Le Convoi de la Peur (1977) de William Friedkin
De son titre original "Sorcerer" il ne s'agit pas d'un remake du célèbre chef d'oeuvre "Le Salaire de le Peur" (1953) de Henri-Georges Clouzot, mais il s'agit d'une nouvelle adaptation du roman éponyme (1950) de Georges Arnaud (de son vrai nom Henri Girard, à ne pas confondre avec son homonyme Georges J. Arnaud). Néanmoins William Friedkin est un fan de Clouzot et demande à le voir lors de son passage à Paris pour la promo de son film "L'Exorciste" (1974). Il lui avoue son admiration (il l'appelle Maestro !) et son envie de refaire "Le Salaire de la Peur" tout en lui précisant : "Je vous promets que je ne ferai pas aussi bien que vous." ... Il se met au travail avec comme co-scénariste Walon Green (co-scénariste du chef d'oeuvre "La Horde Sauvage" en 1969 de Sam Peckinpah) avec un pouvoir important puisqu'en effet Friedkin est devenu un des rois du Nouvel Hollywood après les triomphes de "French Connection" (1971) et "L'Exorciste" (1974). William Friedkin est d'ailleurs son propre producteur et le Studio lui laisse les coudées franches pour son film qui débute avec un budget modeste de 2 millions de dollars. Le cinéaste souhaitait au départ une star bien précise, à savoir Steve McQueen mais devant l'insistance et l'ultimatum de la star pour que soit embauché sa fiancée Ali McGraw, l'acteur s'est désisté. Idem pour Marcello Mastroïanni alors papa d'une fillette (la future Chiara Mastroïanni) et dont la maman Catherine Deneuve refuse son départ à l'étranger...
Au final le cinéaste est obligé de se rabattre sur des acteurs moins bankable. Les premiers rôles sont donc tenus par l'américain Roy Scheider qui jouait déjà dans "French Connection" et aujourd'hui au sommet après avoir cartonné dans "Les Dents de la Mer" (1975) de Steven Spielberg et "Marathon Man" (1976) de John Schlesinger, par le frenchy Bruno Cremer (après désistement de Lino Ventura), le franco-marocain Amidou premier comédien étranger à obtenir un prix au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique et acteur fétiche de Claude Lelouch de "Le Propre de l'homme" (1960) à "And Now... Ladies and Gentleman" (2002) et enfin l'espagnol Francisco Rabal, acteur réputé et recherché, vu dans des films comme "L'Eclipse" (1962) de Michelangelo Antonioni, "Belle de Jour" (1967) de Luis Bunuel et plus tard dans "Attache-moi !" (1989) de Pedro Almodovar... A l'instar du film de Clouzot, le tournage de "Sorcerer" ne fut pas de tout repos. Friedkin tourne notamment dans plusieurs pays (Nouveau-Mexique, New-Jersey, Rép. Dominicaine, Jerusalem, Mexico et Paris) et doit composer avec les différents climats et surtout une épidémie de malaria et la noyade de deux figurants soldats... Ajouté au perfectionnisme de Friedkin et le budget explose pour monter à plus de 22 millions de dollars ! Evidemment, malgré tout on ne peut s'empêcher de comparer avec la version de Clouzot. Ce dernier a signé un Film Noir psychologique qui se focalise essentiellement sur le convoi alors que Friedkin signe un film d'aventure tragique qui prend son temps.
D'ailleurs, alors que la version Clouzot dure 1h de plus, il ne s'attarde pas sur le passé des personnages, Friedkin avec à peine 02h de film offre un prologue un peu long d'où une sensation de longueur. En effet, il faut attendre près de la moitié du film avant que le convoi ne démarre. Avant cela Friedkin prend son temps pour nous présenter ses personnages dans leur "milieu naturel" et avant d'atterrir dans ce pays dictatorial. Le convoi lui-même ne dure pas plus de la moitié du film et s'arrête à un seul vrai passage sous tension, le fameux pont de cordes. On reste donc un peu sur notre faim car le film n'offre aucune scène d'angoisse ou sous tension, on ne ressent jamais la pression psychologique d'une telle mission. Non, Friedkin signe anti-thèse de Clouzot et s'attache surtout au destin funeste pré-établi de ses personnages. La mission de transport devient secondaire et se focalise avant tout sur la solitude de ces hommes qui cherchent non pas une seconde chance, mais une sorte de rédemption morale. D'ailleurs, Friedkin insiste fortement sur la misère des autochtones (pauvreté, précarité et dangerosité de leur travail et existence) et sur la dictature (police omniprésente et corruption), là où Clouzot n'a fait que survoler le contexte social. Friedkin ne copie pas Clouzot et offre un réel point de vue sur une nouvelle relecture du roman. Finalement ces deux films s'enrichissent mutuellement, à l'instar d'autres adaptations comme, entre autres exemples, "Les Tueurs" (1946) de Robert Siodmak et "A bout Portant" (1964) de Don Siegel. Normalement Henri-Georges Clouzot devait touché un pourcentage sur recette, mais le Maestro français est mort avant la sortie du film (début 1977) et surtout le film fut malheureusement un échec cuisant avec seulement 9 millions de dollars au box-office mondial. Friedkin regrettera toujours de ne pas avoir cédé pour Steve McQueen mais le fait que le film soit sorti une semaine après "La Guerre des Etoiles" (1977) de Georges Lucas a assurément été préjudiciable. Malgré tout, "Sorcerer" est cité par Friedkin comme étant son film préféré car il est celui qui correspond le plus à sa vision originelle.
Note :