Un Divan à Tunis (2020) de Manele Labidi

par Selenie  -  7 Mai 2020, 14:20  -  #Critiques de films

Premier long métrage de Manele Labidi, cinéaste franco-tunisienne (née en France) qui travailla des années dans la finance avant d'intégrer un programme de la Fémis. Son premier film est un court métrage, "Une Chambre à Moi" (2018), adapté de façon tragicomique de l'essai "Une Chambre à Soi" (1929) de Virginia Woolf. Pour ce projet d'une plus grande ampleur la réalisatrice-scénariste a voulu se rapprocher de son pays d'origine après la révolution tunisienne (2011-2013 environ), comme elle l'explique : "La révolution a rendu le pays tout d'un coup "bavard" après des décennies de dictature et c'est cette effusion de parole intime et collective que j'avais envie de traiter., J'ai aussi compris que la révolution avait eu un impact sur le psychisme de la population : la chute brutale de la dictature avait plongé le pays dans un chaos et une incertitude provoquant chez certains des troubles anxieux et dépressifs liés aux interrogations sur l'avenir politique du pays, la crise économique, le spectre islamiste, le terrorisme."...

La cinéaste a pu se faire produire par Jean-Christophe Reymond producteur des films "Tristesse Club" (2014) et "Les Fauves" (2019) tous deux de Vincent Mariette... Après avoir vécu en France depuis ses 10 ans, Selma, psychanalyste, revient en Tunisie où elle pense pouvoir être plus utile qu'en France où les psy sont nombreux. Mais considérée comme une "immigrée" et n'ayant plus les codes, elle va s'apercevoir que l'intégration et l'acceptation n'est pas si facile dans un pays dont ce n'est plus sa vraiment culture... Selma est incarné par Golshifteh Farahani, actrice iranienne (naturalisée française) ce qui est apparemment un soucis pour certains n'étant pas "arabe" ; débat stérile. On a vu l'actrice récemment dans "La Nuit a dévoré le Monde" (2018) de Dominique Rocher et "Les Filles du Soleil" (2019) de Eva Husson. Peu d'acteurs connus à ses côtés, mais on citera tout de même le policier joué par Majd Fastoura vu dans "Hedi, un Vent de Liberté" (2016) de Mohamed Ben Attia pour lequel il a obtenu l'Ours d'Argent du meilleur acteur au Festival de Berlin 2016, puis un patient interprété par Hichem Yacoubi vu dans plusieurs excellents films comme "Un Prophète" (2009) de Jacques Audiard, "Timbuktu" (2014) de Abderrahmane Sissako et "Le Caire Confidentiel" (2017) de Tarik Saleh... Le toute première petite scène du film est d'une justesse et d'une fantaisie remarquable, sans pour autant tomber dans l'humour facile et gratuit car pratiquement tout est dit dans ce préambule où Selma semble se confronter pour la première fois à la Tunisie "profonde".

Mais on ne peut s'empêcher aussi de rappeler que la Tunisie est sans aucun doute le pays du Maghreb le plus tolérant envers les femmes. Et on constate que ce récit stigmatise pourtant la condition de la femme dans ce qu'il y a de plus "gênant" car outre Selma le film ne montre aucune autre femme "libérée" ce qui paraît un peu réducteur, pour ne pas dire erronée et/ou caricatural. Selma est montrée comme une précurseuse dans son métier alors qu'il existe bel et bien des femmes psy en Tunisie (surtout que Selma est à la capitale). La réalisatrice-scénariste voulait montrer un "monde arabo-musulman trop souvent réduit au terrorisme, à l'islamisme et à la question du voile", si c'est salutaire et que l'entreprise est sincère il n'en demeure pas moins que les sujets abordés restent pourtant les mêmes. Mais la légèreté de ton et le charme de Golshifteh Farahani font pourtant passer un bon moment. Les sujets sont abordés de façon non stigmatisantes et quelques instants ne manquent ni de piquants ni de poésie parfois. En conclusion, une chronique douce-amère plaisante auquel il manque juste un peu plus de liberté de fond.

 

Note :                    

  

12/20

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