Les Espions (1957) de Henri-Georges Clouzot
Notre Hitchcock national signe avec ce film ce qui est également sa première production via la société qu'il vient de créer : Vera Films, d'après le prénom de son épouse Vera Clouzot qui joue là son 3ème et dernier film avec son mari après les chefs d'oeuvre "Le Salaire de la peur" (1953) et "Les Diaboliques" (1954). Clouzot s'inspire librement du roman "Le vertige de minuit" (1957) de Egon Hostovsky et en fait un film d'espionnage atypique, presque en avance sur son temps par le style comme par le propos. En effet, c'est la première fois que le réalisateur se laisse aller à tant d'humour noir et décalé, comme un pamphlet satirique contre les bêtises kafkaïennes du monde du secret. Bien avant la mode qui naitra dans les années 60, Clouzot signe un film dont l'équation pourrait être un John Le Carré + "Les Barbouzes" (1964) de Georges Lautner. Malheureusement si le film est aussi ambitieux qu'audacieux (pour 1957) H.G. Clouzot oublie un peu que la comédie, même noire et décalée, a besoin d'un certain rythme et que c'est aussi pour cela qu'une comédie dépasse rarement les 2h.
Ici le réalisateur ne trouve pas le bon rythme et se laisse aller à un film trop long d'un bon quart d'heure. Clouzot se moque tellement (il est aussi scénariste) du milieu des espions que chaque personnage est une caricature qui ricane des autres sans discrétion. Les espions se chambrent, se moquent les uns des autres comme si la Guerre Froide n'était qu'un stupide jeu hors du monde réel. Emmené par un casting parfait dont les monstres Peter Ustinov et Cürd Jurgens, les français Louis Seignier, Gérard Séty et un certain Patrick Dewaere enfant (le petit moinet) tandis que l'épouse du réalisateur, Vera Clouzot (pas très bonne actrice faut bien le dire) est ici une pensionnaire dont l'importance n'est que minime. Un rôle qui se justifie ici seulement car elle est la muse du réalisateur. Une comédie qui ne l'est pas assez pour convaincre pleinement, un humour très sombre et surtout trop "cérébral" pour que le public se laisse séduire. Le rythme monocorde peut en laisser quelques uns réfractaires à ce cinéma mais pourtant Clouzot signe un film intelligent et à la mise en scène prenante qui allie idéalement noirceur et absurde. Sans doute pas le meilleur Clouzot mais il mérite assurément d'avoir sa chance.
Note :