Crosswind - la croisée des vents (2015) de Martti Helde
Attention voici un film à la fois extraordinaire et unique mais aussi formellement expérimental et non dénué d'un parti pris proche de la prise d'otage... Le réalisateur estonien a décidé de sa lancer dans ce projet d'abord pour des raisons personnels (70ème anniversaire en 2011, son grand-père) mais surtout parce qu'il n'existe pas de film sur le sujet, à savoir la déportation en Sibérie de milliers de baltes par décision de Staline. Aucun film ni aucune photo n'existe sur ces déportations le réalisateur Martti Helde a donc passé plus d'un an à se documenter et à regrouper un maximum de témoignage. Le personnage principal est inspiré d'une survivante dont les lettres servent à la voix Off narratrice. Outre le travail énorme de recherche et de documentation la vraie gageure du film reste les choix formels du réalisateur pour son film. Des plans quasi tous fixes, comme une succession de clichés en noir et blanc filmés comme un long plan séquence. Quasimment aucun mouvement des personnages donc, pas de scènes évolutives à proprement parlé mais une sorte d'album de photos, de plans fixes qui illustrent de façon unique la tragédie.
Une vraie prise de risque qui force le respect que le réalisateur explique ainsi : "Dans un film "normal" le spectateur est libre de regarder où il veut, à l'intérieur d'un plan. Moi je voulais le forcer à regarder ce que je lui montrais. Il n'a pas le choix, il ne peut s'échapper."... Le soucis se situe bien là, le réalisateur choisit de prendre en otage le spectateur sans lui laisser un certain libre arbitre... A part celui de quitter la séance ! (ce que certains feront à coup sûr). Le réalisateur force la main alors que les meilleurs réalisateurs font la même chose mais sans que le spectateur s'en aperçoive de façon flagrante. Ici Martti Helde le fait de force pour ainsi dire, une sensation peu agréable... Cette sensation est d'autant plus présente que la voix Off en rajoute ; cette dernière issue des lettres d'une survivante ne sont ni "littéraire" ni "cinématographique", la narratrice sonne trop lectrice-témoin et ne prête donc pas à une réelle plongée fictionnelle dans le drame historique et on tombe dans un documentaire figé et quelque peu indigeste. Mais si on est pas trop fatigué (attention sinon risque de sieste !) on reste ébloui par la beauté du noir et blanc, des images sublimes, des plans et des scènes éblouissantes de précisions et de photogénie. D'un point de vue esthétique nous sommes dans une oeuvre d'art inouïe et ambitieuse. En prime l'actrice estonienne Laura Peterson offre une performance d'autant plus prégnante qu'elle est quasi immobile et que tout passe par les émotions pures du visage, juste magnifique. "... la croisée des vents" perd car la voix Off plombe la fluidité de l'ensemble car trop omniprésente et trop "scolaire", ajoutant un poids non négligeable. "Crosswind..." est un film qui gagne parce qu'il est seul à offrir un tel panel, de la mise en scène aux détails en passant par la photographie de fond comme de forme et un sujet qui touche au plus haut point... Le Grand Public risque de rester au bord de la route, jusqu'à sortir de la salle parfois. Très très mitigé, notamment dans le choix du genre, Plus fictionnel et donc plus universel le film aurait gagné en plaisir et en transmission de message. Là on pense plus à un docu-fiction qui est trop maniéré et donc se ferme de lui-même ce qui est, malheureusement, antagoniste. Un film qui laisse mitigé, qui en même temps laisse trop le spectateur sur le bord de la route, qui manque un peu de subtilité pour emporter le public et, pourtant, qu'on a envie d'aimer profondément. En tous cas une expérience unique et enrichissante à conseiller malgré tout.
Note :