Pas de Printemps pour Marnie (1964) de Alfred Hitchcock
Dès sa sortie, Alfred Hitchcock s'enthousiasme pour le roman "Marnie" (1961) de Winston Graham et obtient les droits. L'histoire d'une femme frigide et kleptomane ne pouvait que séduire le maître. Il travaille d'abord avec Joseph Stefano avec qui il vient d'écrire "Psychose" (1960), mais le scénariste doit ensuite quitter le projet prit par un nouvel engagement pour la série TV "Au-Delà du Réel" (1963-1965). Hitchcock met alors en pause ce projet pour se focaliser sur "Les Oiseaux" (1963) notamment par la fascination qu'il a pour sa nouvelle muse Tippi Hedren. Il en profite pour proposer à son nouveau scénariste Evan Hunter de travailler aussi sur l'adaptation de "Marnie" et de poursuivre le script débuter par Stefano. Mais après être libéré du tournage de "les Oiseaux" Hitchcock se fait très présent à tel point que Evan Hunter dira qu'il est plus "enclin à imposer ses idées qu'à recevoir celles de son collaborateur." La rupture est définitive à cause de la scène du viol, Evan Hunter étant contre puisqu'elle retire notamment toute empathie pour le héros masculin. Mais Hitchcock insiste ayant une idée précise de comment la filmer puis finalement évince son scénariste. À la recherche d'un nouveau scénariste, le maître lit un scénario de Jay Presson Allen, qui deviendra le film "Les Belles Années de miss Brodie" (1969) de Ronald Neame. Le réalisateur rencontre alors cette quarantenaire qui avait débuté comme actrice, "drôle et spirituelle" avec qui il s'entend à merveille et, surtout, pour qui la scène du viol ne pose aucune problème. Elle va apprendre beaucoup auprès du maître qui lui imposera de venir en limousine plutôt qu'à vélo. La scénariste signera par la suite des films à succès comme "Cabaret" (1972) de Bob Fosse, "Funny Girl" (1975) de Herbert Ross ou "Une Etoile est Née" (1976) de Frank Pierson. Ce film est à un tournant très paradoxal pour Hitchcock, lors du lancement du projet il croit encore au retour de Grace Kelly, il devient millionnaire avec le succès de "Psychose" au même moment où les Cahiers du Cinéma lui façonnent un piédestal historique, Hitchcock est donc au sommet de son succès et de sa gloire tandis que c'est aussi le dernier film qu'il fera avec certains de ses collaborateurs les plus fidèles et pas des moindres puisqu'il s'agir du compositeur Bernard Hermann (de tous les films depuis "Mais qui a tué Harry ?" en 1955), du monteur George Tomasini (depuis "Fenêtre sur Cours" en 1954) et du Directeur Photo Robert Burks (depuis "L'Inconnu du Nord Express" en 1951). Trois fidèles qui ont donc été présent sur la décennie d'or du cinéaste. Une page se tourne...
Mark Rutland sait qu'à chaque nouvel emploi Marnie Edgar lâche ses employeurs. Mais bien que peu fiable il est fasciné par sa beauté et son comportement singulier et décide de l'engager comme secrétaire-comptable dans sa maison d'édition. Un jour, la jeune femme fuit avec la caisse. Mark la retrouve et lui impose un chantage : le mariage ou la police. Dos au mur, Marnie accepte à contre coeur tandis que Mark va tout faire pour comprendre Marnie... Cette dernière est incarnée par Tippi Hedren qui venait d'être révélée par Hitchcock dans "Les Oiseaux" (1963). Pour le patron et époux le cinéaste choisit Sean Connery, qui après des années de petits rôles depuis "Voyage en Birmanie" (1955) de Herbert Wilcox est devenue la nouvelle star mondiale après les succès "James Bond contre Dr No" (1962) et "Bons Baisers de Russie" (1963) tous deux de Terence Young. Citons ensuite Diane Baker révélée dans "Le Journal d'Anne Frank" (1959) de George Stevens et "Voyage au Centre de la Terre" (1959) de Henry Levin, Mariette Hartley vue dans "Coups de Feu dans la Sierra" (1962) de Sam Peckinpah et "Les Naufragés de l'Espace" (1969) de John Sturges, Martin Gabel vu dans "M" (1951) de Joseph Losey ou "Le Reptile" (1970) de J.L. Mankiewicz, Alan Napier dans "Le Démon de la Chair" (1946) de Edgar George