Il Etait une Fois dans l'Ouest (1968) de Sergio Leone
Après sa trilogie du Dollars clôt avec "Le Bon, la Brute et le Truand" (1966), Sergio Leone ne souhaitait plus réaliser de western et avait donc déjà commencé à travailler sur ce qui sera "Il était une Fois en Amérique" (1984) mais étant donné qu'il voulait produire logiquement aux Etats-Unis pour ce projet on lui suggéra fortement de réaliser un nouveau western avant toute chose. Après réflexion Leone eût l'idée d'une nouvelle trilogie thématique où il serait question de l'Histoire des Etats-Unis et du mirage du Rêve Américain. Mais pour ce premier volet il sera surtout question du crépuscule de la Conquête de l'Ouest, de la jonction entre le passé et l'avenir symbolisé évidemment par l'avancée du chemin de fer. Leone collabore à nouveau avec son son scénariste Serge Donati (présent depuis la trilogie du Dollars crédité ou non), auxquels viennent s'ajouter deux nouveaux jeunes talents (italiens cela va de soit) avec Dario Argento futur roi du Giallo qui signera son premier film en tant que réalisateur avec "L'Oiseau au Plumage de Cristal" (1970), puis Bernardo Bertolucci futur grand réalisateur de "1900" (1975) et "Le Dernier Empereur" (1987). Pour ce nouveau film Leone obtient un budget encore supérieur (2 fois le coût de la trilogie du Dollars !), et voit encore plus grand à tout point de vue. Mais cette fois le maestro veut s'éloigner du western spaghetti (terme qu'il haïssait) tout en voulant prendre à contre-pied tout ce qui faisait le western classique. Symboliquement il va donc filmé Monument Valley (cher à un certain John Ford !) d'un côté, et choisir le monstre sacré hollywoodien par excellence, Henry Fonda pour être un tueur impitoyable. Mais plus personnellement, Leone va reprendre des ingrédients de sa trilogie du dollars pour encore les pousser plus loin dans l'expérimentation : panoramique, dilatation du temps, gros plan, importance de la musique, vengeance en flash-backs, et même une variation du bon, de la brute et du truand... Alors que Bet McCain attend avec ses enfants l'arrivée de sa nouvelle épouse, lui et sa famille sont assassinés. Madame McCain, à peine mariée se retrouve veuve en croit savoir que son époux était riche mais personne, ni elle ni les renégats ne trouvent d'or. Parallèllement, un certain Harmonica cherche inlassablement à rencontrer un certain Frank homme de main qui travaille pour un magnat des chemins de fer. Ce dernier veut arriver à rejoindre le Pacifique avant de mourir. De plus, un chef de gan, Cheyenne, apprend qu'un autre gang se fait passer pour le sien connu pour porter des caches-poussières. Alors que le chemin de fer avance vers l'ouest, les uns et les autres cherchent vengeance et la fortune de McCain...
Pour le casting, Leone fait appel a au groupe d'acteurs spécialistes du western spaghetti qu'on a déjà vu dans sa trilogie du Dollars comme Frank Bagna, Claudio Scarchilli, Antonio Molino Rojo, Aldo Sambrell (de tous les Leone depuis "Pour une Poignée de Dollars"), Benito Stefanelli... Certains ont un rôle plus important comme McBain joué par Frank Wolff vu dans "Le Grand Silence" (1968) de Sergio Corbucci, le barman de l'échoppe joué par Lionel Stander vu dans "Pas de Pitié pour les Salopards" (1968) de Giorgio Stegani, acteur qui tourne depuis 1932 mais dont la carrière a été freiné depuis qu'il a été inscrit sur la liste noir Maccarthyste et qui connaîtra un vrai regain de popularité avec la série TV "Pour l'Amour du Risque" (1979-1984), le patron du chemin de fer "Teuf Teuf" interprété par Gabriele Ferzeti surtout connu pour "L'Avventura" (1960) de Michelangelo Antonioni, et on citera absolument le trio de pistoleros qui attendent Harmonica au début du film : d'abord Leone envisagea de faire appel aux acteurs Eli Wallach, Lee Van Cleef et Clint Eastwood pour un clin d'oeil à "Le Bon, la Brute et le Truand", mais Eastwood refusa (ouf !) ce qui permit au cinéaste à offrir ces rôles, certes courts mais mythiques, aux gueules inénarrables de Jack Elam vétéran du western dont on peut citer "Vera Cruz" (1954) de Robert Aldrich et "Les Comancheros" (1961) de Michael Curtiz, Woody Strode qui a changé de statut grâce à John Ford dans "Le Sergent Noir" (1960), puis Al Mulock qui était déjà dans "Le, La Brute et le Truand" ; pour l'anecdote funeste, ce dernier se suicidera durant le tournage (!), à l'instar de Frank Wolff qui se suicidera en 1971. Puis enfin les quatre rôles principaux, Harmonica est incarné par Charles Bronson, devenu célèbre avec les films "Les 7 Mercenaires" (1960) et "La Grande Evasion" (1963) tous deux de John Sturges et auquel Leone avait proposé le rôle de l'homme sans nom pour "Pour une Poignée de Dollars" mais qu'il refusa alors (!), Cheyenne est joué par Jason Robards alors plutôt méconnu vu dans "Sept Secondes en Enfer" (1967) de John Sturges et qui sera "Un Nommé Cable Hogue" (1970) de Sam Peckinpah, puis le tueur Frank incarné par par la star Henry Fonda qui refusa d'abord ayant peur pour son statut avec un tel personnage ; en effet Leone avait justement choisi l'acteur car il symbolisait la droiture à l'américaine, le héros