L'amour platonique au cinéma
Définition de l'Encyclopédia Universalis : "L'expression renvoie non seulement à la continence, mais encore à la pudeur : plus précisément tout se passe comme si, avec l'amour platonique, la
tendresse pouvait se passer d'une érotique. En effet, il suppose un dualisme qui autorise le développement d'une relation sentimentale aux dépens de tout geste charnel."... Je n'irais pas plus
loin dans la philosophie de Platon ici ce n 'est pas vraiment mon propos...
Les films sur les histoires d'amour, depuis la "parenthèse enchantée" surtout, ne peuvent se passer de scènes de sexe plus ou moins explicites et pas toujours au service du film et donc pas
toujours utilisées à bon escient. Beaucoup trop de metteurs en scène jouent sur les scènes dénudées pour attirer le badauds voyeurs à la projection de leur film. Les films de l'âge d'or savait se
montrer inventif et offraient des films d'amour fort et plein d'émotion sans en montrer trop ; il y avait la censure diront certain, sans doute mais ça permettait tout de même aux cinéastes de
faire montre de leur talent pour faire passer leur message. C'est pourquoi certains des plus beaux films d'amour ont souvent pour toile de fond un amour platonique dénué donc d'actes charnels
mais pas toujours d'érotisme.
L'amour est le plus pur, et ce que même s'il est charnel, lorsqu'il est partagé... Il est platonique lorsque le ou les amoureux sont déjà mariés comme dans le chef d'oeuvre de Wong Kar-Wai
"In the mood for love" (2000) où le couple s'interdit une relation que leur conjoint respectif s'autorisent. Luchino Visconti réalise un film baroque magistral avec "Ludwig le crépuscule des
Dieux" (1973), le thème n'est pas à proprement parlé l'amour platonique il n'en demeure pas moins qu'un pan important de la vie de Louis II de Bavière est basé sur l'amour fou qu'il portait à
Elizabeth d'Autriche (Sissi joué par Romy Schneider) mais cette dernière était mariée, on s'en souvient à François-Ferdinand.
Le plus souvent il s'agit surtout de conventions sociales, de la peur du regard des autres comme dans "Le temps de l'innocence" (1993) de Martin Scorcese où Newland Archer, un aristocrate (Day
Lewis magistral) après une promesse de mariage ne peut aimer la comtesse Olenska (Pfeiffer superbe) dame au passé trouble. La preuve est faite que d'être du même niveau social n'est pas plus
facile donc, d'autres beaux films nous le prouvent. "La princesse de Clèves" (1961) de Jean Delannoy d'après le roman de Mme de La Fayette en est un très bon exemple ; par amour de sa mère,
par convention sociale, par respect pour son mari (mariage de convenance) elle se refuse au Duc de Nemours.
Non aristocrate mais vivant dans un milieu plein de codes et soumis à une certaine étiquette l'histoire entre James Stevens (Anthony Hopkins génial !) et Sally Kenton (Emma Thompson géniale
également) dans "Les vestiges du jour" (1993) de James Ivory ; un amour entre un majordome et une gouvernante quasi impossible par l'abnégation du majordome à son travail. "Les vestiges du jour"
restant sans aucun doute le plus beau film d'amour platonique du cinéma.
De niveau social différent l'amour est encore plus difficile pour Scarlett Johansson servante dans "La jeune fille à la perle" (2002) où elle se rapproche de plus en plus du peintre Vermeer (Colin Firth) par le biais notamment de la peinture. "Le roi et moi" (1956) est un exemple parfait de l'amour partagé mais rendu impossible par les différences fondamentales des fonctions, le roi de Siam (Yul Brynner) ne pouvant décemment pas s'engager avec la gouvernante anglaise de ses enfants (Deborah Kerr).
Dans un autre lieu et une autre époque "Le nouveau monde" (2005) de Terence Malick où l'histoire d'amour entre John Smith et Pocahontas est rendue impossible par la bêtise des blancs... La distance fera que Pocahontas restera amère et prisonnière du souvenir de Smith.
