Sueurs Froides (1958) de Alfred Hitchcock

par Selenie  -  9 Mai 2022, 08:13  -  #Critiques de films

Alfred Hitchcock est dans une période un peu difficile, ses derniers films "Mais qui a tué Harry ?" (1955) et "Le Faux Coupable" (1956) n'ont pas rencontré leur public, tandis que les ennuis de santé lui gâche le moral dont une opération de la vésicule biliaire. Après ces deux échecs le réalisateur s'est focalisé sur sa série TV "Alfred Hitchcock Presents",  mais si il veut sauvegarder son indépendance financière le cinéaste se doit de renouer au cinéma avec le succès, critique comme public. Ca tombe bien, la Paramount a acquis les droits du roman "Entre les Morts" (1954) du duo Pierre Boileau et Thomas Narcejac pour le proposer au réalisateur qui saute sur l'occasion, se rappelant qu'il avait auparavant tenter d'acheter les droits d'un autre roman du duo d'auteurs français, à savoir "Celle qui n'était Plus" (1952) mais sera coiffé au poteau par le "Hitchcock français" Henri-Georges Clouzot qui signera le chef d'oeuvre "Les Diaboliques" (1952). Pour ce projet Hitchcock fait d'abord appel à Maxwell Anderson scénariste de "Le Faux Coupable" mais cette première ébauche est qualifiée de "intournable et incompréhensible". Deux autres scénaristes sont choisis, d'abord Alec Coppel qui avait collaboré avec Hitchcock mais non crédité sur "La Main au Collet" (1955) mais à nouveau le travail n'est pas assez apprécié mais cette fois il restera crédité, puis enfin Samuel A. Taylor auteur de "Sabrina" (1954) de Billy Wilder qui écrit essentiellement sur les indications de Hitchcock. C'est son travail qui sera gardé et il retrouvera plus tard le réalisateur pour "L'Etau" (1969)... Suite à un accident, Scottie est depuis sujet au vertige et a dû quitter la police. Un ami qu'il n'a pas vu depuis longtemps le contacte et lui propose de suivre sa femme qui semble avoir des moments de démence, elle serait ainsi possédée par l'esprit de son aïeule. Scottie finit pas accepter pour s'occuper mais bientôt il est séduit par cette belle femme. Il tente de la comprendre mais un autre accident cause la mort de cette femme alors que Scottie était prit de vertige. Après un procès, son ami quitte le pays tandis que Scottie est dévasté. Mais un jour, il croise une femme plutôt vulgaire qui a l'incroyable coïncidence de ressembler à la défunte... 

