Complot de Famille (1976) de Alfred Hitchcock

par Selenie  -  4 Juillet 2022, 09:06  -  #Critiques de films

Après quelques échecs Alfred Hitchcock a pu renouer avec le succès et la réussite grâce à l'excellent "Frenzy" (1972). D'abord séduit par l'idée d'un nouveau projet de film d'espionnage et ce, malgré les échecs qu'il a connu sur ce genre, il finit par choisir un tout autre genre après que William Link et Richard Levinson, deux scénaristes ayant écrit pour "Alfred Hitchcock Present", lui propose de lire le roman "The Rainbird Pattern" (1972) de Victor Canning, auteur ayant déjà été adapté sur grand écran avec entre autr "Chasse aux Espions" (1950) de George Sherman, "La Maison des 7 Faucons" (1959) de Richard Thorpe ou "Shark !" (1969) de Samuel Fuller. Il choisit comme scénariste Ernest Lehman qu'il retrouve après "La Mort aux Trousses" (1959), et qui est devenu particulièrement renommé dans son domaine notamment en ayant signé les énormes succès de Robert Wise avec d'abord "Marqué par la Haine" (1956) et surtout "West Side Story" (1961) et "La Mélodie du Bonheur" (1965). Hitchcock rappelle à son collaborateur que l'adaptation ne doit en rien être fidèle au roman : "Je n'ai aucun respect pour le livre. C'est notre histoire, pas celle du livre." Mais les soucis de santé du cinéaste et plusieurs désaccords entre eux font que le scénario n'est finalisé qu'en 1975. Le film reste un joli succès amassant plus de 4 fois la mise (pour un budget de 3 millions de dollars) rien que sur le sol américain. Notons que le film reçoit le prix Edgar-Allan Poe du meilleur scénario... La riche miss Rainbird aimerait léguer sa fortune à son neveu Edward et demande l'aide de la voyante Blanche pour tenter de retrouver sa trace. Mais Blanche est en fait une escroc en cheville avec George, qui est en parallèle chauffeur de taxi. Néanmoins, le chèque de 10000 dollars promis par miss Rainbird s'il retrouve le neveu pousse le duo à enquêter sérieusement. Bientôt George s'intéresse de près à un certain Arthur Adamson, joaillier qui se livre en secret à des kidnappings très lucratifs assisté de la belle Fran. La rencontre entre les deux couples d'escrocs ne va pas être sans heurts...

Comme depuis "L'Étau" (1969), Hitchcock s'abstient encore de faire appel à des stars internationales. Le casting est composé de vedettes connues mais non bankables. Le couple voyant-détective est incarné par Barbara Harris vue notamment dans "Plaza Suite" (1971) de Arthur Hiller et plus tard dans "La Vie Privée d'un Sénateur" (1979) de Jerry Schatzberg, puis Bruce Dern qui retrouve Hitchcock après "Pas de Printemps pour Marnie" (1964) et vu ensuite dans "On Achève bien les Chevaux" (1969) de Sydney Pollack et encore dernièrement fidèle de Tarantino avec "Django Unchained" (2012), "Les Huit Salopards" (2015) et "Once Upon a Time in Hollywood" (2019). Le duo retrouve respectivement après "Nashville" (1975) de Robert Altman et "Gatsby le Magnifique" (1974) de Jack Clayton leur partenaire Karen Black vue également dans "Easy Rider" (1969) de et avec Dennis Hopper, et elle forme donc l'autre duo au côté de William Devane vu dans "John McCabe" (1971) de Robert Altman et "Marathon Man" (1976) de John Schlesinger. Pour l'anecdote, le rôle de ce dernier était au départ dévolu à Roy Thinnes, vedette de la série TV "Les Envahisseurs" (1967-1968), dont on aperçoit d'ailleurs la silhouette au début du film, mais quand le réalisateur s'aperçu que Devane était libre il renvoya Thinnes. Dans les seconds rôles citons Cathleen Nesbitt aperçue dans "Elle et Lui" (1957) de Leo McCarey et "French Connection 2" (1975) de John Frankenheimer après lequel elle retrouve son partenaire Ed Lauter vu dans "Rage" (1972) de et avec George C. Scott, "King Kong" (1976) de John Guillermin et plus tard "Né un 4 Juillet" (1989) de Oliver Stone et "True Romance" (1993) de Tony Scott, et qui retrouve après "Le Flic se Rebiffe" (1974) de Roland Kibbee et Burt Lancaster son compère Charles Tyner vu dans "Luke la Main Froide" (1967) de Stuart Rosenberg, "Jeremiah Johnson" (1972) de Sydney Pollack ou "Josey Wales" (1976) de et avec Clint Eastwood. Citons encore Katherine Helmond vue juste avant dans "L'Odyssée du Hindenburg" (1975) de Robert Wise, plus tard auprès de Terry Gilliam et les Monty Python dans "Bandits, Bandits" (1981), "Brazil" (1985) et "Las Vegas Parano" (1998) mais qui sera surtout populaire pour son rôle de grand-mère dans la série TV "Madame est Servie" (1984-1992), puis Edith Atwater vue dans "Doux Oiseaux de Jeunesse" (1962) de Richard Brooks et "Cent Dollars pour un Shérif" (1969) de Henry Hathaway, Nicholas Colasanto vu dans "La Dernière Chance" (1972) de John Huston et "Raging Bull" (1980) de Martin Scorcese, Marge Redmond vue dans "Le Dortoir des Anges" (1966) de Ida Lupino, "La Grande Combine" (1966) de Billy Wilder et "Johnny s'en Va en Guerre" (1971) de Dalton Trumbo, Richard Hale vu dans "Scaramouche" (1952) de George Sidney ou "Du Silence et des Ombres" (1962) de Robert Mulligan, et enfin Louise Lorimer vue dans "L'Héritière" (1949) de William Wyler, "Le Génie du mal" (1959) de Richard Fleischer et qui retrouve Bruce Dern et Hitchcock après  "Pas de Printemps pour Marnie" (1964)... Pour la musique, ce film est l'unique collaboration entre le maître du suspense et le compositeur John Williams qui vient d'entrer au Panthéon des musiques de film avec "Les Dents de la Mer" (1975) de Steven Spielberg et juste avant d'entrer dans la légende avec le thème de "La Guerre des Etoiles" (1977) de George Lucas... Après avoir fait un pas vers la nudité avec "Frenzy", Hitchcock s'impose de nouvelles méthodes pour être plus en phase avec l'air du temps car en effet les seventies voient arriver un nouveau cinéma, une nouvelle génération. Ainsi, comme le confirmera le scénariste Ernest Lehman, le cinéaste expurge du roman tous les paramètres qui semblent pourtant très hitchcockien comme l'enquête des policiers qui devient très secondaire, pas de personnage qui symboliserait le bien, et jusque dans la mise en scène où cette fois le réalisateur limite les gros plans symboliques et permet même à ses acteurs des séquences d'improvisation.

