Le Procès Paradine (1947) de Alfred Hitchcock
Après le chef d'oeuvre "Les Enchaînés" (1946), Alfred Hitchcock pense déjà à un avenir où il créerait sa propre société de production mais il doit encore par contrat un 3ème film au producteur David O. Selznick après "Rebecca" (1940) et "La Maison du Docteur Edwards" (1945) ; entre temps Selznick louait le cinéaste à d'autres studios. Ainsi Hitchcock est contraint d'accepter le nouveau projet que lui propose Selznick, à savoir adapter le roman "The Paradise Case" (1933) de Robert Smythe Hichens. Bon gré mal gré, le réalisateur s'y attelle avec son épouse Alma Reville, engage aussi James Bridie, dramaturge qui n'avait signé jusque là un seul scénario avec "Tempête dans une Tasse de Thé" (1937) de Ian Dalrymple et Victor Saville mais qui retrouvera ensuite Hitchcock sur "Les Amants du Capricorne" (1949) et "Le Grand Alibi" (1950). Selznick n'étant pas content du premier jet, Hitchcock fait appel à son ami Ben Hecht, scénariste de la plupart des films de Hitchcock entre 1940 et 1951, cette fois non crédité. Mais l'entente entre Selznick et Hitchcock va aller de pire en pire, sur leurs deux premiers films l'entente était déjà mauvais mais cette fois la communication est exécrable, Selznick multiplie les ordres, les notes et autres décisions qui influent sur le travail du réalisateur qui n'e peut plus. Le projet ne lui plaisait guère mais sans doute pour la première fois Hitchcock délaisse clairement le film. Le producteur parasite tellement le travail du réalisateur que le budget explose atteignant pas moins que 4 millions de dollars, somme colossale qui équivaut au budget d'un certain "Autant en Emporte le Vent" (1939) de Victor Fleming, production également de Selznick ! À noter que le caméo habituel de Hitchcock sur ce film sera repris quasi à l'identique dans le futur "L'Inconnu du Nord-Express" (1952)... Madame Paradine est arrêtée et accusée du meurter par empoisonnement de son époux aveugle et riche, monsieur Paradine. Sa défense est confiée à maître Anthony Kean, avocat réputé et heureux époux d'une blonde intelligente et sensible. Mais dès sa première rencontre avec sa cliente, Keane est sous le charme et va se donner corps et âme pour la sauver de la condamnation sous l'oeil lucide mais compréhensif de sa femme et, bientôt, des autres protagonistes et observateurs. Le procès se complique quand il soupçonne que madame Paradine était la maitresse du valet de monsieur Paradine tandis que le juge Horfield est intraitable sur le déroulement du procès...
/image%2F0935117%2F20220129%2Fob_98b05a_18868348.jpg)
Maître Keane est incarné par Gregory Peck qui retrouve Hitchcock après "La Maison du Docteur Edwards" (1945), mais qui est depuis devenue une star avec "Duel au Soleil" (1946) de King Vidor et "Le Mur Invisible" (1947) de Elia Kazan. Son épouse est interprétée par Ann Todd, future épouse de David Lean sous la direction duquel elle tournera "Les Amants Passionnés" (1949), "Madeleine" (1950) et "Le Mur du Son" (1952). Madame Paradine est incarnée parla star italienne Alida Valli qui joue là son premier film hollywoodien, suivront "Le Miracle des Cloches" (1948) de Irving Pichel, "Le Troisième Homme" (1949) de Carol Reed et "L'Etranger dans la Cité" (1950) de Robert Stevenson avant son retour en Europe après une expérience peu concluante outre-Atlantique. Le juge est incarné par le monstre sacré Charles Laughton qui retrouve Hitchcock après "La Taverne de la Jamaïque" (1939). Un collègue de Keane est joué par Charles Coburn vu dans "Le Ciel peut Attendre" (1943) de Ernst Lubitsch, et plus tard dans "Chérie, je me sens Rajeunir" (1952) et "Les Hommes préfèrent les Blondes" (1953) tous deux de Howard Hawks. Le valet est interprété par le