Scottie l'acrophobe est incarné par la star James Stewart qui retrouve Hitchcock pour la quatrième et dernière fois après "La Corde" (1948), "Fenêtre sur Cour" (1954) et "L'Homme qui en Savait Trop" (1956). L'épouse est incarnée par Kim Novak star depuis peu avec les films "Picnic" (1955) de Joshua Logan, surtout "L'Homme au Bras d'Or" (1955) de Otto Preminger et "La Blonde ou la Rousse" (1957) de George Sidney, son époux et ami de Scottie est interprété par Tom Helmore qui retrouve Hitchcock après "Quatre de l'Espionnage" (1936) et vu depuis dans "Une Femme Extraordinaire" (1955) de Robert Parrish ou "La Femme Modèle" (1957) de Vincente Minnelli. La meilleure amie de Scottie est jouée par Barbara Bel Geddes vue dans "Ciel Rouge" (1948) de Robert Wise et "Panique dans la Rue" (1950) de Elia Kazan, puis retrouvera Hitchcock dans quelques épisodes de "Alfred Hitchcock Presents", elle sera surtout connu pour être la matriarche dans la série TV "Dallas" (1978-1990). Ces rôles principaux sont entourés de Raymond Bailey vu dans "Tarantula !" (1955)  et "L'Homme qui Rétrécit" (1957) tous deux de Jack Arnold, et retrouve après "Sabrina" le scénariste Samuel Taylor et sa partenaire Ellen Corby vue dans "La Vie est Belle" (1946) de Frank Capra après lequel elle retrouve donc James Stewart, Henry Jones vu dans plusieurs westerns dont "3h10 pour Yuma" (1957) de Delmer Daves et "Butch Cassidy et The Kid" (1969) de George Roy Hill, Konstantin Shayne vu dans "Le Criminel" (1946) de et avec Orson Welles et "L'Affaire Cicéron" (1952) de J.L. Mankiewicz, Lee Patrick vue dans "La Fosse aux Serpents" (1948) et "Aimez-vous Brahms..." (1961) tous deux de Anatole Litvak, puis enfin n'oublions pas Jean Corbett, doublure de Kim Novak, travaillant souvent avec sa jumelle Joan Corbett vues toutes les deux entre autre dans "La Tunique" (1953) de Henry Koster... Précisons que pour le rôle principal féminin Hitchcock voulait Vera Miles qui venait de faire tourner dans "Le Faux Coupable" mais l'actrice est tombée enceinte et a dû se résoudre à choisir Kim Novak, un changement que le cinéaste a à priori eu des difficultés à accepter ce qui explique que l'entente avec son actrice ne fut pas idyllique. Pour James Stewart au contraire Hitchcock savoura le fait de montrer pour une des rares fois dans sa carrière un James Stewart loin de l'image de l'américain idéal, courageux et sympathique qu'il véhicule auprès du public. En effet, Scottie est un héros diminué qui finit emprisonné dans une perversion qui fera dire à Hitchcock lors de ses entretiens avec François Truffaut : "Il y a la volonté qui anime cet homme de créer une image sexuelle impossible ; pour dire les choses simplement, cet homme veut coucher avec une morte, c'est de la nécrophilie." Sur ce dernier point Hitchcock y va sans doute un peu fort mais montrer James Stewart en homme faible et en flic berné est effectivement un contre-emploi savoureux et judicieux.

Toujours bien aidé par son Directeur Photo Robert Bucks le film est doté d'une photographie magnifique au ton pastel qui n'aura jamais mis en avant une importance aussi flagrante de la signification des couleurs, notamment et surtout pour matérialiser la dimension psychologique de Madeleine/Novak, du gris maussade au rouge passion et folie en passant par le vert espérance qui renvoie au passé. Par contre on remarque quelques passages plus maladroits comme Scottie qui redescend du clocher sans trop de soucis pourtant alors dans une forte crise de vertige, ou l'étonnante absence de la meilleure amie de Scottie au procès. Des détails pour chipoter tant le film est fascinant et envoûtant, la beauté incandescente de Kim Novak n'y est pas pour rien et crée un vrai trouble entre les différentes Judy/Madeleine comme entre Kim Novak et sa doublure Joan Corbett. Evidemment le film est marqué par le vertige lui-même, qui donne son titre en V.O. au film d'ailleurs sur insistance et volonté de Hitchcock. Pour créer l'effet vertige le réalisateur combine zoom et mouvement de recul de la caméra, un effet qui sera repris plus tard par des grands comme Steven Spielberg ou Martin Scorcese. Puis enfin, on aime cette fin laissée à l'interprétation du spectateur, une fin idéale qu'on aurait pu ne jamais voir puisque une scène supplémentaire a été ajouté pour certains pays où une mauvaise action ne devait pas rester impunie : une voix à la radio annonce que Gavin Elster, commanditaire époux et ami est extradé vers les Etats-Unis tandis que Scottie rentre chez sa meilleure amie d'où il regarde l'horizon de la fenêtre... On notera que ce film est aussi souvent copié jamais égalé, on ne peut que citer sur ce point les films de Brian De Palma qui n'aura de cesse de signer des variations autour de ces thèmatiques avec "Obsession" (1976), "Pulsions" (1980), "Body Double" (1984) ou "Femme Fatale" (2002). Si ce film reçoit un accueil mitigé il va vite entrer à la postérité comme l'un des plus grands chefs d'oeuvres du maître du suspense. Il est souvent classé dans les plus grands films de l'Histoire, se disputant souvent les meilleures places face à "Citizen Kane" (1940) de et avec Orson Welles.

 

Note :                  

18/20
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