Correspondant 17 (1940) de Alfred Hitchcock

par Selenie  -  13 Décembre 2021, 10:00  -  #Critiques de films

Après le succès "Rebecca" (1940), premier film américain de Alfred Hitchcock, le cinéaste se voit étonamment prếté par le nabab David O. Selznick avec qui il est sous contrat. Exceptionnellement, Selznick le prête donc à Walter Wanger, producteur moins prestigieux mais auquel on doit tout de même des films comme "J'ai le Droit de Vivre" (1937) de Fritz Lang et "La Chevauchée Fantastique" (1939) de John Ford. Wanger a un projet qui lui tient à coeur depuis 1935, il s'agit des mémoires "An Personnal History" de Vincent Sheean dont il a acheté les droits pour 10000 dollars. Au départ, le film prévu devait se focaliser sur la guerre civile d'Espagne mais l'actualité étant aussi brûlante que changeante il demande aux scénaristes de faire évoluer le récit vis à vis des actualités. Donc après 5 ans et pas moins d'une quinzaine de scénaristes dont la légende Ben Hecht et un certain Richard Maibaum qui signera tous les futurs 007 de "James Bond contre Dr No" (1962) de Terence Young à "Permis de Tuer" (1989) de John Glen. Wanger obtient que Hitchcock accepte le projet mais le scénario est une nouvelle fois réécrit avec avec son fidèle Charles Bennett qui signe donc là son 7ème et avant dernier film pour le réalisateur avant l'auto-remake "L'Homme qui en savait Trop" (1956), puis Joan Harrison avec qui il venait de signer "Rebecca" et qui retravaillera avec le cinéaste sur "Soupçons" (1941) et "Cinquième Colonne" (1942)...

En 1939 le journaliste américain Johnny Jones est envoyé en Europe pour évaluer les risques d'une nouvelle Guerre Mondiale. A Londres il rencontre un diplomate hollandais qui connaît la clause secrète d'un traité d'alliance mais il est kidnappé. Jones part à sa recherche aidé par Carol, fille d'un président d'une société pacifiste... Pour les deux rôles principaux, Hitchcock voulait Gary Cooper mais il refusa ne désirant pas tourner un thriller (il dira regretter), Clark Gable refusa également, puis il voulait Joan Fontaine qu'il venait de diriger dans "Rebecca" mais elle aussi sous contrat avec Selznick, ce dernier refusa de la prêter à Wanger ; prêter son réalisateur pourquoi pas, mais faut pas pousser à priori (!). Finalement le journaliste est incarné par Joel McCrea une star alors au sommet vu dans "La Femme et le Pantin" (1935) de Josef Von Sternberg, "Ville sans Loi" (1935) de Howard Hawks, "Rue sans Issue" (1937) de William Wyler et "Pacific Express" (1939) de Cecil B. DeMille. Sa partenaire est interprétée par Laraine Day vue cette même année dans "Tarzan trouve un Fils" (1939) de Richard Thorpe, et dans le dyptique "On demande le Docteur Kildare" et "Le Secret du Docteur Kildare" de Harold S. Bucquet. Le couple est entouré de deux autres stars, Herbert Marshall qui retrouve Hitchcock après "Meurtre" (1930) et qui a notamment été le partenaire de Marlene Dietrich dans "Blonde Venus" (1932) de Josef Von Sternberg et "Ange" (1937) de Ernst Lubitsch, puis George Sanders qui retrouve le réalisateur juste après "Rebecca". Citons encore Albert Bassermann qui jouera ensuite dans "Sabotage à Berlin" (1942) de Raoul Walsh et surtout "Les Chaussures Rouges" (1948) du duo Pressburger-Powell, et Robert Benchley vu dans "La Malle de Singapour" (1935) de Tay Garnett, "Uniformes et Jupons Courts" (1942) de Billy Wilder et "Obsessions" (1943) de Julien Duvivier... Le tournage se déroule alors que la Seconde Guerre Mondiale a débuté depuis déjà plusieurs mois et l'actualité fait que le scénario est en constante évolution. Par exemple, en fin de tournage alors que Hitchcock est en voyage en Angleterre où il apprend que les bombardements vont arriver, il rentre à Hollywood et rappelle son scénariste Ben Hecht qui doit réécrire la scène finale. Plus tragique, un bateau qui transportait le matériel de tournage et une partie de l'équipe a été torpillé entre Londres et Amsterdam.

Un journaliste qui part enquêter dans un pays étranger sur fond d'espionnage, on pense forcément un peu à Tintin reporter selon Hergé. Une sensation appuyée par le fait que le film est un des rares qui évitent les consignes officielles de neutralité des Etats-Unis alors que le monde est en guerre avant la date fatidique du 7 décembre 1941 et Pearl Harbor. L'effort de guerre américain sera ensuite bien différent. La vraisemblance de l'intrigue principale n'est pas toujours très probante mais cela est une habitude de Hitchcock qui assume le fait que sa mise en scène compense aisément en ne laissant pas de répit au spectateur. Le réalisateur parsème son film de petits détails qui soumet au spectateur une certaine angoisse : jouer constamment sur le clair-obscur, une main qui pousse en se dirigeant vers la caméra, la fuite d'un tueur à travers une forêt de parapluies, où un héros qui fuit par les toits ce qui provoque l'extinction de deux lettres lumineuses qui font apparaître un court instant la sigle "HOT EUROPE"... etc... Sans compter une séquence impressionnante d'accident d'avion qui marque d'autant plus qu'on devine la gageure technique pour un film de 1940. Puis on remarque que le réalisateur soi-disant misogyne offre un joli personnage féminin dans un contexte dont il reprend et reprendra le concept : une femme entre deux hommes dont l'un incarne une figure plus ou moins paternelle dont elle se doit de s'émanciper. À noter que ce film de 1940 ne sortira en France qu'en 1948 et amputé de 17 mn (?!), une version évidemment à occulter. Plus ironique, ce film qui pose en filigrane la question de neutralité des Etats-Unis, et qui pousse à la lutte contre l'Allemagne nazie (sans la nommer !) est un des films préférés d'un certain... Joseph Goebbels (ministre de la propagande de Hitler) qui qualifiera le film de "chef-d'oeuvre de la propagande, une production de première classe qui fera sans aucun doute impression sur les larges masses du peuple dans les pays ennemis." En conclusion, un film d'espionnage brûlant et finalement "universel" (?!) sur la lutte armée qui fait du héros un Tintin adulte prit dans la tourmente d'une montée en puissance guerrière inévitable, surtout mis en valeur par la mise en scène dense et généreuse du réalisateur.

 

Note :            

 

14/20
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