La Loi du Silence (1953) de Alfred Hitchcock
Adaptation de la pièce "Nos Deux Consciences" (1902) du français Paul Anthelme dont les droits ont été vendus à un autre auteur Louis Verneuil, qui, dans la pauvreté, vendit lui-même les droits à Alfred Hitchcock qui avait au préalable prévu de produire ce film via sa propre société Transtlantic Pictures avant que l'échec de "Les Amants du Capricorne" (1949) mette en faillite sa société et ne repousse le projet. Le sujet où il est question de religion et du droit au secret de la confession fait peur à la Warner qui s'inquiète de la viabilité commerciale du projet de par la censure éventuelle qu'une telle histoire pourrait subir. Hitchcock propose à plusieurs scénaristes de collaborer mais le sujet fait peur, même Graham Greene dont plusieurs de ses romans ont connu des adaptations ciné comme "Dieu est Mort" (1947) de John Ford ou "Le Troisième Homme" (1949) de Carol Reed, récemment converti au catholicisme Hitchcock pensait que les enjeux aurait pu l'intéresser mais finalement l'auteur déclina l'offre. Finalement, Hitchcock demande à deux scénaristes d'écrire, George Tabori encore peu réputé et qui écrira "Le Voyage" (1959) de Anatole Litvak et "Cérémonie Secrète" (1968) de Joseph Losey, puis William Archibald auteur qui venait se signer "The Innocents" (1952) pour le théâtre adaptation de la nouvelle "Le Tour d'Ecrou" (1898) de Henry James qui sera ensuite porté sur grand écran avec le magnifique film "The Innocents" (1961) de Jack Clayton. Mais les craintes de la Warner se confirment, notamment sur le fait que le prêtre aurait un enfant illégitime et qu'il est exécuté injustement à la fin car incapable de prouver son innocence. Un prêtre théologien québecois est engagé afin d'opérer les modifications nécessaires pour éviter la censure. Québecois car le film se déroule à Québec, il semble que la ville a été choisi pour sa communauté catholique importante et par la présence d'une architecture catholique, ce qui est plus compliqué aux Etats-Unis majoritairement protestante et donc où la confession n'existe pas... À Quebec, un avocat est retrouvé mort, semble-t-il assassiné par un prêtre d'après deux fillettes témoins. Otto Keller, sacristain, se confesse auprès du prêtre Michael Logan et lui avoue le meurtre. Mais très vite la police suspecte le père Logan d'être le tueur d'autant plus quand une liaison est découverte et semble un mobile parfait. Le père Logan soumis au secret de la confession ne peut réellement se défendre malgré l'aide de la femme qui l'aime, Mme Grandfort qui est aussi une amie du procureur...
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Au casting, Hitchcock ne peut choisir ses deux rôles principaux, sous la pression de la Warner il faut u acteur américain, c'est ainsi que le rôle du père Logan est incarné par Montgomery Clift nouvelle coqueluche de Hollywood près "La Rivière Rouge" (1948) de Howard Hawks et "Une Place au Soleil" (1951) de George Stevens et qui avait décliné un rôle dans "La Corde" (1948) de Hitchcock à cause d'une homosexualité trop évidente. Idem pour la femme qui l'aime, après avoir voulu la suédoise Anita Bjork (sa rappelant aussi sans doute une autre suédoise qu'il a fait tourné, Ingrid Bergman) qu'il a adoré dans "Mademoiselle Julie" (1951) de Alf Sjöberg, la Warner impose son veto car cette dernière à un bébé hors mariage et au vu de la période et du sujet ce serait mal venu au générique. Le réalisateur se rabat donc sur Anne Baxter star vue dans "La Splendeur des Amberson" (1942) de Orson Welles, "La Ville Abandonnée" (1948) de William A. Wellman et "Eve" (1950) de J.L. Mankiewicz. Son époux est joué par le français Roger Dann, acteur peu connu aperçu dans "La Porteuse de Pain" (1936) de René Sti ou "La Vie Parisienne" (1937) de Robert Siodmak. L'enquêteur est incarné par l'excellent Karl Malden policier récurrent comme dans "Le Carrefour de la Mort" (1947) de