L'Ombre d'un Doute (1943) de Alfred Hitchcock

par Selenie  -  17 Janvier 2022, 10:21  -  #Critiques de films

Après "Cinquième Colonne" (1942), Alfred Hitchcock recherche un nouveau projet, et après un rendez-vous avec la cheffe du département littéraire de David O. Selznick, son producteur avec qui il est sous contrat, celle-ci lui propose d'adapter le texte "Le Ventriloque" sur un homme qui assassine son épouse et croit le reconnaître ensuite quand il rencontre une autre femme, mais il est déclaré trop étrange au goût de la production, mais Hitchcock s'en souviendra au moment de faire "Sueurs Froides" (1957). La cheffe propose alors au réalisateur de rencontrer son époux, Gordon McDonell qui aurait une histoire titrée "Uncle Charlie" (1938) susceptible de lui plaire. Inspirée de l'histoire du tueur en série Earle Nelson (Tout savoir ICI) Il s'agit d'un tueur de veuves qui pour échapper à la police se réfugie dans une petite ville de province chez sa soeur mais sa nièce favorite Charlotte commence à le soupçonner. Le cinéaste est conquis et commence à écrire avec sa scénariste la plus fidèle, son épouse Alma Reville, avec Sally Benson qui signera plus tard "Anna et le Roi de Siam" (1946) de John Cromwell et "Les Quatre Filles du Docteur March" (1949) de Mervyn LeRoy, et surtout avec Thornton Wilder, lauréat du Prix Pulitzer (1928) pour un roman adapté au cinéma par deux fois avec l'éponyme "Le Pont du Roi Saint-Louis" (1929) de Charles Brabin et (2004) de Mary McGuckian. L'arrivée de Wilder sur le projet, qui s'entend à merveille avec Hitchcock permet de retravailler le scénario en le modernisant. L'histoire devient un peu moins ringard ou stéréotypé notamment le rapport à la ville et aux habitants et en infantilisant pas trop les enfants. Mais surtout Hitchcock apprend que sa mère restée en Angleterre est mourante ce qui a des conséquences sur le scénario, la maman du film portant ainsi le prénom de la sienne, Emma, et qui est décrite comme une femme particulièrement adorable ; on verra plus bas que le réalisateur va intégrer plusieurs autres éléments personnels à l'histoire... Alors que la police recherche le "tueur des Veuves Joyeuses", Charlie Oakley est poursuivi par deux hommes. Il fuit et trouve refuge chez sa soeur qui l'adore, ainsi que ses enfants surtout l'aînée Charlotte surnommée Charlie en rapport avec le lien indéfectible et singulier qui les lie. Mais bientôt deux hommes semblent s'intéresser de trop près à leur famille et à cet oncle finalement bien mystérieux. Charlotte commence alors à avoir également des doutes sur son oncle favori...

