Convoi Exceptionnel (2019) de Bertrand Blier

par Selenie  -  18 Mars 2019, 20:32  -  #Critiques de films

Il aura fallu près d'une décennie pour Bertrand Blier avant d'offrir un nouveau film. Une décennie pour délaisser le projet "Existe en Blanc" parce qu'il trouve qu'à son âge il n'avait pu envie de se battre contre certains sujets comme il l'explique : "C'est un projet tiré d'un de mes bouquins dont le sujet est particulièrement casse-gueule, extraordinairement dangereux et très hard. Je me suis dit qu'à 80 ans j'en avais assez pris dans la gueule. Ce serait aller trop loin dans la provocation. C'est un roman épouvantable avec plein de meurtres. Et on tue des femmes, ce n'est pas pareil. Aujourd'hui, on ne peut plus faire un film où on tue des femmes. Avec la tendance en place actuellement, ce n'est pas possible. J'ai donc décidé de ne pas le faire. Je me dégonfle."... Ce projet avorté qui aurait à priori fait écho au film "C'est arrivé près de chez vous" (1992) de Lucas Belvaux avec un certain Benoit Poelvoorde qui devait justement joué pour Blier ! "Existe en Blanc" est un réel crève-coeur, surtout quand on voit ce nouveau film qui a été très difficile à monter. Il semblerait que Blier n'ait plus la confiance des financiers, heureusement il a celle de ses acteurs notamment les deux principaux, Christian Clavier et Gérard Depardieu qui ont baissé leurs prétentions pour que le film puisse se faire et ce, en, échange du poste de co-producteur... Ainsi Depardieu retrouve son réalisateur fétiche pour un 9ème film depuis "Les Valseuses" (1974), tandis que Clavier tourne lui pour la première fois sous la direction de Blier mais retrouve pour la 7ème fois son acolyte depuis "Les Anges Gardiens" (1995) de Jean-Marie Poiré. A leurs côtés une belle brochette d'acteurs réputés dont Sylvie Testud, Bouli Lanners, Louis-Do De Lencquesaing, Philippe Magnan, Guy Marchand, Alexandra Lamy, Audrey Dana qui retrouve après "Le Bruit des Glaçons" (2010) le cinéaste et Farida Rahouadj épouse du cinéaste qui a joué dans tous ses films depuis "Les Côtelettes" (2002)...

Un film qui s'avère être particulier, puisque outre les soucis financiers le cinéaste a dû revoir sa copie pour rallonger la durée : "Mes films ont tous à peu près la même durée : 1h45, 1h50... Là, sur le papier, on arrivait qu'à 01h10 ! J'avais l'air d'un con !"... Quand on sait que le film fait finalement 1h20 !... Le film démarre sur les chapeaux de roues, avec les deux personnages principaux qui se rencontrent et en quelques instants on comprend les tenants et aboutissants, à savoir que la vie des gens est régie par des scénarios qui sont livrés. En quelques sortes, le destin des gens repose sur un office plus ou moins secret où une armée de scénaristes s'amuse à écrire et réécrire la vie des gens, dont nos deux compères. On retrouve l'absurde à la Blier, un absurde qui semble en constante évolution et qui s'est intensifié ces dernières années notamment avec "Les Côtelettes" avec un goût certain pour les dialogues à la philosophie toute personnelle du cinéaste. Les deux acteurs principaux semblent investis et savourent ce jeu entre réalité (vie et quotidien des gens lambdas) et fiction (tout repose sur les envies d'obscurs scénaristes), même si parfois ils semblent un peu perdus surtout Depardieu. L'idée est d'emblée excellente, jouissive et riche de possibilités malheureusement il manque au film une intrigue plus fouillée, notamment les qualités ou non des scénaristes devraient avoir une importance capitale, et est-ce que les scénaristes ont des prérogatives, obligations ou autre ?! Ainsi le personnage de Alex Lutz arrive justement au bon moment, mais on s'aperçoit vite que son personnage n'est pas assez développé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A l'instar des autres personnages secondaires Blier préfère se focaliser sur son duo, c'est à la fois la force du film (le duo Clavier-Depardieu fonctionne bien) et sa faiblesse (des personnages dont on devine le potentiel mais qui reste sous-exploités). Le soucis est que Blier semble voir manqué d'envie, comme si son projet avorté l'avait poussé à réaliser son film "testament". En effet, il y a dans ce film on regroupement de sujets et/ou de clins d'oeil qui sonne comme un adieu ; par exemple on retrouve certaines obsessions de Blier comme le caddie (dans quasi tous ses films), la réplique "Quand un homme est fou de sa femme, il devient un assassin." qui renvoie à ce qui reste un de ses meilleurs films "Buffet Froid" (1979), et que dire de la chanson référence tirée du film "Quai des Orfèvres" (1947) de Henri-Georges Clouzot dans lequel jouait un certain Bernard Blier : "C'est un des plus beaux films du cinéma français, et mon père y jouait un pianiste et le mari de Suzy Delair. Par ailleurs, c'est Clouzot qui m'a donné envie de faire du cinéma."... On a donc la douloureuse sensation que Blier s'est senti obligé, peut-être inconsciemment et donc sans envie, de signer là un film d'adieu. En conclusion, un film ambitieux et savoureux sur le papier est devenu un film un peu fade, inabouti surtout. Quelques moments de grâce heureusement, quelques sursauts qui rappelle la grande époque (74-89) de Blier. Le pire reste la fin, abusant d'un concept qui a fait ses preuves. Pas catastrophique mais un goût d'inachevé, un goût amer tant on sent que ce film aurait pu être un magnifique cadeau.

 

Note :                    

09/20

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