Dieu existe, son Nom est Petrunya (2019) de Teona Strugar Mitevska
5ème long métrage d'une réalisatrice macédonienne, pays rarement représentée dans la planète cinéma, mais qui a pourtant la chance d'avoir une femme comme tête de fil. Après les relations familiales compliquées dans "Comment j'ai tué un Saint" (2004) et "Je suis de Titov Veles" (2009), après avoir suivi le destin de deux mères de famille dans "The Woman who Brushed off her Tears" (2012), puis après avoir aborder la question du machisme sur fond de tensions culturelles dans "When the Day had no Name" (2017) la cinéaste reprend comme ce dernier son inspiration à partir d'un fait divers et cette fois une histoire qui pourrait prêter à sourire si ce n'était pas si pathétique et même assez effrayant : chaque année pour l'Epiphanie, la communauté orthodoxe d'Europe de l'Est organise des lancers de croix chrétienne qui doivent être retrouver et rattraper par les hommes, et donc les femmes ne sont pas autorisées à participer à ces festivités. Mais un jour en 2014, une femme a osé participer et a battu les hommes en attrapant la croix dans la ville de Stip. Son geste a soulevé un tollé, un tel scandale que la demoiselle avait dû quitter le pays ! La cinéaste précise : "En effet, les femmes ne sont pas autorisées à participer à l'événement. On a donc essayé de lui reprendre la croix, mais la jeune femme a tenu bon. Le lendemain, elle a donné une interview à la station de radio locale, incitant les femmes à plonger pour récupérer la croix à l'avenir. La population l'a traitée de folle, de femme perturbée... Avec ma productrice, Labina Mitevska, nous nous sommes dit que ces réactions traduisaient un réflexe naturel de conformisme social et révélaient la misogynie des normes patriarcales profondément ancrées dans notre société. C'était à la fois frustrant et exaspérant. L'histoire de Petrunya est née de cette frustration : il fallait que nous réagissions." D'ailleurs, la cinéaste a contacté l'Eglise de Stip pour les besoins du tournage mais l'Eglise a refusé toute collaboration tout en déclarant que "Dieu existe, et c'est un homme. Il s'appelle Jésus." Ironie du sort, depuis 2014, une autre femme a fait la même chose et cette fois a pu garder la relique. La réalisatrice Teona Strugar Mitevska co-signe le scénario avec sa compatriote Elma Tataragic connu pour avoir co-écrit le film "Premières Neiges" (2008) de Aida Begic, et qui retrouve donc la réalisatrice après "When the Day had no Name" (2017)...
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A Stip, petite ville de Macédoine, comme tous les ans à l'Epiphanie, le prêtre lance une croix de bois dans la rivière dans laquelle des centaines d'hommes plongent ensuite pour tenter de l'attraper pour s'assurer bonheur et prospérité pour l'année. Mais, incroyable, la jeune Petrunya se jette à l'eau également et parvient à s'emparer de la croix avant les hommes qui crient aussitôt au scandale voir même au blasphème. Bientôt la polémique enfle et Petrunya va devoir faire un choix : se battre pour garder la croix, ou la rendre et s'excuser de son audace... Le rôle titre est incarnée par Zorica Nusheva qui joue là dans son premier et dernier film, puisqu'elle est ensuite revenue à son quotidien d'épouse et de mère de deux enfants. La journaliste est jouée par Labina Mitevska, soeur de la réalisatrice et co-productrice du film, vue dans "Bienvenue à Sarajevo" (1997) et "I Want You" (1998) tous deux de Michael Winterbottom avant de tourner dans les films de sa soeur, retrouvant ainsi après "Comment j'ai tué un Saint" (2004) et "Je suis de Titov Veles" (2007) son partenaire Xhevdet Jashari, retrouvant également après "Before the Rain" (1994) de Milcho Manchevski son autre partenaire Petar Mircevski vu également dans "Ombres" (2007) du même Manchevski et "On the Milky Road" (2016) de Emir Kusturica, citons encore Bairush Mjaku vu notamment dans "Larmes de Sang" (2006) et "Agnus Dei" (2012) tous deux de Agim Sopi. D'autres rôles sont tenus par des acteurs inconnus hors des frontières de la Macédoine, comme Simeon Moni Damevski, Violeta Sapkovska ou Vladimir Tuliev... Le film débute avec une jeune femme qui semble déjà une vieille fille, faineante, vivant aux crochets de ses pauvres parents qui espèrent qu'elle va enfin décrocher un boulot. Mais au fur et à mesure on comprend qu'elle se trouve dans un pays quasi tiers-mondiste, et que malgré son diplôme d'Histoire les boulots ne courent les rues et qu'elle a fini par baisser les bras. La cérémonie religieuse qui se déroule alors qu'elle rentre chez elle après une énième déception professionnelle est donc un accident, un hasard, voir le destin. Sans trop réfléchir elle plonge et attrape la croix qui est à priori destiné à un jeune homme de la communauté dont on perçoit assez bien que la foi est vital ou secondaire selon que ça les arrangent. Le scandale qui s'en suit est surtout mené par les jeunes gens frustrés et vexés d'avoir été battus par une femme, car dès le début le prêtre soutient la jeune femme. En effet, la domination religieuse et patriarcale depuis des siècles a imposé une tradition misogyne mais cette tradition n'est validée dans aucun texte même religieux et encore moins dans la loi des hommes.
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La pression est telle que le prêtre s'oblige à tenter de raisonner la jeune femme, et la police interpelle la jeune femme de façon arbitraire. C'est là le seul point un peu gênant, Petrunya sait qu'elle est retenue arbitrairement, le dit et sait qu'on ne peut la retenir contre son gré ; alors pourquoi reste-t-elle ?! La scène où elle fait retour chez elle et où tout le monde apprend qui a la croix et qui est Petrunya est violente, et plusieurs infos nous sont transmises plus ou moins discrètement. Ainsi la violence verbale mère-fille peut aller à la violence physique, la crise familiale semble alors un poids non négligeable, la police a encore des relents soviétiques inhérents à un passé dont on sait que la Macédoine a bien du mal à se défaire. Ensuite la partie au commissariat et l'interrogatoire prend trop de place (plus de la moitié du film !), ça tourne un peu en rond tandis qu'on ne comprend pas vraiment pourquoi Petrnuya refuse tout commentaire à la journaliste qui est pourtant la seule à la soutenir à 200%. Mais ce qui frappe c'est cette foule d'hommes sans cervelles qui composent donc une communauté aussi effrayante qu'inquiétante, plus que leur foi orthodoxe on pourrait croire à des néo-nazis. Mais Petrunya tient bon, son courage tient sans doute du simple principe mais elle tient bon jusqu'à cette conclusion heureuse (plus que dans la réalité du moins !) qui montre que la femme est sans doute plus intelligente que l'homme. Petrunya est une jeune femme touchante (sauf quand sa marâtre est dans les parages !) et se place en symbole féministe de belle manière (sans discours pompant ou extrêmisme à deux sous). Un joli film social, une belle histoire qui aurait mérité une tension plus palpable encore, et une Petrunya un peu plus volubile pour donner plus de chair et de densité au propos. Un bon moment à conseiller.
Note :