The French Dispatch (2021) de Wes Anderson
Après 9 films et son film d'animation "L'Ile aux Chiens" (2018) voici donc le retour du singulier et original Wes Anderson pour un 10ème long métrage sous le signe de la France. Le titre est parlant qui signifie en V.F. "L'Expédition française", et qui paraît logique tant le réalisateur-scénariste n'a jamais caché son amour pour la France et surtout pour le cinéma français : "Le cinéma est né avec le cinéma français, avec les frères Lumière et Georges Méliès. J'aime les réalisateurs des années 30, Julien Duvivier, les histoires de Marseille de Marcel Pagnol, et les films de Jean Grémillon, que j'ai découvert plus récemment. Et puis Jacques Tati, Jean-Pierre Melville, et les cinéastes de la Nouvelle Vague - Truffaut, Louis Malle, Godard. Et peut-être, au centre de tout cela, Jean Renoir." Le cinéaste a construit sn film autour de trois histoires : "Un recueil d'histoires, ce que j'ai toujours eu envie de faire ; un film inspiré par le New Yorker et le genre de journalistes et d'auteurs qui ont fait la réputation du magazine ; et, puisque j'ai passé beaucoup de temps en France au fil des ans et que j'ai toujours voulu faire un film français, c'est aussi un film lié au cinéma français." Pour ce nouveau projet le cinéaste retrouve trois amis fidèles comme co-scénaristes, Jason Schwartzmann et Roman Coppola qui ont déjà co-signé avec Wes Anderson ce qui sont sans doute ses meilleurs films avec "À Bord du Darjeeling Limited" (2007) et "Moonrise Kingdom" (2012), ce duo collabore aussi souvent ensemble pour les films de Roman Coppola que sont "GQ" (2001) et "Dans la Tête de Charles Swan III" (2013), sans compter que Schwartzman fait aussi l'acteur très régulièrement chez Anderson. En troisième scénariste citons Hugo Guinness, homme multitâches pour Wes Anderson, artiste peintre pour "La Famille Tenebaum" (2001), acteur qui prête sa voix dans l'excellent "Fantastic M. Fox" (2009) puis co-scénariste sur "The Grand Budapest Hotel" (2014)... Le journal américain "The French Dispatch of the Liberty, Kansas Evening Sun" possède une antenne dans la petite ville française de Ennui-sur-Blasé d'où Arthur Howitzer, rédacteur en chef, envoie ses journalistes enquêter dans les quatre coins du pays. On suit donc la mise en oeuvre de trois articles : Moses Rosenthaler, un détenu psychopathe qui se révèle être un grand artiste peintre, les évènements de mai 1968, puis enfin une enquête gastronomique qui vire au polar...
Comme à son habitude, Wes Anderson réunit un casting prestigieux et cette fois il bat sans doute son nombre d'étoiles avec pas moins d'une une quarantaine de stars dont une bonne partie étant déjà des fidèles du cinéaste. Ainsi il retrouve ses acteurs fétiches dont en premier lieu l'inénarrable Bill Murray (9ème film ensemble !), suivi de Owen Wilson (8ème film), Jason Schwartzman (7), Adrien Brody (5), Tilda Swinton (5), Edward Norton (4), Willem Dafoe (4), Anjelica Huston (4), Bob Balaban (4), Frances McDormand (3) et également deux frenchies qui retrouvent la troupe après "The Grand Budapest Hotel", Léa Seydoux qui vient de dire adieu à 007 dans "Mourir peut Attendre" (2021) de cary Joji Fukunaga, et Mathieu Amalric actuellement en salles dans "Tralala" (2021) des frères Larrieu. Parmi les nouveaux venus on constate encore un goût éclectique pour des univers très différents avec pêle-mêle Christoph Waltz, Henry Winkler, Saoirse Ronan, Liev Schreiber, Jeffrey Wright, Timothée Chalamet, Griffin Dunne, Elizabeth Moss, Benicio Del Toro... Précisons que Waltz et Wright retrouvent Léa Seydoux après avoir croisés James Bond, tandis que Saoirse Ronan et Timothée Chalamet se re trouvent après "Lady Bird" (2018) et "Les Filles du Docteur March" (2020) tous deux de Greta Gerwig. Sans oublier les français qui ancrent le récit plus fortement dans