Election 1 & 2 (2005-2006) de Johnnie To

par Selenie  -  15 Mars 2022, 10:20  -  #Critiques de films

Johnnie To, trop souvent resté dans l'ombre de John Woo, a toujours été pourtant bien meilleur que son homologue et devrait être largement mieux considéré comme étant le vrai roi du film d'action Made in Hong-Kong. Johnnie To s'impose à l'international seulement avec "The Mission" (1999) qui était déjà son 22ème long métrage (sur les 54 à ce jour, 72 films en tout). Mais le réalisateur entrera vraiment dans la cour des grands avec une première sélection officielle hors-compétition au Festival de Cannes avec "Breaking News" (2004) avant de revenir, en compétition cette fois, avec son nouveau projet, "Election" (2005) premier opus de sa saga sur les Triades (mafia chinoise, tout savoir ICI !). Ainsi suivra dans la foulée "Election 2" (2006) pour un dyptique qui se place alors dans les grandes fresques mafieuses à l'instar de la trilogie "Le Parrain" (1972-1991) de Francis Ford Coppola pour les américains, la trilogie "Pusher" (1996-2006) de Nicolas Winding Refn pour les bas-fonds danois, ou encore la trilogie "Outrage" (2010-2017) de et avec Takeshi Kitano pour les yakuzas japonais, et bien sûr renvoie aux films "Le Syndicat du Crime" (1986-1987) de John Woo. Acclamé par la critique et majoritairement par le public, "Election" obtient le Hong Kong Film Ward du meilleur film 2006. Pour ce dyptique Johnnie To retrouve Yau Nai-Hoi, scénariste de "The Mission" et "PTU" (2003), et Yip Tin-Shing scénariste de "Breaking News", les deux ayant collaborés déjà sur le précédent film de To, "Judo" (2004) qui était par ailleurs un hommage au film "La Légende du Grand Judo" (1943) de Akira Kurosawa... "Election" où comment la plus ancienne et puissante triade de Hong-Kong, la Wo Shing Society, s'apprête à élire leur nouveau leader comme le veut la tradition pour un mandat de deux ans. Deux favoris, Lok et Big D sont en lice, les coups bas, les pourparlers et les dessous de table aussi jusqu'à ce que celui qui a perdu refuse le résultat et tente de briser la tradition ancestral du clan. "Election 2", voici deux ans que Lok est le chef du Wo Shing et une nouvelle élection se prépare. Deux nouveaux candidats se présentent, Jimmy et So, qui sont aussi les bras droits de Lok, mais ce dernier n'a pas l'intention de quitter le pouvoir quitte à modifier les règles de la Triade et à conduire à une nouvelle guerre au sein du clan...

