Angel (2007) de François Ozon

par Selenie  -  4 Mai 2021, 08:54  -  #Critiques de films

Tourné entre "Le Temps qui Reste" (2005) et "Ricky" (2009) ce film est seulement le second de François Ozon adapté d'une oeuvre littéraire à cette époque après "Gouttes d'Eau sur Pierres Brûlantes" (2000) d'après une pièce de Rainer Werner Fassbinder. Bien que le cinéaste ait lu le roman éponyme (1957) de Elizabeth Taylor (rien à voir avec la star aux yeux violets) plusieurs années avant le cinéaste a préféré attendre pour assumer ce projet ambitieux, à savoir un grand mélo romanesque en costume et en langue anglaise. Ozon co-signe le scénario avec l'auteur britannique Martin Crimp, notamment pour les dialogues. Précisons que le roman est lui-même inspiré de la vie de la romancière Marie Corelli (Tout savoir ICI) , sans compter un probable aspect autobiographique de Taylor. Rappelons que le titre peut rappeler des précédents films avec lesquels il ne faut pas confondre comme "Angel" (1937) de Ernst Lubitsh et "Angel" (1982) de Neil Jordan... 1905, Angleterre, Angel Deverell qui vient dune famille pauvre veut devenir écrivain. Elle rencontre un éditeur qui lui fait confiance et elle connaît dès lors une ascension fulgurante malgré les critiques et ses exubérances. Quand elle rencontre Esmé, le frère de sa secrétaire, elle pense être enfin la femme la plus heureuse du monde...

Le rôle titre est incarnée par Romola Garai vue dans des seconds rôles aussi en costumes dans "Vanity Fair" (2004) de Mira Nair, "Scoop" (2006) de Woody Allen et "Reviens-Moi" (2007) de Joe Wright. Le bel amant est joué par un inconnu, un certain Michael Fassbender qui va se révéler au monde aussitôt après avec "300" (2007) de Zack Snyder et surtout "Hunger" (2008) de Steve McQueen, tandis que sa soeur est jouée par Lucy Russell révélée par "L'Anglaise et le Duc" (2001) de Eric Rohmer et vue dans "Tristan et Yseult" (2006) de Kevin Reynolds. L'éditeur est interprété par Sam Neill dont on citera toujours les deux films qui l'ont propulsé en haut de l'affiche "La Leçon de Piano" (1993) de Jane Campion et "Jurassic Park" (1993) de Steven Spielberg, son épouse est jouée par Charlotte Rampling qui retrouve Ozon après "Sous le Sable" (2000) et "Swimming Pool" (2003) puis plus tard pour "Jeune et Jolie" (2013). Citons encore Simon Woods vu dans "Orgueil et Préjugés" (2005) de Joe Wright et "Penelope" (2008) de Mark Palansky. On peut remarquer que Fassbender va devenir une des plus grandes stars mondiales dans les années suivantes, les deux actrices Romola Garai et Lucy Russell ne retrouveront plus de rôles majeurs, pour la première on peut citer les films "Un Jour" (2011) de Lone Scherfig et "Les Suffragettes" (2015) de Sarah Gavron, puis pour la seconde citons "Toni Erdmann" (2016) de Maren Ade et "Rebecca" (2020) de Ben Wheatley... Vu l'histoire on pense forcément à de nombreux films, d'abord de par l'époque, la Belle Epoque qui renvoit aussi à tout le genre du drame romanesque, une période faste pour les luttes sociales, les prémices du féminisme, l'émergence d'une élite féminine, avec un contexte historique riche entre l'explosion de la mondialisation et de la Révolution industrielle. On constate un vrai soin apporté aux costumes et aux décors, et on constate par là même que la décoratrice Katia Wyszkop et la costumière Pascaline Chavanne (qui a travaillé sur quasi tous les films de Ozon) citent plusieurs films comme références qui correspondent parfaitement à ceux auxquels on pourrat penser : "Autant en Emporte le Vent" (1939) de Victor Fleming, "La Splendeur des Amberson" (1942) de Orson Welles, "Le Château du dragon" (1946) de J.L. Mankiewicz, "Les Quatre Filles du Docteur March" (1949) de Mervyn LeRoy, "Gigi" (1958) de Vincente Minnelli, puis "Le Temps de l'Innocence" (1993) de Martin Scorcese.

Cette co-production franco-belgo-britannique a été tourné dans les quartiers pauvres de Belgique, mais l'essentiel a été tourné en Angleterre, surtout dans le remarqué et remarquable château de Tyntesfield. Ce dernier, sublime monument, est aussi un merveilleux troisième personnage principal. Outre les décors, les costumes dont on perçoit tous le côté arriviste, nouveau riche de Angel, dans le luxe et le faste, ce qui marque aussi c'est la personnalité de Angel, imbue de sa personne, d'un égoïsme exacerbé, sans réelle empathie, ce qui nous pousse à penser à une certaine Scarlett O'Hara, à la différence près qu'on s'attache à la princesse du Sud américain alors qu'on a bien du mal à trouver une once de bonté ou de courage chez Angel qui ferait évoluer nos sentiments envers elle. Ozon précise : "Mon Angel est certainement plus manipulatrice que celle d'Elizabeth Taylor. Mais elle l'est de manière joyeuse et amusante, pas du tout perverse." Sur ce côté "amusante" on cherche encore, "non perverse" assurément puisqu'Angel ne se rend pas compte de son égoïsme. Cette héroïne de roman plus vraie que nature est finalement bien pathétique dans son goût immodéré du succès jusqu'à ne voir personne d'autre qu'elle, à l'exception notable de son Esmé. Esmé, tout aussi arriviste, à l'ambition qui s'arrête presque à trouver une femme fortunée, n'est pas plus vertueux que Angel mais il arrive un peu à nous toucher tant il semble finalement sous l'emprise d'une mante religieuse. A l'instar d'un Rhett Butler et d'une Scarlett O'Hara, le couple s'auto-détruit par leur narcissisme sur fond de grandeur et décadence. Mais Ozon aurait dû sans doute y mettre une dose de bienveillance, aussi minime soit-elle car il faut bien avouer que sans un minimum de vertu et/ou d'empathie difficile d'être touché par cette femme aveuglée par sa réussite sociale et artistique. Si le social prend le pas sur l'art, il n'en demeure pas moins qu'en filigrane Ozon pose la question du rapport à l'Art, toujours en opposant le couple. En effet, Angel se rêvait romancière et semble réussir sans trop se fatiguer, comme un don que son succès vient confirmer alors que Esmé qui se rêverait lui peintre, ne séduit personne, pas même Angel qui force même son amour en devenant mécène de son homme, artiste maudit. Précisons pour l'anecdote, que les tableaux de Esmé sont en fait peint par Gilbert Pignol, qui avait signé les toiles de "Van Gogh" (1991) de Maurice Pialat. Audacieux sur le fond Ozon signe un film d'une intelligence remarquable et prenant qui ne pêche que par un léger manque d'attachement pour cette héroïne trop égocentrée pour qu'on soit franchement touché par sa déchéance. En conclusion, François Ozon signe un drame romanesque plastiquement magnifique, assez fascinant grâce à des personnages infects car humains (ou est-ce l'inverse ?!), loin des canons habituels, loin des romances romantiques, avec l'ambition aveugle, le cynisme des égos et l'illusion des amours comme ingrédients.

 

Note :            

 

14/20
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