La Mort aux Trousses (1959) de Alfred Hitchcock
Désormais oscillant entre télévision avec sa série TV "Alfred Hitchcock Presents" et cinéma dont sa dernière réussite "Sueurs Froides" (1958), le réalisateur se voit proposer un film par la mythique MGM, célèbre Major qui a le "plus d'étoiles que dans le ciel" a mal amorcé les années 50 et l'émergence de la télévision, à tel point que le studio enregistre en 1957 pour la première fois de son histoire une perte financière. Alfred Hitchcock, bien qu'en contrat avec la Paramount il est non exclusif, est donc une option réfléchie afin de relancer la machine, le cinéaste est en effet dans une bonne période avec plusieurs succès ces dernières années dont "L'Homme qui en Savait Trop" (1956). Le cinéaste accepte volontiers d'autant plus que la MGM lui propose dès 1957 un contrat en or qui lui donne le Final Cut et le budget le plus élevé qu'il a pu avoir jusqu'ici soit près de 3,1 millions de dollars et qui montera encore d'un bon million. La MGM propose également à Hitchcock de collaborer avec Ernest Lehman, scénariste de "Sabrina" (1954) de Billy Wilder et "Marqué par la Haine" (1956) de Robert Wise, réalisateur qu'il retrouvera d'ailleurs pour les succès mondiaux "West Side Story" (1961) et "La Mélodie du Bonheur" (1965). Les deux hommes s'entendent bien, ils se retrouveront d'ailleurs pour l'ultime film du maître "Complot de Famille" (1976). Ils commencent à travailler sur un roman mais le cinéaste préfère finalement développer une histoire originale dont il a déjà le titre "L'Homme dans le Nez de Lincoln" qui changera encore plusieurs fois dont "In a Northwesterly Direction". Les deux co-auteurs vont alors s'inspirer de deux affaires, l'affaire Galindez (tout savoir ICI !) et enfin une affaire qui a été apporté à Hitchcock par Otis Guernsey, éminent critique théâtral qui lui soumet par courrier un projet sur un fait réel : au Moyen-Orient durant 39-45, deux agents d'une ambassade britannique invente un faux espion pour attirer les allemands sur de fausses pistes, Guernsey précise au cinéaste : "L'ennemi a tout gobé et dépensé un temps et une énergie considérables pour traquer cet agent imaginaire" ! Pour remercier Otis Guernsey, le réalisateur demandera une rallonge budgétaire pour rémunérer ce dernier... Un publiciste, Roger Thornhill, se fait kidnapper. Il comprend vite qu'il a été pris par erreur pour un certain George Kaplan mais ses ravisseurs n'y entendent rien et décident de le tuer en faisant passer ça pour un accident. En réchappant, Thornhill va tenter de prouver qu'il n'est pas George Kaplan et qu'on a bien voulu l'assassiner. Thornhill trouve des indices cohérents prouvant que Kaplan ne peut pas être lui mais pas assez probant pour convaincre les tueurs à ses trousses...
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Après "Sueurs Froides", James Stewart voulait obtenir ce rôle mais Hitchcock voulait retrouver Cary Grant, à tel point que le cinéaste a attendu que Stewart soit engagé pour un autre projet pour lancer son film et ainsi avoir Cary Grant qu'il a fallu convaincre puisque ce dernier se trouvait trop vieux pour ce film ; ironie du sort, l'acteur dans ce rôle avait pousser les producteurs de EON Productions de le choisir pour incarner un certain "James Bond contre Dr. No" (1962), ce qui sera un refus de l'acteur parce qu'il se trouvait encore trop vieux ! Le héros est donc incarné par Cary Grant qui retrouve donc Hitchcock pour la 4ème et dernière fois après "Soupçons" (1941), "Les Enchaînés" (1946) et "La Main au Collet" (1955). Par là même, Hitchcock espérait Vera Miles dans le rôle principal féminin, mais son actrice de "Le Faux Coupable" (1956) qu'il avait déjà pu engager pour "Sueurs Froides", rêvait encore à Grace Kelly mais finalement il retient Eva Marie Saint vue dans "L'Arbre de Vie" (1956) de Edward Dmytryk, et nouvelle ironie du sort, révélation de "Sur les Quais" (1954) de Elia Kazan dans un rôle refusé par Grace Kelly qui préféra jouer pour Hitchcock dans "Le Crime était Presque Parfait" (1954). La maman de Thornhill/Grant est interprétée par Jessie Royce Landis qui était déjà partenaire de Cary Grant la maman de Grace Kelly dans "La Main au Collet", mais on constatera cette fois-ci que la différence d'âge entre la mère et son fils est cette fois peu cohérente. Le chef d'équipe de la CIA est incarné par Leo G. Carroll qui reste l'acteur ayant le plus joué pour Hitchcock soit 6 films depuis "Rebecca" (1940) jusqu'à "La Mort aux Trousses". Les antagonistes sont joués par James Mason, monstre sacré trop souvent oublié ou méconnu pourtant à la tête d'une des filmographies les plus prestigieuses de Hollywood avec entre autre "Pandora" (1951) de Albert Lewin, "20000 Lieues sous les Mers" (1954) et "Mandingo" (1975) tous deux de Richard Fleischer, "Lolita" (1964) de Stanley Kubrick ou encore "Ces Garçons qui Venaient du Brésil" (1978) de Franklin J. Schaffner, puis Martin Landau alors en début de carrière qu'on verra plus tard dans "Ed Wood" (1994) et "Sleepy Hollow" (1999) tous deux de Tim Burton mais qui deviendra populaire grâce aux séries TV "Mission Impossible" (1966-1968) ou encore "Cosmos 1999" (1975-1976), et retrouvera après "Nevada Smith" (1966) de Henry Hathaway sa partenaire Josephine Hutchinson vue dans "le Fils de Frankenstein" (1939) de Rowland V. Lee et "L'Aventure Fantastique" (1955) de Roy Rowland. Citons ensuite Adam Williams vu dans "Les Diables de Guadalcanal" (1951) de Nicholas Ray et "Règlement de Comptes" (1953) de Fritz Lang, Edward Platt vu dans "La Fureur de Vivre" (1955) de Nicholas ray, "Ecrit sur du Vent" (1956) de Douglas Sirk et "La Femme Modèle" (1957) de Vincente Minnelli, puis Philip Coolidge vu dans "12 Hommes en Colère" (1957) de Sidney Lumet et "Le Génie du Mal" (1959) de Richard Fleischer... Pour commencer, notons que ce film est le seul et unique film MGM filmé en Vistavision, système normalement exclusivement Paramount expliqué par l'accointance de Hitchcock avec les deux studios pour ce film. Le film ne perd pas de temps, l'intrigue, le premier rebondissement arrive très vite et enchaînent les événements à une vitesse de croisière qui aura rarement été aussi soutenue et surtout complètement contrôlée et gérée.
