Born to be Blue (2017) de Robert Budreau
Vendu comme un biopic sur le Jazzman Chet Baker, il faut absolument préciser qu'il s'agit là d'un faux biopic comme l'affirme Robert Budreau lui-même : "C'est difficile à décrire, mais disons que si vous êtes tranquille dans votre chambre et que vous mettez un disque de Chet Baker, ce film est celui que vous imagineriez. Il est fidèle à son esprit... C'est une façon de revendiquer l'absence de vérité objective d'un biopic..." ... Projet personnel du cinéaste amateur de jazz, le canadien Robert Budreau est donc sur son film scénariste-producteur-réalisateur et, bien que très documenté, il signe un film librement tiré de la vie de Chet Baker ou, plutôt, d'une partie de sa vie. Budreau se focalise donc sur une partie moins connue de sa vie car moins médiatisée -à savoir la parenthèse où Chet Baker était dans le creux de la vague- entre 1966 et 1973 après une agression violente d'une dealer. Cette agression (après sa sortie de prison en Italie grâce au célèbre producteur Dino De Laurentiis qui voyait là un bon moyen d'en faire un film !) sert de point de départ au cinéaste qui tisse ainsi 6 années ou comment Chet Baker est revenu de tout.
On est donc loin des biopics du genre comme "Bird" (1988) de Clint Eastwood, "Walk the Line" (2005) de James Mangold ou "Ray" (2005) de Taylor Hackford, on serait plutôt proche d'un "Accords et désaccords" (1999) de Woody Allen où l'inconnu Emmett Ray serait le 2ème plus grand guitariste de Jazz après Django Reihnardt, ce dernier ayant inspiré à Allen son personnage principal... La bonne idée de Budreau est d'ajouter au récit une partie en noir et blanc, iconographie des célèbres photos de l'époque afin de montrer celle ou Chet Baker était n°1 dans les années 50. La partie des années 1966-1973 étant filmée en couleur pastel ce qui crée un décalage judicieux (NB en pleine gloire, couleur dans le déclin). Le parallèle est assumé jusqu'au bout et ce, en choisissant un duo d'acteurs sublimes. Ethan Hawke en Chet Baker offre une de ses meilleures performances mais c'est aussi la présence de la magnifique Carmen Ejogo (vue dans "Selma" en 2015 de Ava DuVernay et bientôt dans "Alien : Covenant" 2017 de Ridley Scott) qui incarne deux femmes, une épouse de Baker dans les années 50 et sa nouvelle fiancée dans sa période 66-73. Budreau nous plonge donc dans l'intimité de Chet Baker alors qu'il est au plus bas, qu'il doit faire des concessions pour survivre, qu'il doit lutter contre ses vices autodestructeurs, qu'il surnage en attendant de revenir à la lumière. Rapports à ses parents, à ses amis plus ou moins fidèles, à son amour pour Jane mais aussi vis à vis de son orgueil. Des paramètres semblables à tout artiste en proie à ses démons mais ici le film ne tombe jamais dans l'écueil du pathos, du martyre ou de l'empathie facile. Budreau évite l'écueil tout aussi facile de la ségrégation (Jane étant noire à une époque charnière des Etats-Unis, le Jazz étant majoritairement une musique noire également) et évite en même temps une sous-intrigue hors-sujet.
Néanmoins, le réalisateur-scénariste aurait pu éviter quelques erreurs grossières comme le fait que le club Birdland n'existait plus entre 66 et 73. Bien que librement inspiré de la bio de Chet Baker, la référence se doit de toute façon d'être un minimum réaliste et cohérente. Malgré tout il faut bien avouer que Robert Budreau signe un film inspiré et réaliste sur Chet Baker, un film hommage d'une rédemption (artistique) dans la douleur, habité par un Ethan Hawke qui a su joué de l'improvisation et des contradictions du Jazzman. Bravo aussi à la belle Carmen Ejogo. Un beau et bon film.
Note :