Le Rideau Déchiré (1966) de Alfred Hitchcock

par Selenie  -  13 Juin 2022, 08:46  -  #Critiques de films

50ème long métrage de fiction de Alfred Hitchcock qui change de style visuel et de registre pour son nouveau projet après la quintessence psychologique de son cinéma avec "Pas de Printemps pour Marnie" (1964).  Depuis quelques années le cinéaste est passionné par l'affaire dite des "5 de Cambridge" (Tout savoir ICI !), soit le destin d'espions russes de 5 britanniques recrutés dès leurs études dans les années 30 et avant qu'ils ne deviennent des diplomates. Le cinéaste revient à l'espionnage après des années 30 fructueuse dans le genre, mais souhaite aussi revenir à un de ses sujets récurrents, le soupçon conjugal souvent instillé dans ses récits. L'échec relatif mais réelle déception au box-office de son précédent film pousse aussi sans doute Hitchcock à reprendre le genre espionnage qui a alors le vent en poupe avec la saga des 007 dont l'énorme succès "Opération Tonnerre" (1965) de Terence Young mais aussi le bel accueil de "L'Espion qui venait du Froid" (1965) de Martin Ritt. Au départ il demande un scénario à James Goldman auteur qui décline finalement prit par sa pièce à succès qui va connaître une adaptation ciné avec "Le Lion en Hiver" (1968) de Anthony Harvey, puis il demande à Vladimir Nabokov romancier mondialement connu grâce à son roman et le film éponyme "Lolita" (1962) de Stanley Kubrick à qui Hitchcock précise qu'il faut centrer l'histoire sur "le problème de la femme qui est associée, soit par mariage, soit par engagement, à un transfuge" mais une fois de plus l'écrivain décline. Finalement le cinéaste choisit un autre écrivain, Brian Moore dont on peut citer les livres "Judith Hearne" (1955) ou "Une Réponse des Limbes" (1962) et qui écrira encore quelques films comme "Le Sang des Autres" (1984) de Claude Chabrol, "Black Robe" (1991) de Bruce Beresford et "Crime contre l'Humanité" (2003) de Norman Jewison. Précisons que le titre fait évidemment référence au Rideau de Fer (Tout savoir ICI !). Le film confirme un tournant puisque Hitchcock n'est plus entouré par ses fidèles collaborateurs avec qui il a pu offrir une décennie prodigieuse, exit son directeur photo Robert Burks, exit son monteur George Tomasini, et comme un signe, le cinéaste ne retient finalement pas la partition de son compositeur fétiche Bernard Hermann dont le style musical est alors considéré comme plus dans l'air du temps. Il est remplacé par John Addison, oscarisé depuis peu pour son travail sur le film "Tom Jones" (1963) de Tony Richardson... Un chercheur en physique nucléaire, Armstrong, quitte sa fiancée brutalement et lui dit qu'il part pour Stockholm en Suède. Mais intriguée elle décide de le suivre après avoir appris qu'il partait en réalité pour Berlin-Est où il est accueilli en héros, transfuge pour aider les soviétiques dans la recherche nucléaire. Elle est abasourdie, lui est fâchée mais elle décide dans un premier temps de rester auprès de l'homme qu'elle aime... 

