Le Lion en Hiver (1968) de Anthony Harvey
Après avoir débuté comme monteur, notamment sur "Lolita" (1962) et "Docteur Folamour" (1964) tous deux de Stanley Kubrick, le britannique Anthony Harvey signe son premier long métrage avec "Dutchman" (1967) sur une relation inter-raciale, film remarqué au Festival de Venise où l'actrice principale Shirley Knight a reçu la Coupe Volpi de la meilleure actrice. Ce joli succès lui permet d'enchaîner avec un second projet, adaptant la pièce de théâtre éponyme (1966) de James Goldman, dramaturge mais aussi scénariste qui signe sa propre adaptation pour le cinéma, qui retrouvera son réalisateur juste après pour "Le Rivage Oublié" (1971) et qui écrira encore pour "Nicolas et Alexandre" (1971) de Franklin J. Schaffner ou "La Rose et la Fléche" (1976) de Richard Lester, ce dernier a d'ailleurs de nombreuses similitudes avec "Le Lion en Hiver". Notons que l'équipe est composé de maîtres dans leur domaine dont Douglas Slocombe un des plus fameux Directeur Photo de son époque, ou John Barry compositeur alors en pleine ascension après son thème cultissime de la saga James Bond. Le film est un succès critique, de moindre importance auprès du Grand Public, et reçoit tout de même trois Oscars pour la meilleure actrice Katharine Hepburn, meilleur scénario pour James Goldman et meilleure musique pour John Barry, sur sept nominations... Noël 1883, Henri II roi d'Angleterre réunit sa famille, ses fils Richard (futur Coeur de Lion), Jean (futur Sans Peur) et Geoffroy (futur II de Bretagne), ainsi que son épouse déchue Aliénor d'Aquitaine qu'il n'a plus vu depuis des années. Alors qu'il est aussi devenu l'amant de Adèle de France, dite Alix, alors qu'elle est promise à un de ses fils le roi doit préparer sa succession qui se joue semble-t-il entre Jean favori du roi et Richard favori de Aliénor. Dans cette réunion de famille il y a aussi un invité de marque, Philippe Auguste roi de France, demi-frère d'Alix et fils du premier époux de Aliénor. Les intrigues les jeux d'influence ne font que commencer...
Une grande partie du casting est composé d'acteurs expérimentés issus du théâtre, dont une partie provenant de la Royal Academy of Dramatics Arts de Londres. Le roi Henri II est incarné par Peter O'Toole star depuis "Lawrence d'Arabie" (1962) de David Lean, confirmé avec "Lord Jim" (1965) de Richard Brooks et qui retrouve surtout son rôle déjà abordé dans "Becket" (1964) de Peter Glenville. La reine Aliéanor d'Aquitaine est incarnée par Katharine Hepburn star de films comme "L'Impossible Monsieur Bébé" (1938) de Howard Hawks, "African Queen" (1951) de John Huston ou "Soudain l'Eté Dernier" (1959) de J.L. Mankiewicz et qui retrouvera Anthony Harvey pour "Grace Quigley" (1984). Les trois fils sont joués par John Castle remarqué juste avant dans "Blow-Up" (1966) de Michelangelo Antonioni qui retrouvera également son réalisateur dans "L'Etalon de Guerre" (1979), Nigel Terry vu ensuite dans "Excalibur" (1981) de John Boorman ou "Christophe Colomb, la Découverte" (1992) de John Glen, puis Anthony Hopkins aperçu dans un premier film juste avant avec "The White Bus" (1967) de Lindsay Anderson mais qui deviendra un des plus grands acteurs des 50 prochaines années jusqu'aux récents "The Father" (2021) de Florian Zeller ou "Armageddon Time" (2022) de James Gray. Citons ensuite Alix jouée par Jane Merrow vue dans "Le Fantôme de l'Opera" (1962) et "La Nuit de la Grande Chaleur" (1967) de Terence Fisher, Timothy Dalton dans son premier film avant de devenir le plus singulier des 007 dans "Tuer n'est pas Jouer" (1987) et "Permis de Tuer" (1989) tous deux de John Glen, Nigel Stock aperçu dans "La Grande Evasion" (1962) de John Sturges ou "Week-End à Zuycoote" (1964) de Henri Verneuil et qui retrouve Peter O'Toole après "La Nuit des Généraux" (1967) de Anatole Litvak, puis enfin Q.Z. Whitehead surtout vu chez John Ford dans "Les Raisins de la Colère" (1940), "La Dernière Fanfare" (1958), "Les Cavaliers" (1959) et "L'Homme qui tua Liberty Valance" (1962)... Le contexte historique n'est pas franchement ce qui intéressait les auteurs à l'origine mais pourtant il faut saluer la reconstitution très réaliste et immersive, et surtout il faut saluer la cohérence avec les événements avérés et les parties fictives mais particulièrement plausibles. Les personnages sont merveilleusement écrit, concordant avec les luttes intestines de l'époque même si le récit effectue une sorte de condensé express de manoeuvres et conspirations qui se sont étalées entre 1173 et 1189.
Il y a quelques incohérences, ou maladresses anachroniques, la syphilis est un terme qui n'existait pas avant 1530, comme l'arbre de Noël n'était pas une pratique avérée avant le 16ème siècle, le pire est que Henri II/O'Toole déclare qu'il a dix ans de plus que le Pape alors que non, le Pape Lucis III avait alors 86 ans soit 36 de plus que le roi. Plus anecdotique reste une question de casting, Peter O'Toole a 25 ans de moins de Katharine Hepburn, soit au moment du tournage 36 ans pour lui et 61 pour elle, l'actrice ayant l'âge de son personnage tandis que l'acteur a été vieilli pour faire ses 49-50 ans. Le maquillage est subtil et tout juste nécessaire, le talent de l'acteur parfait ensuite toute l'illusion. Le dimension historique reste donc passionnant même si ça pêche forcément au niveau chronologique. Mais la volonté de l'auteur et du réalisateur n'est pas foncièrement l'Histoire à proprement dîte, mais plutôt la réflexion autour de la filiation, de l'héritage où comment trouver sa place au sein d'une famille de pouvoir, mais aussi la question du couple vieillissant. Sur ces thèmes le film renvoie logiquement, sur le fond comme sur la forme, à l'excellent "La Rose et la Flèche" (1976) mais ici la dimension théâtrale est plus appuyée. Les dialogues sont incisifs et les joutes verbales avec des sous-entendus plus ou moins cinglants qui donnent de l'épaisseur à ces coulisses politico-familiales ou les relations amour-haine sont constantes. Anthony Harvey signe un drame passionnant à voir et à conseiller.
Note :