Le Dernier Rivage (1959) de Stanley Kramer
Voilà un film rare et méconnu qui mérite un détour, un film qui doit être un des tout premiers à dénoncer la course au nucléaire. D'ailleurs la star Ava Gardner a écrit dans son autobiographie : "... J'étais fière d'avoir participé à ce film, fière du message qu'il véhiculait."... Adapté du roman "On the Beach" (1957) de Nevil Shute le scénario est signé de John Paxton qui a déjà oeuvré sur les films "Feux Croisés" (1947), "L'Equipée Sauvage" (1953) et "La Toile d'Araignée" (1955) tandis que le réalisateur est Stanley Kramer, auquel on doit aussi deux films avec Sidney Poitier "La Chaine" (1958) et "Devine qui vient diner" (1967) ainsi que "Jugement à Nuremberg" (1961). Ce film est unique et original sur deux points essentiels qui font de ce film une oeuvre à part. D'abord le sujet lui-même qui en fait un précurseur (de nombreuses critiques parlait alors de film anti-patriotique et mensonger), ensuite par l'angle de vue choisit pour le traitement du récit.
En effet pas de film catastrophe ici, pas d'explosion ni de conséquences pandémiques montrées à l'image, pas d'horreur ni panique générale... Non, le récit démarre à un point où les survivants savent que la fin est proche et chacun a eu plus ou moins le temps de s'y préparer psychologiquement. On suit donc le quotidien résigné de quelques survivants, entre soirée, mission de la dernière chance, partie de billard, idylle, discussions plus ou moins vaines, avant que la tragédie ultime n'arrive. Lancinant et innocent on semble être dans un monde apaisé, où les derniers specimens de la race humaine sont prêts à accepter leur sort. Les personnages principaux sont interpétés par les monstres sacrés Gregory Peck (militaire, impeccable comme d'habitude), Ava Gardner (alcoolique qui veut être aimé une dernière fois) et Fred Astaire (dans un de ses tout premiers rôles dramatiques et sans danses) tandis qu'on y voit Anthony Perkins (en père qui se doit d'assumer la "fin") qui n'est pas encore la star de "Psychose" (1960) de Alfred Hitchcock.
L'ambition du film réside donc dans le fait d'instiller une certaine angoisse sans pour autant montrer l'horreur nucléaire, suffit d'être toucher par les non-dits pesants et par la décision déchirante des parents. Par certains côtés le film a dû inspirer "La Planète des Singes" (1967) de Franklin J. Schaffner (et le livre de Pierre Boulle avant !)... Pourtant il y a deux aspects décevants dans le film. D'abord le descriptif d'une ville contaminée trop invraisemblable (littéralement déserte, pour ne pas dire vierge) et enfin la durée du film, 2h15 semble un peu long au vu du contenu. Néanmoins Kramer signe un film d'une intelligence remarquable sous des airs inoffensifs, d'un pessimisme assumée symbolisé paradoxalement par une banderolle à la fin du film : "There is still time... brother" ("il est encore temps... mon frère").
Note :