Chose assez rare pour Hitchcock, cette fois il n'a pu choisir ses acteurs principaux, alors qu'il souhaitait reformer le duo de "La Mort aux Trousses" (1959) avec Eva Marie Saint et Cary Grant la production a voulu assurer suite à l'échec (relatif rappelons-le) de "... Marnie" en imposant deux stars bankables (et rappelant que Eva Marie Saint avait déjà 42 ans), Julie Andrews et Paul Newman tous deux au sommet. Si pour Newman le réalisateur était plutôt confiant, il n'en était rien pour Julie Andrews qu'il ne trouvait pas crédible en assistante physicienne ajoutant : "le public va s'attendre à ce qu'elle chante." Le transfuge est donc incarné par Paul Newman star déjà légendaire avec des films comme "La Chatte sur un Toit Brûlant" (1958) de Richard Brooks, "L'Arnaqueur" (1961) de Robert Rossen ou "Le Plus Sauvage d'entre Tous" (1963) de Martin Ritt. Sa fiancée et assistante est interprétée par Julie Andrews qui est alors toute auréolée des incroyables succès de "Mary Poppins" (1964) de Robert Stevenson et "La Mélodie du Bonheur" (1965) de Robert Wise sans omettre, n'en déplaise à Hitchcock, un drame non musical avec "Les Jeux de l'Amour et de la Guerre" (1964) de Arthur Hiller. Parmi les officiels soviétiques ou est-allemands nous avons Wolfgang Kieling vu dans "La Mystérieuse Madame Cheney" (1961) de Franz Josef Wild ou "Le Congrès s'amuse" (1965) de Géza Von Radvanyi, Ludwig Donath vu dans "Les Bourreaux meurent aussi" (1943) de Fritz Lang, "La Septième Croix" (1944) de Fred Zinnemann et "Gilda" (1946) de Charles Vidor, Hansjörg Felmy vu dans "Le Joueur d'Echecs" (1960) de Gerd Oswald ou "Le Bourreau de Londres" (1963) de Edwi Zbonek. Citons ensuite Lila Kedrova vue entre autre dans "Razzia sur la Chnouf" (1955) de Henri Decoin, "Zorba le Grec" (1964) de Michael Cacoyannis, Tamara Toumanova vue dans "Invitation à la Danse" (1956) de Gene Kelly ou plus tard dans "La Vie Privée de Sherlock Holmes" (1970)  de Billy Wilder, David Opatoshu vu dans "Traquenard" (1958) de Nicholas Ray ou "Exodus" (1960) de Otto Preminger après lequel il retrouve donc son partenaire Paul Newman, puis enfin Mort Mills vu dans "La Soif du mal" (1958) de et avec Orson Welles et qui retrouve Hitchcock après "Psychose" (1960)... Le film reprend visuellement le style terne et grisâtre qui convient alors aux films d'espionnage sur fond de Guerre Froide, le cinéaste entre dans une nouvelle phase en laissant le technicolor flamboyant de ses derniers films. Dans les années 30 Hitchcock signait des films d'espionnages anti-nazis, après 39-45 le monde a changé et s'est évertué à explorer les âmes sombres de l'être humain dans certains des plus grands thrillers du cinéma, et après la Crise de Cuba en 1962, le réalisateur semble être poussé à revenir à une actualité qui permet un retour à l'espionnage. En pleine Guerre Froide un film d'espionnage n'est pas anodin, à l'insu de son plein gré un tel film se doit d'être aussi un film de propagande d'où quelques clichés avec les ruines du Berlin-Est, une comtesse polonaise déchue, cigares et cognac comme un luxe des cadres communistes...

Der zerrissene Vorhang (1966) – TV & Filmberichte

L'intrigue se met en place assez vite, avec l'idée que cette fois le transfuge ne se fait pas d'Est en Ouest mais l'inverse, un grand savant américain passe en bloc soviétique sans que personne ne semble comprendre pourquoi, encore moins sa fiancée. La vraie bonne idée est de placer le récit sous le point de vue de la conjointe, malheureusement ça change assez brusquement en milieu de film pour se focaliser plus sur les actions plus ou moins héroïques de l'homme. Il semble que ce changement soit une volonté de la production et de l'aura de la star Paul Newman, ce dernier ayant eu une relation conflictuelle avec Hitchcock. En effet, l'acteur est issu de l'Actor Studios ce qui implique qu'il veut savoir et comprendre les actions et réactions de son personnage même ce qui paraît insignifiant ce qui va à l'encontre du système Hitchcockien. Par exemple, pour la scène du meurtre à la ferme, Newman ne comprenait pas pourquoi le fermière aidait au meurtre ce à quoi le cinéaste lui aurait répondu un cinglant "Pourquoi vous aide-t-elle ? Parce qu'elle vient tourner la scène au studio aujourd'hui !" D'ailleurs cette scène du meurtre reste une séquence marquante du film qui a été directement inspiré à Hitchcock par une scène du film "Cape et Poignard" (1946) de Fritz Lang. Les autres scènes importantes sont la fuite en bus et surtout le passage au musée très stylisé où le son à une importance capitale. L'autre bon point réside dans ses dialogues, ciselés et cohérents, ils sont signés de Keith Waterhouse et Willis Hall, qui ne seront pas crédités car leur travail ne sera pas jugé essentiel par le syndicat Writers Guild. Le réalisateur aura été frustré tout le long du tournage de ne pas avoir pu choisir ses acteurs, et met l'échec du film sur ces choix comme il le confirmera à François Truffaut : "Nous aurions fait un bien meilleur travail sans Julie Andrews et Paul Newman. De la mauvaise cuisine, voilà ce que cela a été. Si l'on compte les frais généraux, ils ont coûté un million huit cent mille dollars, ce que je trouve honteux. Dépenser autant d'argent pour un erreur  de distribution !" Force est de constater, Newman n'est pas investi et semble un peu perdu, il ne tournera pas avec Hitchcock, comme Julie Andrews qui s'en sort pourtant beaucoup mieux que son partenaire. Comme durant les années 40, surtout avec le producteur Selznick, Hitchcock n'a pas eu les coudées franches sur ce film néanmoins le film reste prenant et efficace grâce à un scénario tendu et rythmé entrecoupé de séquences mémorables. 

 

Note :                

15/20
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