La Maison du Docteur Edwardes (1945) de Alfred Hitchcock
Après être reparti quelques mois en Angleterre où il a réalisé quatre courts métrages dont "Bon Voyage" (1944) et "Aventure Malgache" (1944) pour soutenir la Résistance française, Alfred Hitchcock est rappelé par son producteur David O. Selznick qui lui rappelle qu'il lui doit par contrat encore deux films. Hitchcock acquiert les droits du roman "The House of Dr. Edwardes" (1927) de Francis Beeding, en fait pseudo de deux auteurs John Leslie Palmer et Hilary Aidan Saint George Saunders, et dans la foulée les revends à Selznick dont il pense qu'il va adorer cette histoire sur fond de psychanalyse alors en vogue à Hollywood. D'ailleurs Selznick, qui est en train de quitter son épouse pour la star Jennifer Jones, suit justement une thérapie. Pour terminer son projet Hitchcock fait appel à Ben Hecht, scénariste majeur de l'Âge d'Or qu'il retrouve après "Lifeboat" (1944), lui aussi en thérapie et qui se passionne pour la "science freudienne". Les deux hommes collaborent avec Angus MacPhail, qui vient de travailler avec Hitchcock sur les deux courts métrages cités plus haut et qui est surtout un ami de longue date de Hitchcock depuis les années du Muet ; il serait d'ailleurs l'inventeur du terme "Macguffin" cher à Hitchcock. Mais le producteur David O. Selznick reprend toutefois le scénario qu'il trouve pas trop "sérieux", et pour cela il se fait aider de sa propre thérapeute, May E. Romm surnommée à Hollywood "la reine de la vallée du sofa" ! Hitchcock a construit son film avec son acteur de "Soupçons" (1943) Cary Grant en tête mais Selznick impose deux nouvelles stars car elles sont sous contrat et coûtent donc moins chères. Précisons que le titre en V.O. est "Spellbound" (en V.F. mot qui signifie "Envoûté")... Constance, médecin dans un hôpital psychiatrique, tombe follement amoureuse de son collègue le docteur Edwardes. Mais elle comprend qu'il s'agit en fait d'un malade mental qui semble amnésique suite à un passé traumatique. Ce dernier lorsqu'il comprend qu'il n'est pas ce docteur pense avoir tué le véritable Edwardes et fuit. Constance le retrouve et l'amène chez un vieux médecin, son mentor, afin qu'il les aident à soigner cet homme qui ne sait qui il est...
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Pour les deux rôles principaux, Selznick impose donc ses deux nouveaux poulains, le docteur Constance Petersen est donc incarnée par Ingrid Bergman actrice venue de Suède qui a conquis Hollywood avec entre autre "Casablanca" (1942) de Michael Curtiz et "Hantise" (1944) de George Cukor pour lequel elle a obtenu son premier Oscar, puis le (peut-être !) docteur Edwardes est interprété par Gregory Peck qui vient d'obtenir une première nomination à l'Oscar pour "Les Clés du Royaume" (1944) de John M. Stahl et qui va devenir une star juste après avec "Duel au Soleil" (1946) de King Vidor ou encore "La Ville Abandonnée" (1948) de William A. Wellman. Précisons que si Hitchcock a eu des difficultés avec Peck et sa façon de travailler façon Actor Studio ce qui ne les empêcheront pas de se pour "Le Procès Paradine" (1947), à l'instar de sa partenaire qui va devenir une amie intime de Hitchcock et qui va devenir la première réelle muse du réalisateur qu'elle va ainsi retrouver plus tard dans le chef d'oeuvre "Les Enchaînés" (1946) et "Les Amants du Capricorne" (1949). Le directeur est joué par Leo G. Carroll, acteur vu dans "Capitaines Courageux" (1937) de Victor Fleming, "Les Hauts de Hurlevent" (1939) de William Wyler et "Soupçons" (1941) de Hitchcock qu'il retrouvera encore dans "Le Procès Paradine" (1947), "L'Inconnu du Nord-Express" (1951) et "La Mort aux Trousses" (1959). Le réalisateur retrouve aussi d'autres acteurs, Norman Lloyd vu dans "Cinquième Colonne" (1943), Wallace Ford acteur fétiche de John Ford (sans lien de parenté) vu dans "L'Ombre d'un Doute" (1943) à l'instar de Irving Bacon acteur fétiche de Frank Capra dans pas moins de 9 films de "Grande Dame d'un Jour" (1933) à "Si l'on Mariait Papa" (1951) en passant par "L'Homme de la Rue" (1941), puis Edward Fielding vu dans "Rebecca" (1940), "Soupçons" (1941) et "L'Ombre d'un Doute" (1943), qui retrouve son partenaire Victor Killian après "L'Etrangère" (1940) qui lui-même retrouvera Gregory Peck sur "Duel au Soleil" (1946) et "Le Mur Invisible" (1947) de