notre Hexagone avec Guillaume Gallienne, Cécile de France en ce moment en salles dans "Illusions Perdues" (2021) de Xavier Giannoli, Denis Ménochet, Benjamin Lavernhe, Félix Moati, Lyna Khoudri, Grégoire Leprince-Ringuet et Damien Bonnard actuellement en salles dans "Les Intranquilles" (2021) de Joaquim Lafosse et qui trouve avec ce rôle une consécration après trois années prolifiques... Notons que la musique est signée du français Alexandre Desplat qui travaille avec Wes Anderson depuis "Fantastic M. Fox" (2010)... Précisons enfin deux autres références françaises du réalisateur, à savoir que le peintre fou est inspiré du clochard "Boudu sauvé des Eaux" (1932) de Jean Renoir incarné alors par Michel Simon, puis pour le reportage de Mai 1968 l'inspiration serait l'appel à la liberté sexuelle lancé par un certain Daniel Cohn-Bendit alors étudiant à Nanterre ; on passera sur la dimension pédophile du personnage que ne connaît sans doute pas le réalisateur. Précisons que Ennui-sur-Blasé est une ville fictive mais le tournage s'est déroulé en grande partie à Angoulême... Disons-le Wes Anderson compose une oeuvre d'art qui a deux énormes atouts : l'esthétisme formel et un amour de la France de chaque instant. D'emblée on reconnaît le style du réalisateur mais cette fois il semble qu'il réunit en un seul film tout ce qui fait son cinéma du point de vue visuel. Il passe du Noir et Blanc à la couleur ton pastel en passant par la partie animation, offre des plans à la symétrie kubrickienne puis passe au travelling, puis quelques passages en split-screen (écran séparé)... etc...
Et tout cela en rendant hommage à la France (première scène et son plateau café) mais surtout au cinéma hexagonal ! Beaucoup de Tati pour commencer, du Renoir par-ci par-là, la Nouvelle Vague surtout (logique) dans la partie Mai 1968... etc... On se rend vite à une évidence : chaque scène est un tableau de maître ou une photographie d'art, c'est aussi magique que sublime, c'est fascinant tant il y a de la richesse et de la densité dans chaque plan. Il faudrait revoir le film plusieurs fois pour réellement pouvoir tout déceler ! Malheureusement il y a en contre-poids deux gros défauts : une ébullition parallèle dans les dialogues et voix Off, puis l'écueil habituel du décalage de niveau entre les segments. Dialogues nombreux et foisonnants, voix Off régulière parfois les deux réunis cela crée parfois une cacophonie pas toujours plaisante et ajouté aux décors si pourvus de détails qu'on pourrait s'y perdre ! Le pire est le comble des films à sketchs, ce qu'est finalement ce film découpé en 5 parties dont 3 récits principaux. Le prologue met l'eau à la bouche, ensuite on ne peut qu'aimer le premier récit du psychopathe peintre qui est de très loin le meilleur article. Del Toro est parfait et en symbiose avec sa muse gardienne de prison incarnée de façon magnifique par Léa Seydoux. La seconde partie part un peu dans tous les sens, jeunesse révolutionnaire, réflexion sur la poésie, et/ou la littérature et/ou le journalisme on ne sait plus vraiment et parasité par une idylle McDormand/Chalamet à laquelle on ne croit pas une seconde. La troisième partie est pleine de trouvailles et d'idées géniales mais l'histoire est sans intérêt et on finit par s'ennuyer à ... Ennui-sur-Blasé ! Quel dommage... Wes Anderson s'est sans doute trop focalisé sur l'aspect visuel et ses hommages aux maîtres français du Septième Art, il en a oublié le fond, avec des histoires et/ou propos trop divers ou trop bancals qui n'apportent souvent que peu de réactions et trop rarement quelques sourires. On est donc mitigé, visuellement un des plus beaux films du réalisateur, mais les récits laissent trop froids pour convaincre pleinement. Une grande déception et une note indulgente au vu de l'artiste passionnant que reste Wes Anderson.
Note :