La Cinquième colonne (1942) de Alfred Hitchcock

par Selenie  -  10 Janvier 2022, 09:21  -  #Critiques de films

Après "Soupçons" (1941) Alfred Hitchcock s'attelle à un projet plus personnel qui lui permet de reprendre des idées précédentes, surtout il va imaginer une sorte de variation autour de son film "Les 39 Marches" (1935). Mais son producteur David O. Selznick n'en veut pas, et va jusqu'à tenter de vendre le script à d'autres studios. C'est choser faîte lorsque les droits sont acquis par la Universal via le producteur Frank Lloyd surtout réputé comme réalisateur avec des films oscarisés comme "La Divine Lady" (1929) ou "Les Révoltés du Bounty" (1935). Hitchcock écrit avec sa fidèle collaboratrice Joan Harrison, également sa scénariste depuis "La Taverne de la Jamaïque" (1939) mais elle le quitte avant la fin pour écrire "Les Mains qui Tuent" (1943) de Robert Siodmak. Le scénario connaît pas mal d'évolution avec entre autre Peter Viertel, jeune auteur qui signera "African Queen" (1951) de John Huston et "Chasseur Blanc, Coeur Noir" (1990) de et avec Clint Eastwood qui s'inspire justement du précédent, puis, plus intéressant peut-être, avec Dorothy Parker qui a signé auparavant "Une Etoile est Née" (1937) de William A. Wellman et surtout "La Vipère" (1941) de William Wyler. Mais outre les co-scénaristes, ce qui fait évoluer l'histoire est l'actualité elle-même, à savoir qu'entre temps les Etats-Unis sont entrés dans la Seconde Guerre Mondiale, et alors qu'avant l'état demandait une stricte neutralité dans les films, comme l'a connu Hitchcock dans "Correspondant 17", cette fois il est demandé de "stimuler l'esprit patriotique" ! Par là même, précisons que ce film est le premier "vari" film américain de Hitchcock, soit un casting essentiellement américain pour une histoire américaine qui se déroule sur le sol américain. Enfin, attention aux confusions, le titre du film en V.F. est "Cinquième Colonne" mais en V.O. c'est "Saboteur" à ne pas confondre avec son autre film "Sabotage" (1936) qui est "Agent Secret" en V.F., titre qui peut aussi se confondre avec ne titre en V.O. "Secret Agent" (1936) soit en V.F. "Quatre de l'Espionnage" (1936)... 1940, Barry kane est ouvrier dans une usine aéronautique quand  cette dernière est la proie des flammes. Son meilleur ami meurt lors de l'accident mais lors de l'enquête Barry est soupçonné. Pour prouver son innocence il fuit et tente de retrouver le véritable auteur des faits qu'il croit avoir justement vu quelques instants avant le drame...