"La dame de Windsor" (1998) de John Madden est encore plus frappant ; la reine Victoria s'amourachant de son écuyer plus jeune après la mort de son époux mais devant l'étiquette de la cour les
sentiments n'en sont que plus intimes. D'ailleurs est-ce de l'amour (platonique mais amour tout de même !) où simplement de l'amitié ?! Nous préférons souvent croire à la beauté du sentiment le
plus fort en sachant bien que peut-être, si nous pouvions lire dans les pensées des amants virtuels nous nous tromperions sans doute...
Je pense notamment au magnifique film de Patrice Leconte "La veuve de Saint-Pierre" (2000) où Madame La (Juliette Binoche splendide), épouse du Capitaine (Daniel Auteuil magistral d'émotion et de
classe) s'attache à un condamné à mort (Emir Kusturica) ; malgré que je pense personnellement qu'il ne s'agit que derespect de l'humain et d'amitié il n'est pas impossible de penser qu'il y a
peut-être plus entre cette femme d'officier et le prisonnier en attente de la guillotine.
La différence d'âge est souvent traité par un biais plus "amical" d'ailleurs comme pour ne pas froisser les bien pensants... "Nelly et Monsieur Arnaud" (1995) de Claude Sautet en est un bon
exemple où la relation entre une jeune femme divorcée et sans le sou (Emmanuelle Béart) et un viel homme aisé (Michel serrault magnifiquement sobre) pourrait sembler n'être qu'amicale si il n'y
avait pas le talent de Sautet pour mettre en scène des moments subtils d'intimité fait de silence et de regards profonds. En poussant un peu plus cette idée pourrions-nous mettre aussi dans cette
catégorie "Miss Daisy et son chauffeur" (1989) ?! L'histoire entre la vieille dame juive et son chauffeur noir n'est pas sans rappeler "La dame de Windsor" toute proportion gardée évidemment.
Revenons sur les raisons telles que les convenances et l'étiquette d'une cour, difficile aujourd'hui pour la plupart de comprendre ces raisons mais à y regarder de plus près est-ce que le racisme
et l'homophobie ne sont pas du même acabit ? Un film magnifique trait de ces deux thèmes en offrant un amour platonique de toute beauté, "Loin du Paradis" (2003) de Todd Haynes ; l'épouse
(Julianne Moore superbe) apprend qu'elle est trompée par son mari gay et se rapproche de son jardinier noir, précisons que cette histoire se déroule dans les années 50, il n'est point besoin de
préciser le contexte. Contexte social différent celui de "Fanny" (1932) de Marc Allégret mais d'après la trilogie de Pagnol ; Fanny enceinte de Marius accepte d'épouser Panisse vieil homme pour
les convenances, Panisse acceptant sans contraindre Fanny à la consommation du mariage.
Entre contexte social et divers racisme il y a aussi nos certitudes, nos croyances, l'amitié... Eric Rohmer avec "Ma nuit chez Maud" (1974) met en place un trio qui débat sur philosophie et foi.
Vidal et Maud (Françoise Fabian) un couple marxiste et athée, plutôt libertaire discute avec Jean-louis (JL Trintignant) catholique et fidèle en amour, Vidal sur de lui et pour prouver à
Jean-louis qu'il a raison va laisser Jean-Louis rester une nuit avec Maud... Jean-Louis, amoureux sincère, préfèrera sauvegarder leurs corps plutôt que de risquer de perdre la pureté de son
amour. Dans le genre "raison incompréhensible" est une relation d'abord télévisuelle avant que Rob Bowman réalise pour le grand écran "The X-files" (1997). Nous savons tous le lien qui lie Mulder
à Scully mais ils sont engoncés dans leur travail et dans la peur de détruire l'amitié qui fait leur force.
Une des plus belles preuves d'amitié du cinéma (et de la littérature !) est sans nul doute "Cyrano de Bergerac" (1990) de Jean-Paul Rappeneau... Cyrano mettant au service de son ami sa verve et
son talent d'écriture au service d'un nouvel ami pour qu'il puisse conquérir celle qu'il aime aussi, Roxane ; la fin est poignante, Roxane s'aperçoit qu'elle depuis le début le plus laid des
deux.
