Les Intranquilles (2021) de Joaquim Lafosse
Retour du réalisateur-scénariste Joachim Lafosse, avec une énième histoire de famille, sujet de prédilection qu'il a déjà abordé sous ses divers drames comme "Nue Propriété" (2006), "À Perdre la Raison" (2012) ou "L'Economie d'un Couple" (2016). Pour cette nouvelle histoire le cinéaste a semble-t-il puisé dans son vécu avec son père maniaco-dépressif : "Il m'en est resté une très grande admiration pour les portraitistes surtout, et dès le début j'ai pensé notamment aux travaux de Julien Magre, en espérant pouvoir retrouver au moins un peu de cette simplicité extraordinaire. Mon père s'était juré, il le répétait sans cesse, de "ne jamais faire de mariage", il voulait vivre de la photo sans en passer par là. C'est ainsi qu'il s'est mis à photographier des tableaux. Les artistes venaient déposer les oeuvres, mon père les installait, les éclairait, les photographiait. J'ai vécu au milieu de tout ça, dans un rapport direct avec la peinture, la lumière, le cadre, la photo." Notons que le titre a été choisi parce qu'il précise que les proches d'un maniaco-dépressif sont aussi des "intranquilles", mais Benchetrit précise aussi que "même si le mot vient pour une part de Gérard Garouste, encore un peintre, et de son livre "L'Intranquille", autoportait d'un fils, d'un peintre, d'un fou." Samuel Benchetrit co-signe le scénario avec plusieurs co-scénariste comme Anne-Lise Morin, Lou de Pontavice ou Chloé Léonil mais aussi François Pirot avec qui il avait déjà collaboré sur "Nue Propriété" et "Élève Libre" (2008)...
Leïla et Damien s'aiment profondément et sincèrement, une union cimentée par un petit garçon. Mais Damien est maniaco-dépressif et le quotidien est difficile à gérer. Le couple tente de poursuivre en semble malgré le fait que Damien comme Leïla savent que jamais ils ne pourront avoir le bonheur qu'ils aimeraient offrir à l'autre... À l'origine le couple devait être incarné par Matthias Schoenaerts et Jasmine Trinca, mais avec le changement d'acteurs, le cinéaste a modifié le métier de photographe du personnage principal en peintre eu égard à son nouvel acteur qui a fait les Beaux-Arts. Le couple est ainsi incarné par Leïla Bekhti vue récemment dans "Comment je suis devenu Super-Héros" (2021) de Douglas Attal et "La Troisième Guerre" (2021) de Giovanni Aloi, puis par Damien Bonnard révélé par une année pré-covid 2019 particulièrement faste avec mêmes quelques grands films que sont "Blanche comme Neige" (2019) de Anne Fontaine, "Seules les Bêtes" (2019) de Dominik Moll, "J'Accuse" (2019) de Roman Polanski, "Curiosa" (2019) de Lou Jeunet, "Les Misérables" (2019) de Ladj Ly et "Le Chant du Loup" (2019) de Antonin Baudry. Leur fils est joué par le jeune Gabriel Merz Chammah dans son premier rôle au cinéma, mais qui n'est autre que le petit-fils d'un certaine Isabelle Huppert et fils de Lolita Chammah. Citons aussi Patrick Descamps vu dans "L'Échange des Princesses" (2017) de Marc Dugain et "Terrible Jungle" (2020) de Hugo Benamozig et David Caviglioli... Sujet délicat et difficile qui n'a jamais été traité au cinéma ; de nombreux films sur la dépression/déprime mais pratiquement jamais la bipolarité ou une personne maniaco-dépressive de façon réaliste. On pourrait citer "The Hours" (2002) de Stephen Daldry ou "Happiness Therapy" (2012) de David O. Russell. La dimension autobiographique impose un paramètre non négligeable, l'art (ici la peinture), mais c'est à la fois l'atout et ses limites en ce qui concerne le film. Son épouse croit ainsi que c'est la peinture qui crée les crises maniaco-dépressives jusqu'à lui interdire ou limiter son art, ce qui laisse croire aussi que l'art est néfaste et/ou que la bipolarité est sujette à une raison ou condition simpliste. On suit donc le quotidien de cette famille "dysfonctionnelle" alors que le couple se connaît déjà depuis longtemps et que la famille gère ainsi depuis de nombreuses années.
Le film se focalise donc sur un pan de quelques semaines, et qu'on devine être redondant. Les petites crises font sourire et ne semblent pas plus graves qu'un papa un peu fou, juste extraverti pour amuser la galerie familiale car, en effet, cela n'empêche pas quelques moments de bonheur. Les crises plus graves commencent à faire peur, on ne comprend pas, mais on a surtout peur quand l'enfant est en danger ce qui pousse même l'épouse et maman à devenir elle-même parano ! D'ailleurs c'est assurément le plus intéressant, à tout gérer, à tout supporter, elle devient elle aussi particulièrement fragile psychologiquement. la confiance est altérée, la peur de tout envahit chaque émotion de cette femme qui porte littéralement sa famille sur les épaules. Les dommages collatéraux sont incommensurables, et finalement on se dit qu'il n'y a aucun espoir. C'est d'ailleurs sur ce point qu'on est de surcroît déçu par la fin qui rejoint ainsi le début comme une boucle temporelle infinie. Malheureusement, si les acteurs sont fabuleux (gros point pour Damien Bonnard) il y a un gros bémol : aucune alchimie entre Damien Bonnard et Leïla Bekhti ! Ils font le maximum, on sent qu'ils sont investis mais on ne sent dans le même temps aucune étincelle au sein du couple alors même que cela doit être essentiel puisque le film pose la question de comment tenir avec un maniaco-dépressif autrement que par le ciment d'un amour véritable ?! Cette distanciation entre les deux partenaires bloquent donc forcément, et freine sur les émotions. On ne rit pas, on ne pleure pas, on sourit peut-être deux fois, on a peur une seule fois, on est touché ou ému deux ou trois fois mais il manque une vraie force émotionnelle due à l'évidence par un couple trop sans passion, qui manque de chair et d'atome crochu. Dommage...
Note :