Les Patriotes (1994) de Eric Rochant
À ne pas confondre avec "Nos Patriotes" (2017) de Gabriel Le Bomin. Devenu réalisateur majeur et nouvel espoir du cinéma français après ses deux premiers films "Un Monde sans Pitié" (1989) et "Aux Yeux du Monde" (1990) Eric Rochant revient avec un projet beaucoup plus ambitieux, avec un budget qui l'est tout autant. Bien appuyé par ses producteurs il obtient également un rallongement de la durée du tournage jusqu'à 24 semaines ce qui est un luxe non négligeable. Pour ce nouveau projet le réalisateur-scénariste s'est fortement inspiré de l'affaire Jonathan Pollard (Tout savoir ICI !) qui a révélé l'existence d'un service opaque à la fois en lien et hors Mossad, le mystérieux "Lakam" (Tout savoir ICI !). Précisons que si le film reste une oeuvre de fiction, la partie "Pollard" s'avère particulièrement fidèle aux événements connus. Le film ne rencontrera pas spécialement son public mais l'accueil critique est plutôt bon, et outre une sélection à Cannes le film est lauréat d'un César du Meilleur Espoir féminin. Et surtout, la postérité va placé le film parmi les films d'espionnage les plus réalistes, à tel point que le film fera partie du cursus des nouvelles recrues de la DGSE (service français d'espionnage extérieur). Eric Rochant reviendra à l'espionnage avec "Möbius" (2013)... Ariel, français de confession juive, épris d'un certain patriotisme envers Israël, décide de passer les examens pour être recruter par le Mossad. Très vite remarqué, il est pourtant recruté non par le Mossad mais par un service indépendant appelé Unité 238. Au fil des missions il assume divers postes et diverses missions où la manipulation est au centre de tout. Mais il va aussi apprendre que la guerre de l'ombre a aussi ses travers où il va devoir faire des choix que ce soit envers une prostituée ou un agent double...
Ariel est incarné par Yvan Attal, qui va devenir un acteur-réalisateur majeur du cinéma français notamment avec "Ma Femme est une Actrice" (2001), a été justement révélé dans "Aux Yeux du Monde" de Rochant après lequel il retrouve son partenaire Hippolyte Girardot avec qui il a joué également dans "Après l'Amour" (1992) et qui retrouvera Rochant une nouvelle fois pour "Vive la République !" (1997). La soeur du héros est interprétée par Christine Pascal vue dans "Le Grand Chemin" (1987) de Jean-Loup Hubert et "Regarde les Hommes Tomber" (1994) de Jacques Audiard. Parmi les collègues plus ou moins du Mossad nous avons Maurice Bénichou futur acteur fétiche de Michael Haneke et surtout remarqué dans "Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain" (2001) de Jean-Pierre Jeunet, Bernard Le Coq vu dans "Trois Hommes à Abattre" (1980) de Jacques Deray et "Van Gogh" (1991) de Maurice Pialat, Emmanuelle Devos qui retrouvera Rochant juste après dans "Anna Oz" (1995) et muse de Arnaud Desplechin de "La Sentinelle" (1992) au tout récent "Tromperie" (2022), Yossi Banai vétéran du cinéma israélien vu dans "La Fille de la Mer Morte" (1966) de Menahem Golan ou "Haham Gamliel" (1973) de Joel Silberg. Parmi les "victimes" et/ou manipulés citons Jean-François Stévenin grand second couteau du cinéma français parti trop tôt qui retrouvera Rochant dans "Total Western" (2000), Sandrine Kiberlain encore méconnue qui passera un cap juste après avec les films "En Avoir (ou pas)" (1995) ou "À Vendre" (1998) tous deux de Laetitia Masson, et le couple Nancy Allen ex-épouse de Brian De Palma pour qui elle tourna entre autre "Carrie" (1976), "Pulsions" (1980) et "Blow Out" (1981), et Richard Masur vu dans "La Porte du Paradis" (1980) de Michael Cimino et "The thing" (1982) de John Carpenter. Citons encore les américains Allen Garfield vu notamment dans "Conversation Secrète" (1974) et "Cotton Club" (1984) tous deux de Francis Ford Coppola, et John P. Ryan vu dans "Dillinger" (1973) de John Milius et "Runaway Train" (1985) de Andreï Kontchalovski, et l'acteur israélo-arabe Makram Khoury qui va devenir un acteur majeur en son pays avec "La Fiancée Syrienne" (2004) et "Les Citronniers" (2008) tous deux de Eran Riklis et qui retrouvera Yvan Attal dans un autre film d'espionnage important avec "Munich" (2005) de Steven Spielberg... Pour l'anecdote, le personnage joué par Bernard Le Coq se nomme Bill Haydon, soit le nom d'un des personnage d'un roman d'espionnage de John Le Carré qui a beaucoup inspiré Eric Rochant, un roman qui sera porté à l'écran pour le film éponyme et excellent "La Taupe" (2012) de Tomas Alfredson. Le film débute avec un prologue où on croirait à deux étudiants fêtards interpellés par des policiers ripoux dans un pays du Moyen-Orient, un court instant on pense au début de "Nikita" (1990) de Luc Besson dans la façon d'amener un recrutement à l'insu de son plein gré.
Ariel/Attal devient espion, s'en suit un récit chapitré mais fluide où l'espion raconte les missions les plus marquantes de sa jeune carrière. Il expose les tenants et aboutissants, les aléas et les méthodes, et finalement le peu de cas moral des actions et réactions qui et que mènent les agents de l'Unité 238. Un employé du nucléaire qu'il faut "retourner", une prostituée ou pas que, la guerre entre service Mossad vs Unité 238, les atermoiements autour d'un agent double... etc... Le scénario est précis et s'applique à nous plonger dans les coulisses d'une opération. Le réalisme est poussé à l'extrême et, mine de rien, le casting est en cela particulièrement judicieux ; pas de gros bras caricaturaux, pas de stars bodybuildés mais des acteurs/agents qui ressemblent à monsieur tout-le-monde plus logique pour des missions d'infiltrations et de manipulations. Le seul vrai soucis réside dans des suspenses peu efficaces, ou du moins dont on ne ressent que trop peu les tensions et/ou l'angoisse. Le devenir de l'employé du nucléaire nous touche à peine, la réussite ou non de la mission paraît finalement accessoire, la partie prostituée est trop évidente, tandis que le transfuge manque d'un lien réellement fort entre l'agent double et notre héros. Il n'y a pas de montée en puissance flagrante ou émotionnellement forte, pas de montée en pression qui nous bouscule. C'est le gros bémol du film. Les agents sont trop en retrait, trop "inhumains" pour nous toucher émotionnellement tandis que les enjeux ne sont pas toujours palpables ; jamais les dossiers transmis par l'agent double sont confirmés pour leur importance ou non par exemple. Néanmoins, le côté méticuleux, les actions menées, les réactions vis à vis des événements sont passionnants, on reste focus constamment. Eric Rochant signe un film d'espionnage impressionnant par son côté méticuleux, avec un scénario implacable auquel il manque peu de chose pour être encore un cran au-dessus.
Note :