Henry Hathaway ou "Mark Dixon, Détective" (1950) de Otto Preminger et vu juste avant dans "Un Tramway nommé Désir" (1951) de Elia Kazan, tandis que le procureur est interprété par Brian Aherne vu entre autre dans "Sylvia Scarlett" (1935) de George Cukor, "Juarez" (1939) de William Dieterle et "Titanic" (1953) de Jean Negulesco. Le sacristain est joué par O.E. Hasse qui retrouve Monty Clift après "La Ville Ecartelée" (1950) de George Seaton et qu'on verra plus tard chez les français avec "Les Espions" (1957) de H.G. Clouzot et "Etat de Siège" (1972) de Costa Gravas, puis son épouse est jouée par Dolly Haas vue notamment dans "L'Amour Commande" (1931) de Géza Von Bolvary ou "Le Lys Brisé" (1936) de John Brahm. Citons ensuite Judson Pratt vu entre autres chez John Ford avec "Les Cavaliers" (1959), "Le Sergent Noir" (1960) et "Les Cheyennes" (1964) dans lequel il retrouvera d'ailleurs Karl Malden, puis enfin deux acteurs québecois, Ovila Légaré et Gilles Pelletier qui se retrouvent après "La Treizième Lettre" (1951) de Otto Preminger, également tourné à Quebec et remake du chef d'oeuvre "Le Corbeau" (1943) de H.G. Clouzot... Hitchcock reprend un de ses principes favoris, le "faux coupable", certains y verront même une variation de "L'Inconnu du Nord Express" (à partir de là tout est une variation de tout !) par le fait qu'un individu se charge d'un meurtre à la place d'un autre. Mais évidemment le vrai atout, le paramètre qui donne toute sa singularité à l'intrigue est cet ultime grain de sable : la confession. Un sujet épineux, et quand on pense aux scandales de pédophilie de ces dernières années on n'imagine sans mal que le secret de la confession est un soucis qui ne devrait pas exister. Mais la qualité du film repose avant tout sur une modernité presque surprenante, et par quelques détails qui font tout.
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Ainsi l'amante est d'une franchise remarquable et son époux d'une compréhension toute aussi digne, on remarque aussi ce sourire très satisfait de l'inspecteur/Malden qui serait presque empreint de sadisme, et ce symbolisme omniprésent sur la culpabilité comme cette déambulation du prêtre avec les ombres religieuses qui le suivent partout (Jésus portant sa croix, calvaires...). Mais à contrario d'autres scènes sont peu judicieuses ou peu logiques, par exemple comment est-ce possible que le prêtre et l'épouse du sacristain n'aient jamais de contact ne serait-ce que par le regard ?! Pourquoi revenir aussi loin dans le passé en ce qui concerne la relation "adultérine" et avec autant de détails ?! Seules 3 questions qui méritent des réponses succinctes étaient nécessaires et pas ce très et trop long monologue en flash-back. Mais surtout, comment est-ce possible que pas une fois se pose la question que le soucis est le secret de la confession ?! Pas un membre du clergé (surtout le principal intéressé !) ni la police n'y pense une seule fois alors que c'est une problématique évidente. C'est le gros bémol du film. Et enfin le grand final est un peu poussif, le verdict est peu compréhensif et la séquence finale particulièrement boursouflée (les badauds suivent, tout le monde agit sans sécurité ni autorité...). Heureusement le traitement du couple Grandfort est très intéressant, particulièrement bien croqué, avec une Anne Baxter sublime en prime, il y a un inspecteur subtilement antipathique, le réalisateur instaure un climax particulièrement sombre et pessimiste, tandis que Monty Clift impose un mutisme et un fatalisme intriguant pas toujours convaincant ; son entente litigieuse avec Hitchcock a dû jouer, la méthode introspective de l'Actor Studio étant conflictuel avec celle de Hitchcock. En conclusion, Hitchcock signe un film passionnant sur le fond mais des passages pas assez cohérents et/ou logiques laissent trop perplexe pour convaincre pleinement. Une petite déception malgré un propos toujours d'actualité.
Note :