Fenêtre sur Cours (1954) de Alfred Hitchcock

par Selenie  -  4 Avril 2022, 08:47  -  #Critiques de films

Après la jolie réussite "Le Crime était Presque Parfait" (1954) Alfred Hitchcock est d'emblée enthousiaste à l'idée de refaire tourner sa nouvelle muse Grace Kelly. Pour son nouveau projet le réalisateur porte son choix sur la nouvelle "It Had To Be Murder" (1942) de Cornell Woolrich (pseudo de William Irish), auteur déjà porté à l'écran avec "Les Mains qui Tuent" (1944) de Robert Siodmak et plus tard avec "La Mariée était en Noir" (1968) de François Truffaut. Au départ pourtant les droits appartiennent à Joshua Logan, futur réalisateur de "Bus Stop" (1956) avec Marylin Monroe, et à son producteur depuis 1952 mais un concours de circonstance fait que Logan et Hitchcock partage le même agent Wasserman qui permet à Hitchcock d'obtenir les droits. Joshua Logan a déjà étoffé le scénario notamment en créant la fiancée du voyeur absente de la nouvelle, et est un temps co-producteur avant d'être écarté du projet. Finalement le scénario est écrit par John Michael Hayes, qui venait de signer les westerns "Les Conducteurs du Diable" (1952) de Budd Boetticher et "A l'Assaut du Fort Clark" (1953) de George Sherman, et outre quelques grands films plus tard comme "La Rumeur" (1961) de William Wyler le scénariste s'entendra si bien avec Hitchcock que les deux hommes se retrouveront pour les trois prochains films du maître du suspense. Mais outre la nouvelle adaptée et l'inspiration de deux faits divers macabres (affaire Crippen en 1910 et affaire Mahon en 1924), Hitchcock impose surtout une idée, celle de s'inspirer de la liaison entre sa première muse, Ingrid Bergman, et le photographe Robert Capa qui eût lieu sur le tournage du chef d'oeuvre "Les Enchaînés" (1946). Hitchcock a lui-même proposé son slogan promotionnel avec "Si vous n'éprouvez pas ce sentiment de douce frayeur en voyant ce film, pincez-vous - vous êtes très probablement mort." Précisons que ce film est un des 5, avec "La Corde" (1948), "Mais qui a tué Harry ?" (1955), "L'Homme qui en Savait Trop" (1956) et "Sueurs Froides" (1958), dont les droits furent acquis par Hitchcock lui-même et légué à sa fille qui les garda secrètement jusqu'à ce que James C. Katz, producteur, ait pu les restaurer et les diffuser à partir de 1984 seulement... 

Reporter-photographe, L.B. Jeffries est contraint de rester chez lui, clouer dans un fauteuil roulant après s'être cassé la jambe. Homme d'action et aventurier dans l'âme il tourne comme un lion en cage mais trouve bientôt un nouveau hobby, celui d'épier ses voisins de l'immeuble d'en face. Un jour, il pense avoir été témoin d'un meurtre, un homme ayant tué son épouse. Il en parle à sa fiancée, Lisa, qui ne le prend pas au sérieux au début, puis petit à petit commence à le croire... Le voyeur à l'insu de son plein gré est incarné par la star James Stewart qui retrouve Hitchcock après "La Corde" (1948), en remplaçant au pied levé le favori du cinéaste Cary Grant. Un retour qui se confirmera néanmoins avec "L'Homme qui en Savait Trop" et "Sueurs Froides". Sa fiancée est logiquement incarnée par la somptueuse Grace Kelly après "Le Crime était Presque Parfait" et avant "La Main au Collet" (1956). Le lieutenant de police est interprété par Wendell Corey  qui retrouve James Stewart après "L'Homme à la Carabine" (1952) de Richard Thorpe, la star retrouvera aussi dans "La Conquête de l'Ouest" (1962) sa partenaire Thelma Ritter, grande actrice recordwoman de l'Oscar du meilleur second rôle avec 6 nominations notamment pour "Eve" (1950) de J.L.Mankiewicz. Le voisin louche est joué par Raymond Burr vu auparavant dans "Pour Toi j'ai Tué" (1949) de Robert Siodmak et "Une Place au Soleil" (1951) de George Stevens mais qui sera surtout populaire grâce à la télévision avec les séries TV "Perry Mason" (1957-1966) et "L'Homme de Fer" (1967-1975). Autour d'eux, on reconnaîtra quelques seconds couteaux récurrents avec Judith Evelyn vue ensuite dans "Géant" (1956) de George Stevens et "Les Frères Karamazov" (1958) de Richard Brooks, "Frank Cady vu aux côtés de Kirk Douglas dans "La Femme aux Chimères" (1950) de Michael Curtiz et "Le Gouffre aux Chimères" (1951) de Billy Wilder, puis enfin Richard Simmons et Gig Young qui se retrouvent après avoir joué dans "Les Trois Mousquetaires" (1948) de George Sidney... Pour ce film Hitchcock obtient des moyens énormes dont le plus impressionnant reste le décor ; il fait construire dans les studios de la Paramount l' immeuble d'en face soit 56m de long, 11m de large et 12m de haut ,pour 31 appartement dont 12 principaux entièrement meublés, avec électricité et eau courante ! L'idée de Hitchcock est de montrer avec précision les petites habitudes du quotidien jusqu'à enregistrer les sons particuliers de chaque logement ! Le dispositif est lourd mais, une fois n'est pas coutume, le tournage se déroule sans encombre majeur et est même considéré comme "harmonieux".

Le réalisateur utilise beaucoup pour ce film le champs-contrechamps, mais surtout il place le spectateur en caméra subjective via lequel le spectateur se retrouve lui-même voyeur. Il faut attendre un certain temps avant que la caméra élargisse les horizons et devienne moins subjective jusqu'au dénouement. Le reporter en fauteuil se retrouve voyeur à l'insu de son plein gré, il devient une sorte de commère, seul, handicapé et donc impuissant avant de "forcer" sa fiancée à le croire et à agir. Hitchcock se fait alors un malin plaisir à manipuler le spectateur, lui aussi impuissant mais surtout en obligeant à ne pas juger ce voyeur ; en effet, il ne peut être vicieux, il est journaliste, travailleur, à Grace Kelly comme fiancée, il est handicapé, et il est joué par James Stewart icône de la vertu américaine et pourtant sur le fond il épie de façon la plus méprisable qui soit, presque de façon sournoise à tel point qu'il est d'abord moqué par sa fiancée. C'est sur cette contradiction que le suspense et la morale se construit, et c'est bien là le génie de Hitchcock. Pour l'anecdote, la télécommande filaire est inventée en 1950, le sans fil dès 1955, et imaginer James Stewart devant ces fenêtres comme autant de télévision montre tout le côté observateur de son temps et visionnaire du réalisateur. Le film est un succès colossal rapportant 36 fois sa mise rien que sur le sol américain. Un film qui allie à merveille exercice de style au service du suspense. Le film est encore aujourd'hui un exemple. Le film influencera surtout beaucoup d'autres cinéastes pour de nombreux épisodes de séries T, mais on se doit de citer surtout "Body Double" (1984) de Brian De Palma, et plus tard le quasi remake "Paranoïak" (2007) de D.J. Caruso. 

 

Note :                  

18/20
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