Le Crime était Presque Parfait (1954) de Alfred Hitchcock
À ne pas confondre avec "Le Crime était presque Parfait" (1947) de Michael Curtiz, ce projet aurait presque pu être contemporain puisqu'il était dans les tiroirs de la Transatlantic Pictures, société de production de Hitchcock avant que l'échec de "Les Amants du Capricorne" (1949) change la donne. Mais après le succès très mitigé de "La Loi du Silence" (1953) la Warner presse le réalisateur pour rebondir rapidement, le cinéaste décide donc de tourner ce film, mais entre temps la Warner doit racheter à Alexander Korda les droits de cette pièce de théâtre éponyme (1952) de Frederick Knott, qui connaîtra une autre adaptation d'une de ses pièces avec "Guêpier pour Trois Abeilles" (1966) de J.L. Mankiewicz. L'auteur s'entendra à merveille avec Hitchcock et signera donc lui-même le scénario pour le film. Si la Warner soutient Hitchcock pour ce projet le studio impose pourtant de tourner pour la 3D nouvelle lubie hollywoodienne pour tenter de contrer l'avènement de la télévision alors en vogue. Ainsi les films en3D du moment cartonne au box-office, "Bwana Devil" (1952) de Arch Oboler, "L'Homme au Masque de Cire" (1953) de André De Toth, "Le Météore de la Nuit" (1953) "L'Etrange Créature du Lac Noir" (1954) tous deux de Jack Arnold. Jack Warner est alors certain de son succès en alliant Hitchcock avec la 3D. Mais Hitchcock voulait tourner dans les studios de Elstree en Angleterre ce qui est refusé par jack Warner trouvant trop risqué de transporter les lourdes caméras pour la 3D. Hitchcock va donc modifier ses plans pour assurer une 3D de qualité mais pas forcément là où l'espérait Jack Warner tandis que, malheureusement, l'engouement pour la 3D se sera émousser quand sortira sur les écrans le film de Hitchcock... Ex-gloire du tennis, Tony Wendice a ensuite épousé Margot pour sa fortune. Mais depuis peu il sait qu'elle le trompe avec Mark Halliday, un romancier qui écrit des polars. Craignant qu'elle le quitte et de se retrouver sans fortune il échafaude un plan machiavélique, le meurtre parfait, mais le plan ne se déroule pas comme prévu. Malgré tout, les incidents du plan s'avèrent vite sans gravité et Wendice peut encore faire accuser de meurtre son épouse...
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Comme souvent depuis "Soupçons" (1941), Hitchcock espère Cary Grant dans le rôle principal mais Jack Warner refuse encore car la star est devenue trop identifiée au gendre idéal et a peur de la réaction du public dans un contre-emploi. C'est ainsi qu'il reporte son choix sur Ray Milland, séduisant et star alors un peu en perte de vitesse après une décennie glorieuse avec entre autre "Les Naufrageurs des Mers du Sud" (1942) de Cecil B. De Mille, "Le Poison" (1945) de Billy Wilder et "La Grande Horloge" (1948) de John Farrow. Son épouse est incarnée par Grace Kelly qui venait de percer avec "Le Train Sifflera Trois Fois" (1952) de Fred Zinnemann et "Mogambo" (1953) de John Ford et qui retrouvera Hitchcock pour encore deux autres films. L'amant romancier est interprété par Robert Cummings qui retrouve Hitchcock après "Cinquième Colonne" (1942) et vue depuis dans "Obessions" (1943) de Julien Duvivier ou "Epousez-Moi" (1953) de Frank Tashlin, l'inspecteur est interprété par John Williams qui retrouve et retrouvera Hitchcock entre "Le Procès Paradine" (1947) et "La Main au Collet" (1955). Citons ensuite Anthony Dawson acteur fétiche de Terence Young dans pas moins de 14 films de "Trois des Chars d'Assaut" (1950) à "Marathon" (1988) en passant par "James Bond contre du Dr No" (1962) et "Soleil Rouge" (1971), qui retrouve après "Opération Tonnerre" (1965) de Young son partenaire Guy Doleman vu dans "Ipcress, Danger Immédiat" (1965) de Sidney J. Furie et sa suite "Mes Funérailles à Berlin" (1966) de Guy Hamilton, puis enfin Patrick Allen vu dans "La Nuit des Généraux" (1967) de Anatole Litvak, "Les Oies Sauvages" (1978) et "Le Commando de sa Majesté" (1980) tous deux de Andrew V. McLaglen... Un des points qu'on ne peut occulter est justement la 3D. Alors que Hitchcock se doit de gérer avec les caméras 3D trop imposantes et qui l'obligent à composer et à changer ses idées. Ainsi il préfère jouer sur l'effet "aquarium", pour accentuer l'idée d'enfermement dans l'appartement en huis clos. Mais il insiste aussi sur quelques plans spécifiques comme les ciseaux saisis par Grace Kelly, le cadran du téléphone et la clef de l'appartement. Malheureusement, la 3D va perdre de son aura durant le tournage, passé de mode entre temps le film sera diffusé sans 3D ! Un comble qui aura des effets inattendus, d'abord l'existence non utile d'un entracte (nécessaire à la base pour charger les bobines 3D indispensables), mais surtout plusieurs séquences perdent de leur saveur avec une 3D soudain absente.
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Mais avec ce film le réalisateur s'amuse à une variation autour du meurtre conjugal après "Soupçons" (1941) et du meurtre parfait en huis clos après "La Corde" (1948), seul l'unité de temps est cette fois délaissé pour une 3D qui va s'avérer décevante. Mais pourtant, la 3D s'avère anecdotique, voir gadget, car ce sont biens sur d'autres paramètres que le film vaut le détour. D'abord de savoir si le meurtre va avoir lieu, puis finalement de croire à une accusation facile et rapide avant de comprendre que la victime peut soudainement devenir l'accusée ! Ensuite il y a cette scène savoureuse où l'époux piège une connaissance pour qu'il accepte de tuer son épouse, surtout cette agression nocturne qui ne se déroule pas comme prévue, et une grand final où le charme de l'époux opère encore comme en témoigne l'étincelle dans les yeux de l'épouse qu'on devine malgré tout admirative. Pour l'anecdote, Grace Kelly devait à l'origine être vêtue d'une robe de chambre en velours pour la scène de l'agression, c'est elle qui a suggéré à Hitchcock de se vêtir plutôt d'une chemise de nuit trouvant plus logique de se lever la nuit ainsi. L'actrice s'impose à Hitchcock comme son idéal féminin, la classe sophistiquée alliée à une sensualité sous-jacente, en prime ils deviendront des amis proches et elle va devenir l'icône de la blonde hitchcockienne par excellence. Face à elle, ce n'est pas Cary Grant, néamoins Ray Milland s'impose en cynique séducteur, manipulateur élégant qui touche au sublime dans cet ultime verre ou comment savoir perdre avec classe. Le film aura son remake, "Meurtre Parfait" (1998) de Andrew Davis avec Michael Douglas, Gwyneth Paltrow et Viggo Mortensen. Si les critiques sont mitigées aux Etats-Unis, Hitchcock gagne encore ses galons en France, ce qui n'empêche pas un gros succès en salles engrangeant plus de 13 millions de dollars pour un budget de 1,4 millions. Paradoxalement, le réalisateur a toujours considéré ce film comme mineur, affirmant notamment à François Truffaut : "J'aurais pu le faire au téléphone."
Note :