Au casting, uniquement présent dans "Election" le couple Big D incarné par Maggie Siu actrice récurrente chez Johnnie To vue dans "PTU" (2003), "Breaking News" (2004) et "Vengeance" (2009) qui retrouve après La Rose Noire" (1992) de Jeffrey Lau son partenaire Tony Leung Ka-Fai surtout connu en France pour "L'Amant" (1992) de Jean-Jacques Annaud et qui retrouve To également après "Judo". Uniquement dans "Election 2" citons Yong You qui tourne pour To entre "Breaking News" et le collectif "Triangle" (2007). Mais surtout Johnnie To fait appel à des acteurs qu'il connaît bien, tous ont joué ou joueront dans plusieurs de ses films, ainsi presque tous ceux qui suivent ont joué ensemble par exemple dans "Breaking News", "Exilé" (2006), "Triangle", voir "Sparrow" (2008) ou encore "Vengeance (2009). Citons le plus fidèle Lam Suet présent dans une vingtaine de films de Johnnie To de "A Hero Never Dies" (1998) à "Three" (2016) en passant par "Fulltime Killer" (2001) et "Mad Detective" (2007), Cheung Siu-Fai vu dans une dizaine de To depuis "Le Vagabond" (1993), Simon Yam dans une dizaine également mais aussi un partenaire de Chow Yun-Fat dans "Une Balle dans la Tête" (1990) de John Woo et "Full Contact" (1992) de Ringo Lam, Gordon Lam qui avait déjà abordé la Triade dans l'autre fresque majeure du genre "Infernal Affairs" (2002-2003) de Andrew Lau et Alan Mak, Louis Koo également remarqué dans "The Suspect" (1998) de Ringo Lam, "La Légende de Zu" (2001) de Tsui Hark et plus récemment dans "Paradox" (2017) de Wilson Yip, Nick Cheung qui retrouve ses partenaires entre "Breaking News" et "Exilé", remarqué aussi dans "The Duel" (2000) de Andrew Lau et "The Crash (2008) de Dante Lam. Puis enfin citons Wong Tin-Lam qui incarne l'Oncle Teng, qui a tourné dans "The Mission" et "PTU" mais qui a surtout été réalisateur de plus de 120 films entre 1950 et 1980 et que Johnnie To considère comme son mentor... Le film débute au sein du clan, alors que les tractations et les débats entre les "anciens", nommés les Oncles vont bon train. C'est bavard, mais tout est cohérent et fluide, en quelques instants on comprend les tenants et aboutissants sans jamais tomber la démonstration didactique ou explicative. Les ambitions se dévoilent et on s'aperçoit que les traditions n'empêchent nullement la corruption et la cupidité. Le scénario s'avère implacable, tout s'imbrique judicieusement, quand les paroles laissent place soudainement à un déchainement de violence pour faire plier les récalcitrants. L'appât du gain, le profit est l'essence même de leur existence et pourtant tout repose sur un emblème aussi symbolique que futile mais qui reste la valeur qui fait que la tradition reste l'atout majeur du clan.

Election 1 et 2 (2005) de Johnnie To - Selenie

Chacun doit choisir son camps, Lok ou Big D, mais sous couvert de droiture, de loyauté, d'honneur, il y a autant de peur, de menace, de violence et de manipulation. La Triade est tout un paradoxe qui, pourtant, traverse les années, passe de génération en génération et évolue avec son temps. Ainsi dans le second opus Johnnie To passe un cap qui rend encore plus passionnant l'intrigue, à savoir que Hong Kong a été rétrocédé à la Chine en 1997 et que près de 10 ans ont passé pour un constat que le réalisateur explique : "Je m'interroge sur leur avenir. Que vont devenir les Triades ? Les changements politiques auront forcément une incidence sur le cours de leur existence. Les implications politiques de ces deux films sont claires, et incontournables. Depuis la rétrocession, on parle liberté de la presse, suffrage universel, démocratie... Mais avons-nous la maturité nécessaire pour ces nouveaux concepts ? (...) Avant 1997 et la rétrocession, aucun britannique n'aurait jamais dit la phrase qu'a prononcé récemment un officier chinois, Tao Siju : "Les Traides peuvent aussi être patriotiques." (!) Dans cette seconde partie la Chine entre donc dans le jeu, et pas de la façon dont on pourrait croire. Le récit devient alors aussi ambigu et complexe que les tractations intra-familiales du clan triadique. Les deux "Election" forment donc une métaphore maline et ludique de la situation de Hong Kong, du système démocratique de l'élection du chef au sein de la Triade à la question du poids de la Triade au sein du système économique en passant la responsabilité ou non des dirigeants. En prime évidemment un scénario qui nous plonge dans les coulisses de la Triade, leurs codes et préceptes, bien que très documenté, très réaliste Johnnie To n'en fait pas pour autant un docu-fiction et reste cohérent avec une mise en scène rythmée et nerveuse même dans les rapports "courtois" et dialogués, servis par des acteurs charismatiques tous impressionnants. On notera aussi un jeu remarquable sur les personnages dont on ne sait jamais si ils vont gagner en importance ou non, si ils vont disparaître ou non, la pyramide reste fragile mais passionnante. Johnnie To signe avec ces deux films un chef d'oeuvre cohérent, fascinant aux propos riches et denses tout en étant un thriller pur et stylisé. Remarquable.

 

Note :      

 

18/20

 

Pour info bonus, Note de mon fils de 12 ans :               

13/20
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