de mon premier film que je me suis juré
que personne n'aurait plus jamais le dernier mot à ce sujet sur mes films suivants.
13 - Vous avez dit "... si j'étais acteur je serais Vincent Lindon...", mais
vous avez été acteur, dans des films comme "Au petit Marguery" (1995) de Laurent Bénégui et "Le dernier protocole" (2008) de Thomas Vincent. Pensez-vous revenir devant la caméra ? Et pourquoi pas
devant la votre ?
J'ai entendu quelqu'un dire un jour: "c'est
pas parce qu'on change une roue de sa voiture qu'on est garagiste". Et bien c'est pareil pour moi, c'est pas parce que j'ai joué deux ou trois fois devant une caméra que je suis acteur. Ce qui ne
m'empêcherait pas de le refaire avec plaisir. Devant ma caméra, je ne sais pas, encore faudrait-il que je réussisse le casting. Et je suis assez dur dans mes choix.
14 - Depuis vos premiers films vous êtes un habitué des critiques élogieuses,
sauf peut-être du magazine "Cahiers du cinéma" qui semble vous éreinter de plus en plus à chaque film. Cela vous touche-t-il particulièrement ?
Pour être honnête, j'ai du lire une ou deux
fois ce magazine. Et je parle là de quelque chose qui remonte à très très loin, bien avant que je fasse moi-même des films. Ma réaction, c'est que ce que je lisais, même les bonnes critiques, ne
me donnait pas envie d'aller voir les films ni d'aimer le cinéma. Pour moi, beaucoup de cette littérature ne fait plaisir qu'à celui qui l'écrit. Ce qui se rapproche beaucoup de la définition de
la masturbation. Ce magazine existe dans sa propre mythologie et il essaie aujourd'hui poussivement d'être à la hauteur des fantômes qui ont construit ce mythe.
15 - En général, quel est votre rapport aux critiques, et plus comparativement
entre celles de la presse professionnelle et la blogosphère cinéphile ?
Dans la presse professionnelle, je sais à peu près qui écrit quoi sur moi mais je lis rarissimement les papiers. Sur le dernier film, j'en ai lu trois. Pourquoi ? Parce que si c'est bon, ça ne va que flatter mon égo... Donc aucun intérêt, et si c'est mauvais, ça va me blesser sans jamais m'apprendre quoi que ce soit sur mon travail. Donc à nouveau, aucun intérêt de me faire inutilement du mal. Parce qu'évidemment ça blesse un mauvais papier. Quand à la blogosphère, j'avoue que je ne lis jamais rien. Mais vous savez, que ce soit avec la presse traditionnelle ou internet, tous ces articles sont faits pour les gens qui vont découvrir le film, pas pour celui qui l'a fait. Et finalement, le monde va très bien comme ça...