Frenzy (1972) de Alfred Hitchcock
Avant-dernier long métrage de Alfred Hitchcock et de retour en Angleterre après "L'Homme qui en Savait Trop" (1956), qui était déjà une exception puisque sa période anglaise prend fin avec "La Taverne de la Jamaïque" (1939). Il s'agit d'une adaptation du roman "Goodbye Piccadilly, Farewell Leicester Square" (1966) de Arthur La Bern, avec au scénario Anthony Shaffer qui va soudain connaître une reconnaissance mondiale avec à la suite les chefs d'oeuvre "Le Limier" (1972) de Joseph L. Mankiewicz dont il écrit la pièce originale et "The Wicker Man" (1973) de Robin Hardy. Le cinéaste change pour "Frenzy" d'un ancien projet avorté sur "l'histoire d'un impuissant qui s'exprime donc par le meurtre". L'histoire se déroule au marché de Covent Garden, là même où le père Hitchcock alors épicier emmenait son fils. Le cinéaste imagine déjà une promo autour de son retour en terre natale avec un bon film forcément. Pour la promo d'ailleurs, Hitchcock aura aussi la malice de se mettre en scène dans un magasin où il demande au vendeur des cravates pour un ami qui étrangle les femmes ! Après les échecs de ses derniers films "Le Rideau Déchiré" (1966) et "L'Etau" (1969), cette fois le cinéaste n'obtient qu'un budget limité de 2 millions de dollars ce qui explique sans doute que le film n'a pas de stars à l'affiche. Néanmoins, le film permet à Hitchcock de renouer avec le succès puisque le film reçoit un bon accueil critique et public engrangeant au box-office plus de 8 fois la mise. Hitchcock Malheureusement, plus personnellement, l'épouse du réalisateur et fidèle collaboratrice Alma Reville subit une attaque cardiaque lors du tournage qui lui laissera des séquelles. Le film aura une sortie limitée dans de nombreux pays, notamment en France où il sera interdit au moins de 12 ans... Londres est terrorisé depuis quelques temps par un tueur en série qui violent ses victimes avant de les étrangler avec une cravate. A peine viré de son boulot de barman Richard "Dick" Blaney rend visite à son ex-femme avec qui il s'entend bien mais elle est retrouvée morte peu après son passage. Il devient vite alors le suspect idéal mais heureusement il peut compter sur l'aide d'amis dont son ancienne collègue Babs et son voisin Robert "Bob" Rusk...
Dick est incarné par Jon Finch qui commence juste à être connu après les films "Un Dimanche comme les Autres" (1971) de John Schlesinger et "Macbeth" (1971) de Roman Polanski. Le voisin Bob est interprété par Barry Foster vu dans "La Bataille d'Angleterre" (1969) de Guy Hamilton et surtout "La Fille de Ryan" (1970) de David Lean, plus tard citons les films "Chaleur et Poussière" (1983) et "Maurice" (1987) tous deux de James Ivory. La serveuse Babs est jouée par Anna Massey (fille de l'acteur Raymond Masey) retrouve un tueur en série après un précédent grand film "Le Voyeur" (1960) de Michael Powell et vue depuis dans "Bunny Lake a Disparu" (1965) de Otto Preminger, "Aux Sources du Nil" (1990) de Bob Rafelson ou encore "Crimes à Oxford" (2008) de Alex de La Iglesia. L'ex-femme est jouée par Barbara Leigh-Hunt surtout connue au théâtre mais vue encore entre autre dans "Orgueil et Préjugés" (1995) de Simon Langton et "Billy Elliott" (2000) de Stephen Daldry. Citons ensuite Alec McCowen surtout connu pour être "Q" dans "Jamais plus Jamais" (1983) de Irvin Kershner, puis dans "Le Temps de l'Innocence" (1993) et "Gangs of New-York" (2002) tous deux de Martin Scorcese, Vivien Merchant (fille du dramaturge Harold Pinter) vue dans "Alfie le Dragueur" (1966) de Lewis Gilbert et "The Offence" (1972) de Sidney Lumet, Billie Whitelaw vue ensuite dans "La Malédiction" (1976) de Richard Donner, retrouvant Barry Foster dans "Maurice", puis dans "Jane Eyre" (1996) de Franco Zeffirelli et "Hot Fuzz" (2007) de Edgar Wright, Michael Bates vu dans "Docteur Folamour" (1964) et "Orange Mécanique" (1971) tous deux de Stanley Kubrick et "Patton" (1970) de Franklin J. Schaffner, Jean Marsh aperçue dans "Cléopâtre" (1963) de J.L. Mankiewicz et surtout connue en reine Bavmordia dans "Willow" (1988) de Ron Howard, puis enfin n'oublions pas Elsie Randolph qui retrouve Hitchcock 40 ans après "A l'Est de Shanghaï" (1932)... Pour la musique le cinéaste a demandé à Henri Mancini, compositeur fétiche de Blake Edwards, mais quand le musicien a proposé son travail Hitchcock s'est écrié : "Si j'avais voulu Bernard Herrmann je l'aurais engagé !" rappelant que ce dernier a été un collaborateur majeur de Hitchcock entre "Mais qui a tué Harry ?" (1955) et "Pas de Printemps pour Marnie" (1964). En fait, il ne voulait pas d'une musique trop parlante, qui annoncerait trop la violence à venir. Finalement, le réalisateur le remplace par Ron Goodwin moins réputé malgré quelques films connus comme "Le Village des Damnés" (1960) de Wolf Rilla, et sur tout les films de guerre "Quand les Aigles Attaquent" (1968) de Brian G. Hutton ou "La Bataille d'Angleterre" (1969) de John Guillermin... Après deux films d'espionnages assez peu convaincants faut bien le dire, Hitchcock revient à un genre qui lui a plus souvent réussi avec son thème de prédilection : le faux coupable. Mais au départ on pense qu'il met en place le whodunit, avant de nous désigner directement le coupable. La suite repose donc sur le fait de savoir comment le héros va s'en sortir, mais le réalisateur va aussi aller beaucoup plus loin que dans ses précédents films les seventies ouvrant sans nul doute plus de perspectives.
Le film prend ainsi une dimension inédite dans un film d'Hitchcock, un viol pervers suivi d'un meurtre psychopathe assez choquant pour marquer les esprit, assez malaisant pour décontenancer le spectateur avec un soupçon de nudité tout à fait nouveau chez Hitchcock si on excepte le montage culte de "Psychose" (1960). Une séquence violente qui a causé des soucis avec la censure, et qui était assez choquante pour que la propre fille du cinéaste, Patricia Hitchcock ait empêché ses enfants de voir le film durant des années. La tension est désormais palpable et Hitchcock l'utilise de façon géniale en agissant de façon complètement inverse pour le meurtre suivant. L'affaire et l'intrigue sont sales et ignobles mais le réalisateur instille comme à son habitude son humour noir et macabre comme avec cette séquence ridiculement drôle du sac à patates ou les savoureux dîners du policier que lui concocte son épouse. On aime aussi les détails qui montrent que Hitchcock évolue encore, ainsi les femmes sont moins sophistiquées, moins bourgeoises, la nudité est plus flagrante et filmée comme par "inadvertance", une photographie ancrée dans le réel et qui évite tout glamour, mais on a toujours les personnages plus ou moins pittoresques. Les acteurs sont impeccables, mais les hommes se font presque voler la vedette par les deux femmes principales, Barbara Leigh-Hun et Anna Massey qui s'avèrent être les deux victimes les plus marquantes aux côtés de Janet Leigh dans "Psychose". Le grand final n'est pas parfait mais est sauvé par un réplique qui a tout pour être culte : "Vous ne portez pas votre cravate, monsieur Rusk." Un final qui n'est pas sans rappeler celui de "Le Crime était Presque Parfait" (1954). Avec ce film Hitchcock signe un retour qu'on espérait plus, un thriller innovant et inspiré et d'une modernité dont on ne le croyait plus capable. Un excellent moment et un grand film trop méconnu qui mériterait une vraie reconnaissance.
Note :