Tromperie (2021) de Arnaud Deplechin

par Selenie  -  5 Janvier 2022, 15:21  -  #Critiques de films

Adapté du roman éponyme (1990) de Philip Roth, le réalisateur Arnaud Deplechin a pourtant attendu plus de 20 ans avant de porter à l'écran ce livre qu'il avait offert à ses collaboratrices sur le tournage de son film "Comment je me suis Disputé... (ma Vie Sexuelle)" (1995) ! Un livre qui le suivra longtemps puisqu'il se servira une fois de plus de l'oeuvre pour les bonus DVD de son film "Rois et Reines" (2004) suite à quoi l'auteur a appelé le cinéaste qui lui a déclaré qu'il était impossible d'adapter son roman "Tromperie" : "Roth souriait au téléphone, et me répétait : mais faites simplement comme ce bonus ! Il m'aura fallu des décennies pour deviner ce que Roth avait vu. Plusieurs fois, je m'y suis essayé sans être satisfait du résultat. J'ai songé à l'adapter pour Denis Podalydès au théâtre, et j'ai encore échoué ! (...) Lors du confinement, quelque chose en moi s'est débloqué. J'étais enfermé comme le personnage de Philip dans son bureau. J'étais très heureux de travailler ainsi reclus. Et l'aspiration à la liberté des personnages a pris une tout autre résonance se rappelle le metteur en scène." Pour finaliser son histoire Arnaud Deplechin a fait une fois de plus appel à Julie Peyr, sa co-scénariste sur les films "Jimmy P. (Psychothérapie d'un Indien des Plaines)" (2013), "Trois Souvenirs de ma Jeunesse" (2015) et "Les Fantômes d'Ismaël" (2017)... Fin des années 80 à Londres, Philip écrivain américain reçoit sa maîtresse dans son bureau. Ils font l'amour évidemment, se disputent, se réconcilient et refont aussi le monde des heures durant...

Les deux rôles principaux retrouvent le réalisateur après une année 2021 particulièrement faste pour eux, Denis Podalydès d'abord qui retrouve Deplechin après "Comment je me suis Disputé... (ma Vie Sexuelle)" (1996) pour son 6ème film de l'année dont "Les Fantasmes" des frères Foenkinos, puis Léa Seydoux qui retrouve le réalisateur après "Roubaix, Ville Lumière" (2019) et après déjà quatre films cette année tous d'ailleurs présentés au Festival de Cannes dont "The French Disptach" de Wes Anderson et "Mourir Peut Attendre" de Cary Joji Fukunaga. Le réalisateur retrouve aussi une actrice fétiche qu'il n'a pas fait tourner depuis longtemps, Emmanuelle Devos vue récemment dans "On est Fait pour s'Entendre" (2021) de et avec Pascal Elbé qui a tourné 5 films pour lui de "La Sentinelle" (1992) à "Un Conte de Noël" (2008), l'actrice et le réalisateur retrouve l'acteur Miglen Mirtchev après "Rois et Reines" (2004) et "Un Conte de Noël" (2008), l'acteur retrouve également Léa Seydoux après "Kursk" (2018) de Thomas Vinterberg. Citons Anouk Grinberg vue dernièrement dans "Money" (2017) de Gela Babluabi et "L'Autre" (2020) de Charlotte Dauphin, Rebecca Marder révélée dans "La Rafle" (2009) de Rose Bosch et vue récemment dans "La Daronne" (2020) de Jean-Paul Salomé et "Une Jeune Fille qui va Bien" (2021) de Sandrine Kiberlain, puis enfin André Oumansky vétéran vu dans "La Vérité" (1960) de Henri-Georges Clouzot, "Les Félins" (1964) de René Clément, mais aussi vu plus récemment dans "Babel" (2006) de Alejandro Gonzales Inarritu et "Marie-Antoinette" (2006) de Sofia Coppola... Notons que pour ce film Deplechin a fait appel à un nouveau Directeur Photo, Yorick Le Saux, qui a travaillé plusieurs fois sur les films de Olivier Assayas ou François Ozon... Pour commencer précisons que le film est tiré d'un roman autobiographique, et nous ne pouvons que conseiller fortement d'en apprendre plus sur Phillip Roth (Tout savoir ICI !). L'auteur est d'ailleurs le personnage principal, donc un romancier célèbre juif américain, tandis que sa maîtresse est une anglaise dont on ne sait finalement pas grand chose. C'est justement là le premier bémol du film, on aurait pu croire que Deplechin ait transposé le récit en France plutôt que de choisir Denis Podalydès et Léa Seydoux. Pour cette dernière pas très grave car on ne sait pas grand chose sur elle, mais pour Phillip/Podalydès il est difficile de croire à un juif américain quand son interprète est l'image même du français lambda. Par là même on constate que les décors n'aident pas beaucoup, sans caractère, classique ou sobre, on n'imagine pas clairement qu'on se trouve en 1987, et on ne décèle pas franchement les Etats-Unis ou Londres.

Le premier soucis est donc d'y croire et de s'immerger dans ce presque huis clos. Il faut pourtant se reposer sur l'auteur, car c'est lui le fil conducteur, et c'est son ego qui mène le récit où il se sert de ses maîtresses comme inspiration ultime de ses romans, ici symboliser avant tout par l'amante Léa Seydoux. Le plus intéressant est que les deux amants se sont d'abord séduit par l'esprit et le verbe, suite à quoi la luxure et la chair n'ont jamais occulté leur plaisir des mots pour discuter de tous les sujets possibles (rapport à leur conjoint respectif, position vis à vis de Israël, aimer sans sentiments, jusqu'où aller pour écrire,...). La séduction est ici intellectuelle et de temps en temps ça fait du bien de voir une autre facette de l'amour. La contre partie est qu'on peut trouver le film trop théâtral, ou du moins très littéraire. Mais qu'on le veuille ou non ça reste logique, lui est romancier et ce qui l'a uni à cette amante plus jeune reste justement la littérature. Les instants dans le bureau de l'écrivain avec sa maîtresse renvoie souvent à une séance chez le psy, mais si il y a échange le rapport entre les deux restent bien celui d'une fan qui a séduit son auteur, qui lui bien qu'admiratif voit aussi et surtout une source d'inspiration riche et savoureuse avec ne prime du sexe adultérin. Deplechin signe un film à l'image de son personnage principal, élitiste, bavard et nombriliste ce qui est judicieux artistiquement parlant, moins si on pense grand public. Phillip/Podalydès s'avère plutôt antipathique car manipulateur/menteur pour séduire réellement le spectateur. Par contre on est touché par ses femmes, épouse et concubines ou amantes, et en ce qui concerne l'amante anglaise/Seydoux, on est d'autant plus ému que la seule chose dont on soit sûre est qu'elle est malheureuse avec son époux. Deplechin signe un film qui pêche par une reconsitution (87, contexte américain, juif, londonien...) qui ne convainc jamais, mais qui finit par être assez passionnant grâce à des dialogues, textes, merveilleusement écrit le tout dans un écrin d'élégance qui a son charme.

 

Note :            

 

12/20
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