La Grande Muraille (2017) de Zhang Yimou

par Selenie  -  12 Janvier 2017, 17:30  -  #Critiques de films

Officiellement production sino-américaine, on verra qu'en y regardant de plus près qu' il s'agit avant tout d'un blockbuster à l'américaine formaté pour le marché international  espérant, évidemment, cartonner sur le marché chinois. En effet le projet était au début promis au réalisateur Edward Zwick (réalisateur de "Légendes d'Automne" en 1994 et de "Le Dernier Samouraï" en 2003) avant que le scénario ne soit réécrit par des scénaristes américains (dont un certain Tony Gilroy scénariste de la saga Jason Bourne) et que l'idée d'une co-production germe dans la tête des producteurs américains afin de pénétrer le marché chinois encore très fermé. Résultat, quelques stars chinoises avec à la tête du film le plus grand réalisateur chinois de ces 30 dernières années et en prime, une méga star américaine bankable pour limiter la casse au niveau international. On doit au réalisateur Zhang Yimou des chefs d'oeuvres comme "Epouses et concubines" (1991) et "Vivre" (1993) avant de réussir un virage vers le style du film de sabres comme "Le secret des poignards volants" (2003) et "La Cité Interdite" (2006). Côté chinois sont de l'aventure la grande star Andy Lau ("Infernal Affairs" en 2004 et "Une Vie Simple" en 2011 de Ann Hui), Zhang Hanyu ("Le bataille de la Montagne du Tigre" en 2015 de Tsui Hark) et Jing Tian (encore peu connue ailleurs qu'en Chine mais en pleine ascension, bientôt dans les blockbusters "Kong : Skull Island" en 2017 de Jordan Vogt-Roberts et "Pacific Rim : Uprising" en 2018 de Steven S. DeKnight). Côté US nous avons l'expérimenté Willem Dafoe et surtout Matt Damon (Jason Bourne of course). Pour l'anecdote, il est amusant que Matt Damon joue ici avec Andy lau, ce dernier étant dans "Infernal Affairs" et l'acteur américain dans le remake "Les Infiltrés" de Martin Scorcese.

283305.jpg (529×720)

D'emblée, avec ce melting-pot au générique, le film part bancal. En effet si la Chine offre son plus grand serviteur derrière la caméra, quelques stars maison et accueille le tournage, c'est bien Hollywood qui mène la danse en gérant les effets spéciaux, signant le scénario et ayant la plus grande partie des postes décisionnaires (scénario mais aussi production et distribution). Résultat flagrant, Matt Damon est un guerrier super fort omniprésent, même son acolyte Pedro Pascal (acteur de séries encore méconnu) s'adjuge un second rôle de poids tandis que, côté chinois, seule la jolie Jing Tian a un rôle d'importance. Andy Lau lui-même se retrouve dans un petit rôle sous-exploité. Le film a connu un petit scandale, condamné de Whitewashing (favorisé un acteur blanc plutôt qu'un autre qui serait, normalement, plus "normal" de choisir au vu de l'origine des personnages) mais qui fut vite étouffé notamment après une mise au point de Zhang Yimou lui-même. Si le Whitewashing n'est ici pas en question (Matt Damon ne joue pas un chinois) il  n'en demeure pas moins que le héros joué par Matt Damon est un intrus blanc dans une Chine conquérante (outre les monstres of course) et qu'il s'attribue absolument toute la gloire et toutes les scènes marquantes du film. Les acteurs chinois se retrouvent avec les miettes d'un scénario qui ne fait pas dans la dentelle. Hollywood is Hollywood. Outre l'acting, le scénario est tout aussi clairement hollywoodien. Des idées bonnes qui sont délaissées ou des idées éculées mises en avant qui font du film une aventure cousue de fil blanc et sans surprises. Par exemple des guerrières voltigeuses magnifiquement filmées mais qui sont dans une première ligne tactiquement aussi inutile qu'inoffensives. Pourquoi la poudre n'est pas utilisée au début ?! Comment expliquer que les monstres sonnent la retraite alors qu'ils allaient gagner ?!...

la-grande-muraille-attention-aux-monstres-matt-damon-en-mauvaise-posture-dans-la-nouvelle-bande-annonce-video.jpg (530×230)

Bref, la question est surtout comment un réalisateur du calibre de Zhang Yimou a-t-il pu accepter un tel récit ?! Ce dernier s'est clairement fait bouffer par des concessions unilatérales ! Malgré un budget de 135 millions de dollars (record pour un tournage en Chine) on devine le coût si cela avait été tourné ailleurs ! Et pourtant, même avec ce budget, on est déçu également par le niveau technique. Les effets visuels sont assez hideux avec des idées peu ingénieuses. Les costumes sont superbes (repris sur documentation de la Chine du 7ème siècle avec évidemment les quelques libertés que le genre fantastique permet) mais il y a un abus des couleurs vives beaucoup trop appuyées. La reconstitution de la Grande Muraille est tout aussi stupide, alors qu'en vérité elle mesure en moyenne 7 mètres de haut pour 5 mètres de largeur, on s'aperçoit très nettement que la proportion hauteur-largeur est plus importante (la hauteur est très exagérée). En conclusion "La Grande Muraille" est un film raté, victime d'une co-production où on ne ressent jamais le partage des tâches et où, finalement, la culture chinoise ne sert que de prétexte à une histoire basique et sans âmes. Espérons que les chinois eux-mêmes ne se laisseront pas berner !... Un film hybride génétiquement modifié pour de mauvaises raisons malgré un potentiel certain. 

 

Note :                 

09/20
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :