The Lighthouse (2019) de Robert Eggers

par Selenie  -  24 Décembre 2019, 11:08  -  #Critiques de films

Retour du réalisateur remarqué pour son excellent premier long métrage "The Witch" (2016). Et ce nouveau date justement de ce premier tournage, ayant des difficultés à financer ce premier film Robert Eggers se met à collaborer avec son frère Max qui travaille sur un film d'épouvante moderne qui se déroule sur un phare. Finalement c'est "The Witch" qui trouve un financement avec le succès mérité qu'on lui connaît. Ce succès permet aux deux frères de se lancer dans ce nouveau projet inspiré d'un fait divers qui fait froid dans le dos. Lors de leurs recherches, les frères Eggers découvre l'histoire de deux gardiens de phare, qui en 1801 se sont retrouvés coincés sur leur île suite à des tempêtes. Le plus vieux meurt dans un accident, le second tombe peu à peu dans la folie pensant qu'on le croirait coupable. Pour dissimuler le corps il construit un cercueil qu'il accroche à l'extérieur d'une fenêtre du phare. Mais les tempêtes finissent par détériorer le cercueil jusqu'au jour un navire approchant aperçoit au loin un homme semblant les saluer, il s'agissait en fait du gardien "décédé". Quelques temps après, les deux gardiens furent rapatriés

Robert Eggers explique : "Cette idée de deux gardiens de phare prénommés Thomas, un jeune et un vieux, m'a semblé un bon début pour une histoire centrée sur deux personnages, sur le thème de l'identité, qui pouvait devenir étrange et jouer sur l'ambiguité de façon intéressante". L'idée a pu leur être soufflé aussi par l'opéra éponyme "The Lighthouse" (1980) de Peter Maxwell Davies inspiré du même fait divers...  Dans les années 1890, deux gardiens de phare arrivent sur le phare où ils relèvent deux collègues pour quatre semaines. Mais une tempête les obligent à rester plus longtemps sur l'île déserte. Le plus vieux des deux semblent cacher un secret que le plus jeune voudrait bien connaître... Les deux gardiens sont incarnés par Willem Dafoe et Robert Pattinson, tous deux vus récemment respectivement dans "Brooklyn Affairs" (2019) et et avec Edward Norton et "Le Roi" (2019) de David Michôd. Un troisième rôle qui à son importance est jouée par l'inconnue Valeriia Karaman, une top model qui apparaît là pour la première fois au cinéma... Au vu du speech on ne peut que repenser au récent et efficace "Keepers" (2019) de Kristoffer Niholm, tiré d'un autre fait divers. Dans le genre on pense aussi un peu au plus frontal "Le Phare du Bout du Monde" (1971) de Kevin Billington. Ancien Chef Décorateur, Robert Eggers soigne une nouvelle fois les décors et les costumes pour une immersion impressionnante sur cette île. Les inspirations picturales ont été inspirées de documents historiques mais aussi artistiques dont les peintures de Arnold Böcklin et Jean Delville, ainsi que les livres de Herman Melville ("Moby Dick" en 1851) et Robert Louis Stevenson (L'Ile au Trésor" en 1883). Pour les monologues les deux frères co-scénaristes ont puisé du côté de Shakespeare et John Milton, par contre les dialogues ont plutôt regardé du côté de Sarah Orne Jewett. Les deux acteurs ont par ailleurs appris le dialecte des deux personnages gallois, et se sont familiarisés avec le travail des marins et des bûcherons de l'époque. L'équipe a dû affronter elle-même de vraie tempête sur les lieux du tournage, à savoir à Cap Fourchu en Nouvelle-Ecosse (Canada). 

Tout ces paramètres prouvent l'inspiration du cinéaste, à la fois désireux d'un réalisme pointilleux (reconstitution historique) tout en instillant du mysticisme, d'abord de par le décalage entre monologue (littéraire et un peu solennel) et dialogue (plus naturaliste), puis en usant d'un Noir et Blanc imposant le mystère qui, ajouté à un formant presque carré, augmente la sensation de promiscuité et de confinement. En effet, bien qu'on soit sur un île fouetté par les vents le récit demeure un huis clos oppressant. La musique constamment martelé par le son particulier de la Corne de Brume (le technicien du son a pu avoir l'aide d'un artisan des îles Shetland spécialiste de la Corne de Brume) appuie sans cesse ce sentiment presque mystique qui envahit l'île. Au début du film on suit un peu le quotidien rude et routinier de gardien de phare, la promiscuité et les différences d'expériences entre les deux hommes instaure un climat particulier, avant de tomber petit à petit dans la confrontation. Une confrontation semée d'intermèdes alcoolisés comme autant de trèves. L'isolement et la solitude font que les deux hommes semblent tombés dans la folie pure, avec des crises de démence toujours plus fortes. La vraie réussite du film réside dans le fait qu'on ne sait franchement jamais si l'un des deux manipule l'autre et si il y a vraiment un secret ?! Ces questionnements légitimes n'ont jamais franchement de réponses, laissant le spectateur dans un flou inconfortable et malsain mais terriblement jubilatoire. La force des images fait le reste, un N et B sublime, qui n'est pas éclatant comme le plupart des films en NB récent, mais ici il y a une teinte presque sépia qui ajoute au mystère. La fin monte d'un cran mais perd le spectateur encore plus, on en comprend plus tout à fait ce qui se passe, et où a voulu nous mener Robert Eggers. Cette fin qui renvoie au mythe de Prométhée pousse à la réflexion sans pour autant être véritablement probante. En prime deux performances dantesques de deux acteurs au sommet. Le film est surtout reste une descente aux enfers à en devenir schyzo. Impressionnant à tous les niveaux, Robert Eggers impose une nouvelle fois un univers singulier où la démence offre un nouveau visage. A voir.

 

Note :                  

16/20

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