La Belle et la Bête (1946) de Jean Cocteau
15 ans après son court-métrage "Le Sang d'un poète" (1930) le poète Jean Cocteau se fait cinéaste à jamais avec une adaptation complexe du célèbre conte (1957) de Madame Leprince de Beaumont. En effet, sur une idée de Jean Marais, Jean Cocteau incopore dans son film le conte de fées "La Chatte blanche" (1697) de Madame Marie-Catherine d'Aulnoy ainsi que la pièce de théâtre "La Belle et la Bête" (1913) de Alexandre Arnoux. Librement inspiré donc, Jean Cocteau s'approche un peu plus de cette dernière oeuvre que du conte originel. Le but avoué du poète-réalisateur est de montrer qu'il est difficile de séparer le rêve de la réalité. Derrière le drame familial il y a un destin emprisonné de surréalisme et de merveilleux. Cocteau devait à l'origine travailler avec Pagnol avant que celui-ci ne quitte la Gaumont avec perte et fracas. Néanmoins ce dernier demanda à Cocteau de choisir son ex-compagne (qu'il vient de quitter pour Jacqueline Bouvier) Josette Day (vue donc dans "La Fille du Puisatier" en 1940 de Marcel Pagnol) pour interpréter Belle. Pour la Bête (mais aussi Avenant et Le Prince) il est acquis que ce sera Jean Marais, alors muse de Cocteau depuis 1937.
Jean Marais qui devait passer plusieurs heures aux maquillages (3 pour la tête, 1 par griffe !). Dans un noir et blanc pur et parfois "brumeux", Cocteau conte donc "La Belle et la Bête" avec toute la liberté qui caractérise un poète. Les libertés prises restent légères, ce qui compte avant tout est que Cocteau saisisse l'âme du conte. Jamais conte de fée aura été aussi fidèle à l'esprit entre la magie et la peur que peut faire naitre la Bête et sa demeure. Cocteau y instille également une ode à la jeunesse et à sa fougue symbolisées par Avenant (Marais également) beau comme un dieu grec. S'inspirant fortement des oeuvres de Vermeer et de Gustave Doré, Cocteau allie esthétique pictural et beauté des mots en insistant sur le mystère qui entoure la Bête avec des détails qui n'en sont jamais (les chandeliers du couloir, le brouillard, les yeux, les serviteurs asservis...). Pour l'anecdote, Cocteau était secondé par René Clément qui travaillait en parallèle sur son premier film "La Bataille du Rail" tandis que Jean Marais était mobilisé dans la 2ème DB du Gal Leclerc lors du tournage. Jean Marais sera la muse de Cocteau encore longtemps et notamment sur tous ses prochains films tous aussi imprégnés de surréalisme poétique ("L'Aigle à deux têtes" en 1947, "Les Parents Terribles" en 1948), "Orphée" en 1950 et "Le Testament d'Orphée" en1960). Cocteau aura contribué ainsi à faire de Jean Marais la star qu'il deviendra... En tous cas "La Belle et la Bête" version Cocteau (et non pas la version Christophe Gans) c'est juste 1h30 de conte magique, la quintessence du genre.
Note :