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Ce qui frappe est que (pour ceux qui ont vu un maximum des films de Hitchcock des années 20 à 50) le cinéaste semble avoir compilé le meilleur de son cinéma d'espionnage en ayant amélioré tout ses principes et thématiques du genre. D'ailleurs Hitchcock lui-même confirme : "Les peintres peignent toujours la même fleur. Ils commencent par la peindre lorsqu'ils n'ont aucune expérience, et ensuite ils la peignent en profitant de toute l'expérience qu'ils ont acquise." Ainsi on constate et on se rappelle du même coup quelques uns de ses grands films dont il reprend certains paramètres. Par exemple on peut noter l'organisation secrète ou le monument historique dans "La Cinquième Colonne" (1942), le Macguffin ou le baiser langoureux dans "Les Enchaînés" (1946), l'humour classe et les sous-entandus sexuels façon "La Main au Collet" (1955) sans compter l'omniprésence du faux coupable dans sa filmo, et sans oublier l'icônique de la blonde froide à la sensualité sophistiquée à la façon d'un Grace Kelly dans "Fenêtre sur Cours" (1954)... La blonde hitchcockienne qui a cette fois les charmes de Eva Marie Saint à qui le réalisateur a donné seulement trois indications : parler d'une voix grave, ne pas utiliser ses mains, regarder Cary Grant droit dans les yeux. Outre le grand final mythique sur le Mont Rushmore, le réalisateur parsème son récit d'autres monuments icônique avec d'abord le siège des Nations Unies, scène que Hitchcock a dû filmé en quasi caméra cachée pour tout le passage de l'entrée (on peut notamment remarquer un badaud qui se retourne reconnaissant Cary Grant) après avoir essuyé un refus de tourner dans les lieux, puis on admire la magnifique maison de Van Damme/Mason que la légende a attribué à l'architecte Frank Lloyd Wright, mais qui a été construite de façon partielle en s'inspirant d'une maison célèbre signée de l'architecte, la Maison de la Cascade. L'autre séquence culte est la scène de l'avion qui poursuit Thornhill/Grant en plein soleil dans un lieu désertique. Et pourtant c'est aussi le passage le plus incohérent d'un point de vue scénaristique puisque c'est Eva Kendall/Marie Saint qui envoie Thornhill sur ce lieu de rendez-vous. Néanmoins, ce passage a été voulu par Hitchcock parce qu'il voulait prendre à contre pied l'idée qu'un terrible péril survient toujours par surprise la nuit. Sur cette scène Truffaut expliquera alors qu'il était encore au Cahier du Cinéma, que grâce à cette scène "Hitchcock place le cinéma comme un art abstrait "comme la musique". Le cinéaste habille son film de scènes icôniques et mythiques jusqu'à la dernière seconde, trompant une éventuelle censure (un couple ne peut faire l'amour que si il est marié, normalement !) par des dialogues subtils et un double raccord elliptique aussi génial que savoureux. Un raccord qui est à l'image de tout le film, soit la quintessence du cinéma hitchcockien, une intrigue à suspense, à tiroir, avec aventure et amour sans omettre un minimum de classe et d'éducation même dans le crime. Le film est un grand succès jusqu'à être le 6ème film le plus rentable de 1959 aux Etats-Unis. Un succès qui a ravi la star Cary Grant qui avait failli dire non au film, et qui a avait eu des difficultés à comprendre toute l'intrigue. Si ravi que l'acteur, peu de temps après, croisé par hasard Hitchcock à la cafeteria de la MGM et se prosterna au pied du cinéaste devant tout le monde pour le remercier de lui avoir offert un si beau rôle ! Effectivement, si on devait choisir un film dans la filmo du maître qui serait comme un summum de son cinéma "La Mort aux Trousses" serait le choix évident. Un chef d'oeuvre à voir, à revoir et à conseiller.
Note :
Pour info bonus, Note de mon fils de 13 ans :