Kapo (1960) de Gillo Pontecorvo
Ce film est un des meilleurs films de fiction sur le sujet, et même un des tous premiers aussi ludique que précis. Le premier étant "La Dernière Etape" (1947) de Wansa Jakubowska et sans compter les documentaires dont le plus connu reste "Nuit et Brouillard" (1956) de Alain Resnais. Aujourd'hui nous ne sommes pas surpris de voir que c'est le réalisateur italien Gillo Pontecorvo qui signe cette co-production franco-italienne, puisqu'il confirmera plus tard son goût pour les films à fort message politique avec les films "La Bataille d'Alger" (1966) et "Queimada" (1969). Il co-écrit le scénario avec un acolyte pas moins pamphlétaire, Franco Solinas qui signera plus tard des films tout aussi polémique comme "L'Assassinat de Trotsky" (1971) et "Monsieur Klein" (1976) de Joseph Losey, mais aussi "Etat de Siège" (1973) de Costa Gravas. Les deux hommes ont déjà travaillé ensemble sur "La Grande Route Bleue" (1957) et se retrouveront ensuite également...
Le casting réunit un trio d'acteurs principaux débutants, avec Laurent Terzieff alors en pleine ascension et qui venait de jouer dans "Les Garçons" (1959) de Mauro Bolognini, Emmanuelle Riva qui venait de connaitre un grand succès avec "Hiroshima mon amour" (1959) de Alain Resnais et enfin la méconnue Susan Strasberg, fille de Lee et Paula Strasberg, créateur et fondateur du célèbre Actor's Studio, et dont les titres de gloire se résument surtout à ses premiers film, "Picnic" (1955) de Joshua Logan et vu dans "La Toile d'Araignée" (1955) de Vincente Minnelli ainsi que "Kapo" bien entendu... Pontecorvo et Solinas imaginent donc le destin d'une jeune juive de 14 ans qui tente de survivre dans un camp de concentration. Pontecrovo souhaitait "à travers le personnage de Edith/Nicole, brosser le portrait sans fard d'un héros négatif, englué, par manque de courage et de dignité, dans la plus abjecte trahison."... Ça reste le premier et le plus grand bémol du film, en effet choisir une enfant ou une ado de 14 ans pour ce rôle atténue forcément le "manque de courage et de dignité", peut-on demander autant à une enfant qu'à un adulte dans de pareils circonstances ?! Ensuite, outre le fait que les producteurs aient insisté pour avoir une idylle entre Sasha le russe et la kapo juive, le changement d'égard envers les autres de Edith/Nicole n'intervient justement que par amour et non par compassion et/ou simple humanité. Le propos du film aurait largement gagné avec une héroïne un peu plus âgée (Susan Strasberg a 21 ans lors du tournage) et si elle commençait à comprendre et à agir pour ses semblables sans l'excuse unique de l'amour. On reste parfois déçu par quelques passages un peu maladroits (On voit que Edith ne joue pas vraiment du piano, le chant des russes qui tient plus d'un chœur professionnel que de prisonniers, ...) néanmoins Pontecorvo réalise un film magnifique et nécessaire à bien des égards. Le Noir et Blanc un peu sec et délavé inscrit le film dans un style doc d'actualité optimise l'effet réaliste déjà bien présent de par la reconstitution minutieuse des camps et de ses conditions de vie.
D'ailleurs on peut rappeler que ce film, bien que nominé à l'Oscar du meilleur film étranger en 1961, connu un échec au box-office et qu'il est par ailleurs souvent mis au crédit de Jacques Rivette, alors critique au Cahier du Cinéma (n°120) où il reproche dans des termes rudes un travelling sur un suicide. Et oui, les Cahiers du Cinéma soit-disant révolutionnaires du 7ème Art étaient pourtant réfractaires à la fiction sur certain thème, ou seul le documentaire était alors admis, comme "Nuit et Brouillard" justement... Une des énormités qu'on doit aux Cahiers... En effet, cette séquence est très réussie, et loin d'être une sorte de suicide "embelli" il insiste plus sur le sacrifice et l'épuisement ultime. Précisons que Pontecorvo signe un film particulièrement dur mais jamais larmoyant. En outre nous avons des acteurs (débutants pour la plupart, nombreux figurants) qui sont absolument magnifiques de justesse et d'incarnation. Avec un tel film on n'est pas loin du chef d'oeuvre ultime, dommage pour l'âge et les raisons de Edith/Susan notamment. "Kapo" reste un film majeur et précurseur aux futurs films du genre comme "La Liste de Schindler" (1993) de Steven Spielberg et "Le Fils de Saul" (2015) de Laszlo Némès A voir et à conseiller !
Note :