L'Homme Tranquille (1952) de John Ford
L'un des plus grands réalisateurs hollywoodiens, voir du cinéma mondial, avec déjà quelques chefs d'oeuvres comme "Le Mouchard" (1935), "Les Raisins de la Colère" (1940) ou "La Poursuite Infernale" (1946) John Ford a pourtant bien des difficultés à produire un de ses projets qu'il traîne pourtant depuis près de 15 années. D'origine irlandaise, il rêve ainsi de porter sur grand écran la nouvelle "The Green Rushes" (1935) de Maurice Walsh, auteur irlandais populaire, dont il a acquis les droits dès 1936. Mais cette histoire d'amour dans la verte Erin ne séduit pas les grands studios comme MGM ou la 20th Century Fox, qualifiant entre autre cette histoire de "idiotie irlandaise romantique et sans intérêt commercial". La RKO accepte un temps en échange d'un succès au préalable, Ford signe alors "Dieu est Mort" (1947) qu'il produit via sa société Argosy Pictures qu'il vient de créer avec Merian C. Cooper (réalisateur de "King Kong" en 1933) mais c'est malheureusement un échec. De surcroît en pleine période de Maccarthysme c'est compliqué, Ford dénonçant les "méthodes dignes de la Gestapo" n'arrange pas les choses. Finalement, le réalisateur obtient une nouvelle proposition grâce à son ami et acteur fétiche John Wayne qui est alors sous contrat avec la Republic Pictures, petite compagnie de la Poverty Row, quartier dit "Hollywood du pauvre" où se situe les petites sociétés souvent spécialisées dans les films de séries B. Wayne est la seule grande star de Republic et impose donc son poids pour que la compagnie produise le film de Ford. Mais comme la RKO, la Republic demande un succès en échange. Cette fois, Ford offre un grand succès avec "Rio Grande" (1950) avec en tête d'affiche John Wayne et Maureen O'Hara, les deux stars qui sont investis et prévus depuis toujours pour jouer dans le film tiré du livre "The Green Rushes". Ce succès permet à Ford de lancer enfin la production jusqu'au tournage en Irlande en 1951. Le scénario est d'abord été écrit par Richard Llewellyn, auteur qui a adapté pour John Ford son roman "Qu'elle était Verte ma Vallée" (1941). Mais depuis 1935 le monde et l'Irlande ont beaucoup changé et notamment d'un point de vue géo-politique et social. Ainsi Ford souhaite dépolitiser l'histoire, il demande alors à Frank S. Nugent, scénariste fidèle (et gendre) de Ford depuis "Le Massacre de Fort Apache" (1948) et ce jusqu'à "La Taverne de l'Irlandais" (1963), de reprendre le scénario. Les deux stars du film accepte également de baisser leur cachet (Wayne renonce même à son habituel pourcentage sur bénéfice). Le film est un retour aux sources pour John Ford, qui repart sur la terre de ses ancêtres, ce qui lui tient particulièrement à coeur depuis ses films plus politiques et militants "Le Mouchard" (1935) et "Révolte à Dublin" (1936). Pour l'accompagner Ford choisit aussi ses proches, famille et amis et acteurs de son clan sont du voyage. Résultat, le film va être un de ses plus grands succès publics et critiques avec en prime deux Oscars pour la Meilleure Photographie et surtout Meilleur Réalisateur, un record encore inégalé avec donc cette 4ème statuette après déjà "Le Mouchard" (1935), "Les Raisins de la Colère" (1940) et "Qu'elle était Verte ma Vallée" (1941)...
