Polina, danser sa vie (2016) de Valérie Müller et Angelin Preljocaj

par Selenie  -  1 Décembre 2016, 10:35  -  #Critiques de films

Ce film est adapté très librement de la BD "Polina" (2012) de Bastien Vivès dont le sujet ne pouvait que séduire les deux co-réalisateurs. En effet, mariés à la ville, Valérie Müller signe son premier  long métrage avec "Le Monde de Fred" en 2013 où déjà elle s'intéressait au lien entre l'art et le sport où comment faire jouer Molière sur un terrain de foot tandis que son époux est le chorégraphe Angelin Preljocaj qui a signé entre autre la comédie musicale "Blanche Neige" (2010) et transposé au cinéma. La personnalité du couple, et surtout du chorégraphe, est d'une importance capitale pour le film. En effet, Angelin Preljocaj est un chorégraphe de Danse contemporaine très connu, en cela le message du film ne surprend pas mais donne une image unilatérale de la danse car la richesse du récit vient du fait que Polina se confronte à différents univers. Après le classique style Bolchoï elle se frotte à différents styles contemporains dans lesquels elle s'épanouie enfin. Un message un peu simple sans doute, voire manichéen. Le message du film met face à face le Classique et le Contemporain en nous désignant nettement la préférence, celui évidemment du cinéaste-chorégraphe, et qui est annoncé d'ailleurs dans le titre.

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Le cliché est donc que le Classique est une école de souffrance, sous-entendu inutile, cliché qui saute aux yeux et qui est symptomatique de quelques autres moins idéologiques mais plus maladroits (une serveuse de bar est maquillée comme une prostituée entre autre, qui dit russe dit mafia ?!). Malgré la danse et l'image qu'on a de l'art en général (ouverture au monde, liberté et tolérance...) sont donc ici un peu biaisés. Néanmoins on est pris par l'évolution de Polina dont le personnage est un peu réécrit vis à vis de la bande dessinée. Dans l'œuvre originelle Polina devient danseuse étoile, ici les cinéastes ont choisi une autre voie clairement plus féministe comme ils le déclarent : "on a beaucoup de danseuses étoiles mais il y a peu de femmes chorégraphes." Ainsi Polina, dès le début fait montre d'une grande force de caractère : elle est forte et ne tombe jamais dans la position de la faible femme, que ce soit dans une salle de danse où dans la rue. Elle avance et sait ce qu'elle veut. Polina est incarnée par Anastasia Shevtsova, vraie danseuse classique (qui a été admise au ballet du Théâtre Mariinsky à St Petersbourg lors du tournage !) qui joue ici dans son premier film. La jeune femme joue merveilleusement bien et malgré son admission il ne serait pas étonnant qu'on la revoie sur grand écran. Cette dernière a été choisie lors d'un casting spécifique car les comédiennes présentaient des niveaux trop limités en danse, il est donc étonnant de trouver à ses côtés l'acteur Niels Schneider (révélé par son ami Xavier Dolan dans "J'ai tué ma mère" en 2009 et dans "Les Amours imaginaires" en 2010) qui est nettement en décalage lors des duos.

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Par contre quelle joie de voir Juliette Binoche dans un rôle de chorégraphe, magnifique comme d'habitude et qui fait ainsi écho à son expérience avec le danseur Akram Khan il y a quelques années déjà. Les cinéastes ont indiqué que leurs références ont été (entre autres) les films "Les Chaussons Rouges" (1949) de Michael Powell et Emeric Pressburger, "Billy Elliott" (2000) de Stephen Daldry et les films de Fred Astaire. A ce niveau il manque un peu plus de fluidité entre les scènes dansées et jouées et une certaine forme de folie-passion plus prégnante. Le réalisateur en profite également pour placer plusieurs clin d'œil à son film "Blanche Neige". Mais le voyage entre les styles, la position féministe mais jamais moralisatrice et les chorégraphies sauvent le film et offrent un réel plaisir. La dernière danse, la dernière représentation est de toute beauté qui déçoit pourtant par le choix d'entrecouper cette partie par d'autres plans, un choix qui crée une certaine frustration de ne pas avoir pu se régaler les yeux de ce spectacle magnifique sans intermède. Un beau et bon film, maladroit sur bien des points, mais terriblement sincère sur l'amour de la danse et dans la volonté d'y montrer un destin volontaire et libre.

 

Note :              

14/20
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