Le héros est incarné par Robert Cummings alors assez peu connu, mais qui tourna justement pour le producteur Frank Lloyd dans "Une Nation en Marche" (1937), citons ensuite "Obsessions" (1943) de Julien Duvivier ou "Les Ambitieux" (1964) de Edward Dmytryk, il retrouvera Hitchcock dans "Le Crime était presque Parfait" (1954). La belle qui viendra en aide au fugitif est jouée par Priscilla Lane, portée alors par le succès de la trilogie "Rêves de Jeunesse" (1938), "Filles Courageuses" (1939) et "Quatre Jeunes Femmes" (1939) de Michael Curtiz mais son rôle le plus notable sera dans "Arsenic et Vieilles Dentelles" (1944) de Frank Capra. Le fugitif va rencontrer Otto Kruger vu dans "La Ville Gronde" (1937) de Mervyn LeRoy et "Duel au Soleil" (1946) de King Vidor, Alan Baxter vu dans "À Chaque Aube je Meurs" (1939) de William Keighley et "Nous avons Gagné ce Soir" (1949) de Robert Wise, Clem Bevans surtout remarqué dans ces westerns comme "Les Conquérants" (1939) de Michael Curtiz ou "L'Amazone aux Yeux Verts" (1944) de Edwin L. Marin, puis citons Vaughan Glaser qui était dans "Les Maîtres de la Mer" (1939) de Frank Lloyd et qui retrouvera Hitchcock dans "L'Ombre d'un Doute" (1943) à l'instar de Frances Carson vue également dans "Correspondant 17" après lequel elle retrouve Charles Halton qui retrouve de son côté après "Joies Matrimoniales" (1941) Murray Alper qui retrouvera encore Hitchcock dans "L'Inconnu du Nord-Express" (1951), puis enfin n'omettons pas l'homme au centre de l'intrigue incarné par Norman Lloyd dans son premier rôle au cinéma, qui deviendra un ami fidèle de Hitchcock qu'il retrouvera dans "La Maison du Docteur Edwards" (1948), et qui réalisera plusieurs épisodes de la série TV "Alfred Hitchcock présente" (1958-1962), acteur qui tournera encore longtemps, notamment en jouant le directeur d'école dans "Le Cercle des Poètes Disparus" (1989) de Peter Weir. Notons également plusieurs personnages qui n'auraient pas dénoter dans le "Freaks" (1932) de Tod Browning avec entre autre un nain, une femme à barbe, des siamoises... etc... Le premier constat est que Hitchcock reprend les ingrédients d'anciens succès, sorte de mix entre "les 39 Marches" et "Jeune et Innocent" (1937), on retrouve donc un fuyard qu'on sait innocent, qui va devoir prouver ses dires mais qui y arrivera surtout grâce à des aides extérieures, de la bonté d'autres citoyens et aussi et surtout d'une jolie demoiselle.

Par contre le réalisateur ne joue pas avec un de ses célèbres macguffin (prétexte à l'aventure souvent secondaire) mais cette fois le but des terroristes est clair et précis, qui débute avec l'incendie de l'usine. Ainsi le mal est cette fois désigné du doigt. Et cette fois, pour une des rares fois, Hitchcock dépasse ses principes politico-sociaux qu'il a toujours évité d'intégrer à ses histoires. En effet, les méchants sont de castes sociales aisées, tandis qu'on reconnaît aisément la patte de la scénariste Dorothy Parker, auteur acerbe politiquement très à gauche (qui lui coûtera cher lors du maccarthysme) dont la plume peut se deviner dans les parties de "patriotisme aveugle", ou dans les dialogues à portée sociale. Le plus gros soucis du film réside dans son casting, non désiré par Hitchcock qui voulait par exemple Gary Cooper et Barbara Stanwick mais le budget de la Universal est limité, le studio demeure un des moins riches des majors et Universal impose donc ses choix pour le casting. Cummings s'en sort bien mais manque un peu de charisme, Priscilla Lane est mignonne mais reste "trop banale" selon Hitchcock lui-même. Mais les méchants sont exécrable et sournois à souhait. Le budget limité pousse aussi le réalisateur à faire montre d'astuce pour sa mise en scène, et finalement il n'est jamais aussi bon que dans la contrainte. Outre les "freaks" du camp forain, on est surpris par la partie "western" (genre que Hitchcock n'abordera jamais), dès le début du film on est saisi par la fumée noire et fantomatique qui envahit peu à peu l'écran, le face à face entre Barry et Tobin le chef de l'organisation est prenante et sous tension parfaitement symbolisé par un Barry filmé en cadre serré, engoncé dans une envie de rage et un Tobin sûr de son fait, à l'aise dans son canapé, jusqu'au final culte que Hitchcock revisitera pour une séquence encore plus mythique dans "La Mort aux Trousses" (1959). Le film est un gros succès au box-office, d'autant plus remarquable que la période n'est pas propice au gros score. Néanmoins, Hitchcock use encore et toujours de ses variations autour de même canevas alliant mélange des genres avec plus ou moins d'ironie et de cynisme. Le réalisateur va désormais moins s'éparpiller et explorer d'autres horizons. Il n'en demeure pas moins que ce film bien qu'intéressant reste un film mineur. Dès le début par exemple la "preuve" contre le héros ne tient pas la route, ensuite on prend vite conscience que le futur chef d'oeuvre "La mort aux trousses" sera une sorte de revanche du maitre ; la filiation est évidente. Hitchcock a fait mieux et fera encore mieux par la suite.

 

Note :        

12/20
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