français Louis Jourdan qui débute alors une carrière hollywoodienne fructueuse de "Lettre d'une Inconnue" (1948) de Max Ophüls, Madame Bovary" (1949) et "Gigi" (1958) tous deux de Vincente Minnelli. Hitchcock retrouve des fidèles, notamment trois acteurs qui étaient dans "Rebecca" et "Soupçons" (1941), d'abord Leo G. Carroll qui ajoute à sa liste "La Maison du Docteur Edwards" et plus tard "L'Inconnu du Nord-Express" et "La Mort aux Trousses" (1959) et qui retrouvera Louis Jourdan dans "Le Cygne" (1956) de Charles Vidor, ensuite Leonard Carey également plus tard dans "L'Inconnu du Nord-Express" et qui retrouve après "Âmes Rebelles" (1942) de Anatole Litvak et "La Dynastie des Forsyte" (1949) de Compton Bennett son partenaire, troisième fidèle de Hitchcock, Lumsden Hare, ce dernier retrouve aussi Charles Laughton après "Le Fantôme de Canterville" (1944) de Jules Dassin et "Le Capitaine Kidd" (1945) de Rowland V. Lee. Citons encore John Williams qui retrouvera Hitchcock plus tard dans "Le Crime était Presque Parfait" (1954) et "La Main au Collet" (1955), puis enfin Joan Tetzel qui retrouve Gregory Peck après "Duel au Soleil" avant de la remarquée dans "La Femme à l'Echarpe Pailletée" (1950) de Robert Siodmak... Le film est clairement un des moins aboutis de Alfred Hitchcock, d'abord et avant tout parce qu'il y avait un producteur omniprésent, plus que jamais, et qui à force de notes formelles et impératives obligea le réalisateur à retourner certains passages, à ne pas trop s'éloigner du roman comme à son habitude. Sur "Rebecca" et "la Maison du Docteur Edwards", le réalisateur avait su et pu contourner certaines directives de Selznick grâce à sa mise en scène, mais cette fois Selznick l'attend au tournant, anticipe et devient encore plus pressant.
/image%2F0935117%2F20220129%2Fob_387db3_s-725-b06470.jpg)
Sachant que le montage, sous les ordres de Selznick, pouvait tout changer Hitchcock réussit pourtant encore à sortir son épingle du jeu. Selznick déteste les plans trop longs et/ou trop sophistiqués et Hitchcock va faire en sorte de limiter les possibilités de montage. On notera ainsi et surtout la façon dont est filmé le procès. Prise de vue multiples avec quatre caméras différentes, système qui sera ensuite la norme pour la télévision notamment. Mais surtout on remarque le plan en mouvement circulaire placée dans le dos de Anna Paradine/Valli et qui tourne autour de son visage pendant l'entrée du valet André Latour/Jourdan afin de faire déceler les émotions et peut-être le secrets de la mise en cause. Une telle séquence ne peut être découpée par Selznick par exemple. Mais on constate aussi que cette scène reste la seule admirablement inspirée du film, le reste demeure académique, sans envie surtout, Hitchcock ne veut simplement plus subir le diktat de son producteur. Le suspense tient le coup, difficilement dirons-nous, mais le film surnage surtout grâce à la performance dantesque de Charles Laughton bien aidé il est vrai par un personnage hors norme. Un juge implacable et libidineux qui réunit à lui seul les meilleures scènes entre sa main qui serre celle de l'épouse Keane au prétoire où il tance l'avocat Keane en passant par cette terrible scène où il remet à sa place son épouse en philosophant sur les "circonvolution de la noix..." Une performance qui met malheureusement en perspective les autres protagonistes, surtout une mamade Paradine/Valli trop froide, sans nuance, et un Kean/Peck trop lisible, un peu fade. Le film sera un échec, accueilli fraîchement par la critique, et pourtant Selznick propose un nouveau contrat de 5 ans à Hitchcock, mais cette fois le réalisateur refuse et part créer sa propre société pour un nouveau projet où il sera maître de son film de A à Z...
Note :