Ulmer, "Ambre" (1947) de Otto Preminger, "Pour toit j'ai Tué" (1949) de Robert Siodmak ou encore "Les Contrebandiers de Moonfleet" (1955) de Fritz Lang, Milton Selzer vu dans "Le Temps du Châtiment" (1961) de John Frankheimer et "Le Kid de Cincinnati" (1965) de Norman Jewison, Bob Sweeney vu dans "La Dernière Fanfare" (1958) de John Ford et "Après Lui, le Déluge" (1963) de Robert Stevenson, Louise Lorimer vue dans "Le Mur Invisible" (1947) de Elia Kazan, "L'Héritière" (1949) de William Wyler et qui retrouvera Hitchcock pour "Complot de Famille" (1976), où elle retrouvera aussi son partenaire Bruce Dern vu d'abord dans "Le Fleuve Sauvage" (1960) de Elia Kazan et qui fera une carrière aussi riche que prolifique avec des films comme "On Achève Bien les Chevaux" (1969) de Sydney Pollack et plus récemment "Nebraska" (2013) de Alexander Payne ou "Once Upon a Time in Hollywood" (2019) de Quentin Tarantino... Précisons que Hitchcock a fait appel à des psychiatres afin d'être au plus près de la dimension médicale des troubles de Marnie, et le réalisateur a particulièrement apprécié le travail de sa scénariste, une femme dont la sensibilité a dû porter un nouveau regard sur cette femme dont l'histoire aborde des sujets aussi difficile que tabou comme la frigidité, le viol ou la simple maladie mentale. Forcément, la psychanalyse (même sauvage !), le trouble de la personnalité, le dualité etc... nous ramènent à d'autres films du maître dont "La Maison du Docteur Edwardes" (1949) et "Sueurs Froides" (1958). Et d'un autre côté on pourrait croire à une filiation entre "Les Oiseaux" et "Marnie", car les deux femmes incarnées par Tippi Hedren ont des similarités intrigantes ; est-ce que Hitchcock y a vu peut-être une seule et même personne ?! Que ce soit Melanie dans "Les Oiseaux" ou Marnie, elle porte une robe verte, sans crise elle est une femme forte et indépendante, en détresse elle est comme une enfant perdue.
Par là même, le réalisateur utilise encore beaucoup le rouge dans les visions phobiques ("Sueurs Froides"), tandis que la mère est toujours cause de traumas ("Les Oiseaux"). Par contre on reste "bloqué", peut-être déçu même, par le décor du port qui apparaît en arrière-plan quand on arrive à la maison de la maman. Sur ce point il y a souvent débat entre erreur et choix, pour appuyer le choix certains rappelle la scène de la chasse avec les transparences de Marnie en arrière-plan qui renvoie à l'amour de HItchcock pour le cinéma surréaliste allemand (Fritz lang... Murnau...) ; on dit oui pour cette scène de chasse mais ce décor en fond peint reste par contre un peu grossier et ne permet d'ailleurs d'autres effets vis à vis de Marnie, et on voit que déjà dans les années 50 le réalisateur avait commencé à soigner un peu plus ces décors, les années 60 ne sont plus les années 40 même pour Hitchcock. L'autre petit bémol reste le personnage de l'homme joué par Connery a une dimension "psychologue amateur" est un peu tiré par les cheveux, mais surtout reste très antipathique, voir trop, d'abord par sa façon d'être intouchable émotionnellement, trop détaché sans compter le chantage et la partie "viol" (ou pas ?!) qui peut questionné aujourd'hui et qui renvoie à plusieurs scènes des 007 siglé Sean Connery. Une séquence qui ne permet pas à ce film d'avoir le label "intemporel" à contrario des autres chefs d'oeuvres du maître. L'accueil à sa sortie reste tiède d'abord parce que les films sortis juste avant sont les meilleurs de Hitchcock et ont durablement marqué les esprits, et ce "... Marnie" revient à un cinéma plus "sommes" avec des paramètres et références qui renvoient à son cinéma des années 40 et donc peut-être moins surprenant. Néanmoins, la richesse émotionnelle et psychologique autour du personnage de Marnie reste passionnante, les liens inter-films de Hitchcock forcément intéressantes et enrichissantes, ce qui font que le film reste et demeure un grand film, le dernier de Hitchcock et qui clôt sa décade prodigieuse (1954-1964).
Note :