Eugénie Grandet (2021) de Marc Dugain
Nouvelle adaptation du célèbre roman éponyme (1834) de Honoré de Balzac après les versions françaises (1910) de Emile Chautard puis de Victorin Jasset, la version américaine (1921) de Rex Ingram, italienne (1946) de Mario Soldati et mexicaine (1953) de Emilio Gomez Muriel. Ce nouveau projet est écrit et réalisé par un amoureux du film historique puisqu'il s'agit de Marc Dugain, qui s'est fait connaître avec son roman adapté par François Dupeyron avec "La Chambre des Officiers" (2001), et qui lui donnera envie de passer lui-même derrière la caméra avec "Une Exécution Ordinaire" (2010) et "L'Echange des Princesses" (2017). L'auteur et réalisateur a voulu dépoussiérer l'oeuvre de Balzac, ou plutôt la moderniser : "J'ai ciblé les scènes du livre que je voulais garder et celles que je voulais laisser de côté. J'ai dessiné un patchwork, puis je me suis mis à écrire de manière fluide et presque automatique, guidé par l'importance que je donnais à tel ou tel passage et en toute liberté. Il me fallait adapter la langue de Balzac pour un public d'aujourd'hui afin qu'elle ne paraisse pas trop désuète."...
Felix Grandet règne en maître dans sa demeure dans laquelle vit son épouse et sa fille sans aucune distraction tant il est avare. Il voit donc d'un très mauvais oeil les prétendants de sa fille car il a peur d'entamer sa fortune dont il cache l'importance. L'arrivée soudaine de son neveu, dandy parisien ruiné va tout bouleverser. Alors que ce cousin et sa fille se rapproche le père Grandet va tout faire pour sauver sa fortune... Le rôle titre est incarné par Joséphine Japy, déjà vue dans"Le Moine" (2011) de Dominik Moll, "Respire" (2014) de Mélanie Laurent, "Mon Inconnue" (2019) de Hugo Gélin et récemment dans "Les Fantasmes" (2021) des frères Foenkinos. Le père est interprété par Olivier Gourmet qui retrouve le réalisateur après "L'Echange des Princesses" (2017), et confirme son goût pour les films historiques de "Laissez-Passer" (2002) de Bertrand Tavernier à "De Gaulle" (2020) de Gabriel Le Bomin en passant par "Un Peuple et son Roi" (2018) de Pierre Schoeller, tandis que son épouse est jouée par Valérie Bonneton vue dernièrement dans "Nous Finirons Ensemble" (2019) de Guillaume Canet et "Venise n'est pas en Italie" (2019) de Ivan Calbérac. Le cousin est joué par César Domboy vu dans "Un Sac de Billes" (2017) de Christian Duguay et récemment dans "Le Bal des Folles" (2021) de et avec Mélanie Laurent. Citons ensuite Anne-Marie Philipe vue dans "Marquise" (1997) et "Survivre avec les Loups" (2007) tous deux de Vera Belmont, François Marthouret vu dans "Vénus Noire" (2010) de Abdellatif Kechiche et "Grâce à Dieu" (2018) de François Ozon, Philippe du Janerand qui jouait dans "La Chambre des Officiers" et qui retrouve Olivier Gourmet après "L'Exercice de l'Etat" (2011) de Pierre Schoeller, puis enfin Bruno Raffaelli qui retrouve également Olivier Gourmet après "Laissez-Passer" et "La Terre des Hommes" (2020) de Naël Marandin... On apprécie d'emblée les décors, les costumes pour une reconstitution d'époque à la fois réaliste et sobre, montrant aussi toute l'austérité d'une demeure où il ne manque rien mais de façon tout à fait modeste. Seul luxe dans la maison d'un avare bien plus abject que chez Molière, une employée de maison. Seule chose qui choque et que l'on comprend vite, Madame et sa fille ont juste le droit de respirer et, de temps à autre, de faire plaisir à Monsieur. Sans oublier que si Monsieur est riche et qu'il croit le cacher , toute la région le sait pourtant à l'exception de sa famille !
Ainsi, les notables cherchent à s'accorder les faveurs du père pour que leurs fils épousent l'héritière, tandis que cette dernière s'oblige à combler son quotidien à l'image de sa pauvre mère malgré ses rêves simples de grand amour. Le réalisateur-scénariste arrive magnifiquement à nous immerger dans cette demeure triste et austère, où les femmes sont des accessoires de beauté, ou même de simple présence sociale et de convenance ! On ressent avec douleur cette solitude toute féminine, ce quotidien fait des petites tâches quotidiennes toutes féminines évidemment où l'ennui est le loisirs de chaque jour qui passe alors que monsieur s'en va tout le jour amasser encore et toujours plus sans que sa famille n'ait droit à un temps soit peu d'intérêt ou d'attachement. L'argent est dieu, dieu est l'argent pour monsieur Grandet et ses femmes ne sont rien d'autres qu'un peu de poudre aux yeux aux convenances sociales. Tout sonne juste même si tomber amoureuse semble trop soudain, et exception faîte des répliques féministes qui sonnent trop opportunistes voir anachroniques vis à vis d'aujourd'hui. Le cinéaste a voulu résonner avec l'actualité de ces derniers temps mais il aurait fallu un chouïa plus de subtilité, l'histoire se déroule il y a près de deux siècles faut-il le rappeler. Néanmoins, Dugain signe une fois de plus un drame historique dure et touchant avec des acteurs impeccables, dont surtout un Olivier Gourmet imposant en patriarche et une Joséphine Japy à la beauté diaphane émouvante. Un beau et bon film auquel il manque peut-être un peu de souffle romanesque.
Note :