nobles par excellence et il savait que le contre-emploi ferait forcément son effet ! D'ailleurs, l'acteur ne lui en voudra pas, il retrouvera Leone pour "Mon Nom est Personne" (1973) de Tonino Valerii (Sergio Leone co-réal non crédité et scénariste). Puis enfin, l'atout charme dans un monde de brute incarnée par la sublime Claudia Cardinale qui n'avait jusqu'alors joué que dans un western, "Les Professionnels" (1966) de Richard Brooks dans lequel jouait Woody Strode... A y regarder de plus près donc, Leone rejoue une variation du bon (Harmonica), de la brute (Frank) et du truand (Cheyenne) mais avec une limite encore plus ambigue entre vice et vertu. A eux trois ils forment le trinité du far-west, des hommes d'une autre époque, d'une ère révolue qui va inévitablement vers sa fin. Une fin symbolisé par l'avancée du chemin de fer, lui-même symbole de la modernité et des transformation sociétales qui se profilent à l'horizon. Frank est un tueur qui ne peut exister dans ce monde futur, Cheyenne est un bandit dans la tradition romantique de l'Ouest et Harmonica n'existe que par la vengeance qu'une une fois assouvit mène nulle part. Finalement Leone en conclut que l'avenir est dans les mains de la femme magnifiquement mise en valeur par une Claudia Cardinale qui est la seule de l'histoire à survivre et à avancer vers l'avenir. Derrière ce contexte historico-philosophique Leone n'en oublie pas pour autant la mythologie de l'Ouest avec ses duels, ses luttes pour la survie et/ou le pouvoir. Cheyenne aime avant tout une vie aventureuse, Harmonica a sa vengeance, mais la relation entre Frank et son patron "Teuf Teuf" est une dualité fascinante autour de la question du pouvoir (violence vs argent). Tandis que Jill /Cardinale semble prête à tout pour assurer son bonheur pourtant, même si l'avenir semble prospère le film de Leone reste empreint d'un fort désenchantement. Outre la reprise du trio (Bon, Brute, Truand) le réalisateur reprend et perfectionne la trame vengeresse via les flash-backs de "Et Pour Quelques Dollars de Plus" (1965) ; les flash-backs sont mieux construit, la durée augmente plus sensiblement, le dénouement plus brutal, la musique encore plus pregnante.
Idem pour le passage inhérent au genre, le duel, le film s'ouvre et se clôt par deux duels aussi mythiques l'un que l'autre et pourtant complètement différent. Leone reste ainsi le seul, et en seulement 4 films, à signer les plus beaux duels du western, aussi bien sur le fond que dans la forme. Le réalisateur n'oublie pas pour autant l'écrin environnant ces duels. A ces duels suivent deux panoramiques majesteux (au-dessus de la ville en ébullition à l'arrivée de Jill à la gare, puis au-dessus du chantier du chemin de fer après l'ultime duel). Leone, pointilleux comme pouvait l'être Kubrick ou Cimino, impressionne à chaque instant, des détails lors de l'attente des trois tueurs à la gare (mouche, goutte d'eau...) à l'exploitation des asiatiques dans la laverie en passant par la symbolique de Monument Valley et la force de frappe d'un Henry Fonda tueur d'enfant... Leone use de tous les possibles dans sa mise en scène (plongée-contre-plongée, travelling, cadrages à symétrie,...) mais sans que ce soit jamais gratuit, tout est fait pour que notre oeil aille là où Leone l'a envisagé augmentant par là même le suspense, l'émotion ou simplement la beauté plastique. A noter que le tournage eût lieu en Arizona (Monument Valley), en Utah (le Moab), en Andalousie (Espagne) et aux studios Cinecitta (Rome) pour les intérieurs. Ainsi, il est coutume de dire que Claudia Cardinale a effectuée la "plus longue traversée en cariole" de l'histoire du cinéma, car de la gare de Flagstone à la maison de McBain le voyage débute en fait en Andalousie, puis passe par Monument Valley avant de finir à Cinecitta ! Pour les réfractaires, on pourra toujours chipoter sur quelques détails, comme les chansons anachroniques, "Danny Boy" et "La Fayette nous Voilà" datant respectivement de 1910 et 1917. Mais rien n'empêchera le film d'entrer dans l'Histoire du Septième Art tant son ampleur à tous les niveaux tient du génie. En prime, l'alter ego musical de Leone offre une partition démente qui entre dans l'Histoire, Ennio Morricone retrouve son ami et signe une des plus belle B.O. de l'Histoire. Sergio Leone étoffe sa trilogie du Dollars avec ce film qui, bien que premier opus d'une nouvelle fresque à trois volets; demeure comme l'ultime adieu au western avec une dimension funèbre qui habite désormais le cinéma de Leone. Si le film est un succès phénoménal à sa sortie (1968 en Italie, 1969 pour le reste du monde) avec près de 15 millions d'entrées France, mais il sera un échec aux Etats-Unis ; il semble que les américains aient été jaloux et de mauvaise foi face au western signé d'un européen, et que voir une star du calibre de Henry Fonda en tueur d'enfant ait pu être un frein non négligeable. Néanmoins, avec le temps, "Il était une Fois dans l'Ouest" confirmera son statut inégalé, même aux Etats-Unis. Un chef d'oeuvre ni plus ni moins, un monument qu'il faut voir, revoir et conseiller.
Note :
Pour info bonus, Note de mon fils de 11 ans :