Pour le rôle de la nièce, Hitchcock désirait au départ Joan Fontaine avec qui il avait tourné avec succès "Rebecca" (1941) et "Soupçons" (1942), au pire sa soeur Olivia De Havilland mais un calendrier trop compliqué l'obligea à trouver une autre actrice. Son choix se porta bon gré mal gré sur la jeune Teresa Wright révélée par les films de William Wyler avec "La Vipère" (1941) et "Madame Miniver" (19442) qui lui rapporta l'Oscar du meilleur second rôle féminin, l'actrice retrouvera Wyler encore pour un autre succès conséquent avec "Les Plus Belles Années de notre Vie" (1946). Idem pour le rôle de l'oncle, le cinéaste voulait William Powell mais celui-ci aurait trouvé le rôle trop antipathique. le choix sera finalement porté sur Joseph Cotten révélé lui par Orson Welles dans "Citizen Kane" (1941) et "La Splendeur des Amberson" (1942), puis retrouvera Hitchcock pour "Les Amant du Capricorne" (1949) et quelques épisodes de sa série TV "Alfred Hitchcock presents" (1955-1959). Les parents de Charlotte sont joués par deux acteurs qui retrouve Teresa Wright, madame Patricia Collinge après "La Vipère" et ironie du sort jouera plus tard dans "Teresa" (1951) de Fred Zinnemann, puis monsieur Henry Travers après "Madame Miniver" (1942) qui passera surtout à la postérité pour son rôle dans "La Vie est Belle" (1946) de Frank Capra. Le voisin est incarné par Hume Cronyn qui a la particularité de retrouver Hitchcock en tant qu'acteur dans le prochain "Lifeboat" (1944) puis plus tard en tant que scénariste pour "La Corde" (1948) et "Les Amants du Capricorne" (1949). Les deux policiers sont interprétés par Macdonald Carey vu dans "La Sentinelle du pacifique" (1942) de John Farrow ou encore "Les Damnés" (1963) de Joseph Losey, puis Wallace Ford vu dans "Freaks - la Monstrueuse parade" (1932) de Tod Browning qui retrouvera Hitchcock dans "La Maison du Docteur Edwards" (1945). Citons ensuite plusieurs petits rôles joués par des fidèles du réalisateur, Edward Fielding vu dans "Rebecca" et "Soupçons", Frances Carson et Vaughan Glaser vus dans "Cinquième Colonne" (1942), ce dernier vu également dans "L'Homme de la Rue" (1941) et "Arsenic et Vieilles Dentelles" (1944) de Frank Capra retrouve Irving Bacon acteur fétiche de Capra dans pas moins de 8 films, puis enfin citons Clarence Muse, considéré comme le premier acteur noir a obtenir des rôles principaux comme dans "Huckleberry Finn" (1931) de Norman Taurog et "Porgy and Bess" (1959) de Otto Preminger, et ce même si il demeure abonné aux petits rôles de serveur ou bagagiste comme dans ce film-ci...  Alfred Hitchcock a déclaré à propos de l'oncle lors de son entretien en 1966 avec François Truffaut : "C'est un assassin idéaliste. Il fait partie de ces tueurs qui sentent en eux une mission de destruction. Peut-être les veuves méritaient-elles ce qui leur est arrivé, mais ça n'était pas son boulot de le faire. Un jugement moral est porté dans le film, n'est-ce pas,... (...)... Cela revient à dire que tous les méchants ne sont pas noirs et que tous les héros ne sont pas blancs. Il y a des gris partout..." Mais on est difficilement en accord avec le réalisateur quant à cette volonté et les faits, l'oncle est un psychopathe sans grande nuance, très noir donc et dont le blanc à juste les sourires de sa soeur et de sa nièce. Néanmoins il compense par une mise en scène qui impose une dualité omniprésente plus ou moins perceptible.

D'abord visuellement avec deux détectives, deux femmes à lunettes, double cognac, deux médecins, un bar nommé "Til'Two" qui ferme à deux heures, deux scènes dans un garage, deux tentatives de meurtres... etc... Et plus symbolique avec le culpabilité et la morale, le soupçon et la loyauté, le mal et le bien, ange et démon... etc... Tandis qu'en parallèle le réalisateur impose ironiquement une séquence presque onirique où des dames d'âges mûrs dansent en robe du soir sur la valse "Heure Exquise" de l'opérette "La Veuve Joyeuse" (1905) de Franz Lehar, thème repris d'ailleurs à la même époque dans "Le Ciel peut Attendre" (1943) de Ernst Lubitsch. Le scénario joue habilement du chat et de la souris, mais pourtant il y a un hic dès le début car on ne comprend pas le risque stupide pris par l'oncle quand il déchire un article du journal : un article qui s'avère bien anodin car dénué d'indice réel et dangereux. On constera également un cale à la porte du garage qui semble placée là par le saint esprit. Il s'agit là des deux gros défauts du film. Mais Hitchcock signe encore une mise en scène inspirée et sophistiquée comme le mouvement de caméra complexe lorsque l'oncle annonce son départ, où la façon de matérialiser la déception et la tristesse de la jeune fille quand elle apprend la réalité, en filmant son ombre qui s'agrandit. Rarement le cinéaste se sera autant attarder à filmer l'arrière-plan, le quotidien d'une petite ville, les décors, la vie nocturne même. Mais surtout le film est parsemé de références ou de clins d'oeil personnels à son enfance, par exemple outre la maman comme citée plus haut, la cadette qui lit Ivanhoé, roman dévoré par Hitchcock lui-même au même âge, un accident de bicyclette survenu enfant, un père fasciné par les histoires macabres, autant de détails qui n'étonnent finalement pas quand le réalisateur citera "L'Ombre d'un Doute" comme son film préféré ! Par là même, c'est le premier film du réalisateur à connaître une promo aussi vite mise en place. En effet, chose rare, la promo débute bien en amont par la Universal, et Hitchcok accepte pour la première fois la venue de journalistes sur le plateau. Désormais le cinéaste n'hésitera d'ailleurs plus à utiliser sa propre image et sa propre popularité pour servir ses films. 

 

Note :    

17/20
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I
Je l'ai revu sur le câble le mois dernier et je dois dire que Joseph Cotton a fait une excellente interprétation de son personnage. Il est fourbe, sournois et réussi quand même à convaincre son<br /> monde! Pas étonnant que sa nièce soit prise entre 2 feux... Un très bon film qui mérite bien le détour et donc le 17/20
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