Sur ce film Hitchcock favorise la comédie, les passages décalés, un peu de fantaisie avec un suspense qui repose avant tout sur un simple quiproquo : un joaillier kidnappeur qui se croit en danger car recherché par un chauffeur de taxi qui a tout du détective privé menaçant car mystérieux. On s'attache d'abord au couple d'escroc voyante-taxi, escrocs à la petite semaine qui restent sympathiques grâce à un côté looser et peu dangereux. Néanmoins les séances de voyance ne sont pas assez crédibles, elles sont même ridiculement théâtrales ; Barbara Harris est bien mignonne mais son surjeu agace un tantinet, tandis que Bruce Dern sort son épingle du jeu avec son petit côté Elliott Gould dans "Le Privé" (1973) de Robert Altman. L'autre couple est tout aussi bancal, Karen Black est parfaite en femme fatale mais est légèrement sous-exploitée face à un Devane savoureusement maléfique. Ce film est donc un des rares de Hitchcock où les femmes sont des personnages qui déçoivent un peu, manquant de chair. On apprécie néanmoins ce parallèle entre les deux couples, ce chassé-croisé entre maladresses et malentendus avec un filigrane une critique de la religion et de la spiritualité en générale. Par contre on est déçu par quelques incohérences comme cette coïncidence trop évidente pour être crédible lors du rapt dans l'église, et la cachette du diamant que seul connaît à priori le joaillier Adamson/Devane avant une ligne de dialogue qui sous-entend que sa partenaire Fran/Black est en fait au courant (?!). On notera le clin d'oeil à "Psychose" (1960) avec une rue qui porte le nom de "Bates Ave". Dans le genre, si le réalisateur s'impose une certaine évolution dans la forme il renoue dans le genre avec ces duos de ses années 30 britanniques. Le point d'orgue reste sans nul doute la course folle où Hitchcock instaure la peur (accident ?!) et le rire (panique de Blanche/Harris). Ce film est surtout le 55ème long métrage de fiction du maître qui ne sait alors pas que ce sera son dernier film. Alfred Hitchcock pense ensuite revenir à l'espionnage avec "The Short Night", projet qui date de 1970 mais vu les échecs de ses derniers films d'espionnage il avait mis de côté cette idée. Malheureusement, trop diminué le projet tardera à vor le jour et finalement il sera son ultime projet avorté avant sa mort en 1980. "Complot de Famille" est donc le dernier film du maître du suspense. Un film sympathique, qui montre encore que Hitchcock savait évoluer, savait oser et était ouvert à d'autres idées. Un film qui n'est assurément pas un chef d'oeuvre, mais on passe un bon moment avec ce film qui reste malheureusement surtout connu comme étant le dernier des derniers siglé Hitchcock.

 

Note :      

 

14/20
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