Certaines histoires d'amour ne sont pas flagrantes au départ et on pourrait se complaire dans une amitié simple, surtout si la jeune fille est mariée et l'homme un homme d'âge mûr ; "Lost in
translation" (2004) de Sofia Coppola fait se rencontrer deux solitudes qui se cherchent sans vraiment s'en rendre compte. Même si à la fin l'amour gagne l'espoir on n'apprécie encore plus
l'aventure si on la considère comme platonique plutôt que comme une simple rencontre.
L'âge est sans doute une des clefs, celle de l'interdit qui a été magistralement mis en scène par le maitre Stanley Kubrick avec "Lolita" où l'amour que porte un homme d'âge mûr (James Mason
tourmenté et mal à l'aise) à une ado de 13 ans joué par une Sue Lyon particulièrement aguicheuse (au début du film).
Précédemment Elia Kazan avec "Baby Doll" (1956) avait déjà exploré ce terrain où une jeune fille de 19 ans (Caroll Baker), marié trop jeune à un homme plus âgé (Karl Malden) mais dont le mariage
n'a pas encore été consommé (la jeune marié voulant attendre ses 20 ans), joue de ses charmes surtout lorsque le concurrent de son mari cherche à la séduire... Amours platoniques entre jeux
dangereux et innocence qui ne fait qu'interpeller le spectateur puisque les sentiments des jeunes filles sont mis en doute ou du moins sont mis sur le compte de l'immaturité.
Reste l'amour platonique du point de vue fantastique...
Je commencerais par le plus improbable, le plus violent... "May" (2004) raconte l'histoire d'une jeune femme timide et complexée qui décide de se créer un amant idéal en prélevant ce qui
l'interesse sur divers jeunes hommes ! Angela Bettis est May, une jeune femme qui est amoureuse d'un être digne de Frankenstein... Un très grand film d'horreur mais qui laisse un goût bizarre à
la fin, la jeune femme ne cherchant juste qu'à se faire aimer. En parlant de Frankenstein l'amour n'est pas interdit à la créature.
"La fiancée de Frankenstein" (1935) de James Whale ou "Frankenstein" (1994) de Kenneth Branagh montre la créature avec son homologue féminin... Peut-on douter qu'il s'agit entre eux d'un amour
platonique ? La question peut sembler futile mais qui n'a pas penser à la question en voyant le film de Branagh par exemple ?
Les monstres ont droit à l'amour... "King Kong" (version 1933 inégalé !) en est un exemple l'amour qu'il porte à Ann Darrow ne peut être mis en doute mais nous savons aussi que c'est un amour
charnel impossible.
Dans un genre pas si éloigné, l'amour entre un monstre et une jeune fille qui ne sera jamais consommé... avant que le monstre ne devienne prince charmant ! "La Belle et la Bête" (1946) de Jean
Cocteau est l'un des films les plus beaux du cinéma français ; passons sur le débat stérile "le physique ne fait pas tout" et restons sur l'amour est plus fort que tout même des malédictions.
Je terminerais par le meilleur et le plus beau... L'amour platonique mais aussi éternel...
"Peter Ibbetson" (1935) de Henry Hathaway raconte l'histoire d'un petit garçon et d'une petit fille que les aléas de la vie vont séparer. Etant devenu adulte l'homme retrouve sa bien aimée mais
il se retrouve emprisonné à perpétuité après avoir tué en légitime défense le mari de sa belle. En prison les amants se retrouvent par leur rêve avant de se retrouver dans l'au-delà après leur
mort... Chef d'oeuvre en noir et blanc et film trop peu connu...
"Une aventure de madame Muir" (1948) de JL Mankiewicz... Une jeune veuve rencontre le fantôme d'un capitaine, vit sa vie et à sa mort le capitaine revient chercher sa bien aimée... Second chef
d'oeuvre en noir et blanc...
Evidemment il faut partit du principe que les fantôme sont dans l'impossibilité de passer à l'acte physiquement !... Voilà des films qui parlent d'amour d'une autre façon et pas des plus
laides... L'amour platonique, en dehors des considérations philosophiques est d'abord un amour pur valorisé par des sentiments sincères et inaltérés... Même si je préfère personnellement le vivre
qu'au cinéma !