Sean Thornton, ancien boxeur parti vivre le rêve américain, est de retour dans son Irlande natal. Désireux de racheter la demeure de son enfance il entre en conflit avec Red Will Danaher, et le fait que ce dernier ait une soeur à la chevelure rouge qui a ébranlé le grand yankee va encore compliqué les choses. Le petite communauté autour d'eux va agir pour tenter d'arranger tout ça... John Ford réunit sa famille pour ce projet qui lui tient particulièrement à coeur, sa famille de coeur et de cinéma, avec de nombreux irlandais. En tête d'affiche il y a forcément un certain John Wayne et ses 24 films avec Ford de "Maman de mon Coeur" (1928) à "La Taverne de l'Irlandais" (1963), sa partenaire Maureen O'Hara révélée dans "Qu'elle était Verte ma Vallée" (1941) retrouve ensuite Ford et croise une première fois Wayne dans "Rio Grande" (1950), et retrouvera son réalisateur pour "L'Aigle vole au Soleil" (1957), puis encore l'acteur dans "Le Grand McLintock" (1963) de Andrew V. McLaglen (fils de Victor et assistant auparavant de Ford) et dans "Big Jake" (1971) de George Sherman. La suite du casting est tout aussi composé de fidèle, avec Barry Fitzgerald qui tourne là son 5ème et ultime film avec Ford depuis "Révolte à Dublin" (1936), Ward Bond évidement lui aussi 24 films avec le cinéaste (et donc presque autant avec Wayne) de "Born Reckless" (1930) à "L'Aigle vole au Soleil" (1957), Victor McLaglen et ses 12 films fordiens de "Le Champion" (1925) en passant par la trilogie de la cavalerie initié avec "Le Massacre de Fort Apache" (1948), Mildred Natwick ici dans son 4ème film depuis "Les Hommes de la Mer" (1940), surtout n'oublions pas Francis Ford, le frère aîné au 200 films en tant que réalisateur et plus de 500 en tant qu'acteur depuis "A Tumultuous Elopement" (1909) de Georges Méliès dont 32 (!) sous la direction de son frère entre "Action" (1921) et "Le Soleil brille pour tout le Monde" (1953), Arthur Shields dans son 6ème film fordien depuis "Révolte à Dublin" (1936), Sean McClory qui tourne là son 1er de ses 5 films avec Ford jusqu'à l'ultime "Les Cheyennes" (1964), Jack MacGowran qui retrouvera Ford pour "Quand se lève la Lune" (1957) et "Le Jeune Cassidy" (1965) mais qui sera surtout connu pour ses rôles dans "Le Bal des Vampires" (1967) de Roman Polanski et "L'Exorciste" (1973) de William Friedkin, n'oublions pas une dame spéciale, Mae Marsh une des premières stars du cinéma ayant débutée dans "Ramona" (1910) de D.W. Griffith et qui tournera en fin de carrière dans 17 films de Ford entre "Sur la Piste des Mohawks" (1939) et "Les Cheyennes" (1964), et enfin, citons Michael Wayne et Patrick Wayne fils de, le premier sera surtout producteur essentiellement pour les films de son père, le second est de la bande pour 8 films de "Rio Grande" (1950) à "Les Cheyennes" (1964)... Le début du film insiste sur la beauté et la culture irlandaise, on sent que Ford veut imprimer la rétine avec quelques symboles ou éléments emblématiques comme la croix gaélique ou le charme d'un cottage idéalisé, jusqu'aux couleurs chatoyantes des vertes prairies et surtout jusqu'à l'éblouissante apparition de l'irlandaise d'épinal, Mary Kate alias Maureen O'Hara et sa chevelure couleur rouge qui vole au vent.
Il y a aussi les gaillards à la franche camaraderie, les rustres qui ont malgré tout bon fond, l'amour des chevaux, le labeur et sans oublier le repos du guerrier et son pub où la stout coule à flot. On retrouve par là même l'essence même du roman et du style "moeurs et terroir" même si les stéréotypes sont bien là ils participent à l'iconographie et à "l'esprit des lieux" cher à l'auteur Maurice Walsh. Mais on constate vite que John Ford a bien d'autre chose à dire qu'une simple carte postale. D'abord il a évolué dans ses opinions politiques et est devenue plus prudents sur le sujet de la guerre d'indépendance, ce pourquoi le film s'arrête à quelques allusions finement placées pour se focaliser sur une romance qui s'avère bien plus subtile qu'il n'y paraît. En effet, on voit d'ici quelques féministes bas du front s'étrangler sur la "pauvre" Mary Kate malmenée par son époux (ce qui participe au gag, mais qu'il faut aussi recontextualisé dans l'époque et la société d'alors), alors que tout se centralise sur la lutte intestine et conjugale autour de la dot. Sous couvert de jouer le seigneur pas intéressé par l'argent il conspue son épouse Mary Kate/O'Hara qui y voit, elle, un moyen de garder une certaine forme d'indépendance et donc une possibilité éventuelle de pouvoir reprendre sa liberté (on ne sait jamais !). C'est sûr cette mésentente que le récit tient et s'offre mine de rien une réflexion féministe maligne et pertinente. Les seconds rôles truculents entourent le couple qui entre ainsi dans les couples mythiques du Septième Art. John Ford signe une comédie pétillante, véritable hymne à l'Irlande qui pêche peut-être par une Irlande trop parfaite, trop fantasmée alors que l'île était alors pauvre et déchirée par les tragédies. Néanmoins, Ford offre un film comme un cadeau avec une histoire universelle et à la fois si irlandaise. Un bon moment.
Note :
Merci à Rimini Editions pour le qualité haute définition de son coffret.
Un coffret DVD/BluRay complet qui rend magnifiquement honneur à l'image du film et sa photographie primée très justement aux Oscars. En prime plusieurs bonus dont des entretiens et des documentaires pour savoir plus sur ce film qui bat encore aujourd'hui des records d'audience à la télévision irlandaise à chaque rediffusion annuelle du film. Sans oublier le livre remplit d'anecdotes sur le tournage, avant, pendant et après. A conseiller vivement.