Elia Kazan. Et enfin, citons Erksine Sanford acteur fétiche de Orson Welles vu dans "Citizen Kane" (1941), "La Splendeur des Amberson" (1942), "La Dame de Shanghaï" (1948) et "Macbeth" (1948), puis Rhonda Fleming qui n'est pas encore connue mais qui connaîtra son heure de gloire dans les années 50 dans des films comme "La Cinquième Victime" (1956) de Fritz Lang ou "L'Homme qui n'a Jamais Ri" (1957) de Sidney Sheldon... À noter que la musique est signée Miklos Rozsa, pour son unique collaboration avec Hitchcock, mais ce dernier ne sera pas satisfait et dira que sa musique était trop "envahissante" et carrément "effroyable" lors de la scène du premier baiser ce qui n'empêchera pas le compositeur d'obtenir son premier Oscar (trois autres suivront)... À l'époque du film on en est encore aux balbutiements de la psychothérapie et ça reste donc un paramètre peu à même d'être convaincant dans l'histoire. En effet, si le film a un défaut c'est bien celui-là, le traitement autour de la psychiatrie et du domaine de la médecine "freudienne" n'est clairement pas crédible. Les raccourcis et les diagnostiques des médecins psychiatres dans le film sont un peu à l'emporte-pièce ce qui n'empêche pas Hitchcock n'aborder une fois de plus la question de l'identité, l'amnésie est le prétexte parfait.
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L'usurpation d'identité est dévoilé très vite pour poser les bases de l'intrigue : qui est-il vraiment ? A-t-il tué le véritable docteur Edwardes ? Mais franchement ces questions on s'en moque un peu car étant joué par Gregory Peck on sait d'emblée que son personnage ne peut être un assassin et qu'il est assurément un homme bon. Le plus intéressant est donc surtout de savoir si le vrai Edwardes est mort ou vivant, et sinon de le retrouver, lui ou son assassin. C'est alors assez réjouissant de suivre les délires de cet Edwards et notamment ses rêves qui intriguent et qui fascinent surtout. Des rêves matérialisés par un certain Salvador Dali, que Hitchcock a pu engager après avoir persuadé son producteur David O. Selznick pensant que son art est l'image idéal du rêve et non pas les flous et autres brumes qui étaient alors norme pour mettre en image le rêve. Avouons-le, cette partie fantasmagorique est une curiosité qui n'est pas pour rien dans la postérité du film. Dans la biographie "La Face Cachée d'un Génie" (1983) de Donald Spoto, l'actrice Ingrid Bergman affirme que la scène du rêve devait durer pas moins de 20mn, mais Selznick n'appréciant que peu l'art de Dali a écourté ce passage. Outre ce rêve dalinien, le réalisateur a également inséré un plan frappant, celui furtif et éclair d'un écran rouge écarlate au moment du coup de feu dont les auteurs Robert A. Harris et Michaël S. Lasky précisent : "... insert très rapide en Technicolor pendant lequel l'écran devient écarlate le temps d'un douzième de seconde : en un éclair, le spectateur perçoit le coup de feu et le jaillissement du sang. L'effet est d'autant plus efficace et étonnant que les cent minutes précédentes étaient en noir et blanc." L'autre séquence marquante serait par contre une idée de Ben Hecht, ou peut-être de Selznick, celle où une enfilade portes qui s'ouvrent en surimpression lors d'un baiser. Si il y a bien une intrigue policière, elle ne tient que par l'amour inconditionnel et "fou" de la doctoresse pour son "faux collègue", elle a en effet un coup de foudre qui va littéralement la métamorphoser en une femme énamourée qui perd tout sens logique et surtout professionnel tandis que l'usurpateur reste dangereux jusqu'à avoir des envies de meurtre. Certains plans menaçants interviennent qui font écho à ce que disait judicieusement François Truffaut, à savoir que Hitchcock filmait les scènes d'amour comme des scènes de meurtre et inversement (gants noirs, gros plan, pulsions...). Plus qu'un Film Noir ou un polar, Hitchcock signe là un mélo sentimental sur fond psychanalytique, certe simpliste mais qui tient la route grâce à des idées formelles qui parsèment le film jusqu'à ce dénouement final. Le film connaît un succès certain qui va lancer une mode du film sur le domaine de la psychiatrie ou psychothérapie comme "Le Secret derrière la Porte" (1947) de Fritz Lang, "La Fosse aux Serpents" (1948) de Anatole Litvak ou encore "Le Mystérieux Docteur Korvo" (1949) de Otto Preminger.
Note :