Un Monde (2022) de Laura Wandel

par Selenie  -  27 Janvier 2022, 16:09  -  #Critiques de films

Premier long métrage de Laura Wandel, cinéaste belge ayant signé quelques courts métrages comme "O Négatif" (2010) ou "Les Corps Etrangers" (2014). Pour ce projet elle a choisi le sujet épineux du harcèlement scolaire : "C'est le moment des premières découvertes, où la vie et les relations se vivent de manière intense. C'est à ce moment que notre paysage intérieur se dessine et se construit. L'entrée à l'école influence ce paysage qui détermine bien souvent notre vision du monde en tant qu'adulte. En plus d'y apprendre à lire et à écrire, c'est surtout le rapport à l'autre qu'on y explore. J'ai donc choisi l'école, et surtout la cour de récréation, car c'est une micro-société. Dans l'école, il y a un véritable enjeu d'intégration. (...) En Belgique, la plupart des cours d'école sont occupées par des terrains de foot, ce qui laisse très peu d'espace pour ceux et celles qui n'y jouent pas. Dans une cour de récréation, chacun essaye de prendre sa place, mais ne dispose pas des mêmes forces pour le faire." Laura Wandel est réalisatrice-scénariste en solo de son film. Le film a été présenté à la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2021 où il a été particulièrement bien reçu avec une standing ovation de plusieurs minutes...  

Nora entre en école primaire, si tout va bien pour elle très vite elle s'aperçoit que son frère aîné Abel est victime de harcèlement mais entre sa promesse à son frère de se taire et celui d'être acceptée au sein de la cour de récré Nora se perd et cherche comment aider son frère sans perdre sa loyauté envers lui malgré que leurs parents commencent à se poser de questions... Les deux enfants sont incarnés par la jeune Maya Vanderbeque dans son premier rôle, puis le jeune Günter Duret aperçu dans "Filles de Joie" (2020) de Frédéric Fonteyne et Anne Paulicevich. Leurs parents sont interprétés par le français Karim Leklou vu récemment dans "BAC Nord" (2021) de Cédric Jimenez et "La Troisième Guerre" (2021) de Giovanni Aloi, puis Laura Verlinden vue notamment dans "Happy End" (2017) de Michael Haneke, et qui retrouve après "Le Tout Nouveau Testament" (2015) de Jaco van Dormael sa partenaire Anne-Pascale Clairembourg. Citons une jeune élève jouée par Lena Girard Voss qui a été fille de Romain Duris dans "Nos Batailles" (2018) de Guillaume Senez, puis Laurent Capelluto vu dernièrement dans "La Lutte des Classes" (2019) de Michel Leclerc, "La Vérité" (2019) de Hirokazu Kore-Eda et "Garçon Chiffon" (2020) de Nicolas Maury, puis enfin Sandrine Blancke aperçue entre autre dans "Survivre avec les Loups" (2007) de Véra Belmont et "Yves Saint Laurent" (2013) de Jalil Lespert... Le film a été tourné au sein d'une vraie école mais lors de vacances scolaires, en 25 jours : "Ce film est une fiction. Tout a été mis en place, travaillé en amont, rien n'a été laissé au hasard." C'est d'ailleurs ce qui impressionne car l'immersion est totale et on constate que tout est fait pour qu'on soit à hauteur de vue de la jeune Nora/Vanderbeque. Précisons que le thème du harcèlement sexuel est très peu traité au cinéma, le système scolaire oui, souvent, la harcèlement en toile de fond ou en filigrane oui mais en tant que sujet principal et comme noeud central d'une intrigue c'est très rare. Citons surtout le sublime "Despuès de Lucia" (2012) de Michel Franco, la très réussi "Respire" (2014) de Mélanie Laurent ou plus récemment "1:54" (2017) de Yann England mais cela reste essentiellement des harcèlements chez les ados, pas chez les enfants. Mais pour ce premier film Laura Wandel a fait un choix radical aussi judicieux qu'audacieux, à savoir filmer en direct la petite héroïne, quasi toujours en gros plan et surtout à hauteur d'enfant. En tant que spectateur on se retrouve donc à environ 1m20, une hauteur de vue qui facilité l'immersion dans le "monde" des enfants.

Résultat, jamais on aura été aussi efficacement plonger dans la cour d'école, avec une même hauteur de vue que nos têtes blondes. Impressionnant. On est happé par le visage empreint de détresse de la petite Nora/Vanderbeque qui se retrouve comme son frère Abel à évoluer entre les positions de témoin, victime et/ou agresseur. Par contre on constate d'autres détails plus gênants, dès le début d'ailleurs où Nora pleure comme un enfant pour sa première rentrée scolaire en maternelle, ce qui ne peut pas être le cas de Nora alors pourquoi pleure-t-elle ?! Idem, elle n'est plus en bas âge, pourquoi ne sait-elle pas faire ses lacets ?! Ceci expliquant peut-être qu'il ne semble pas y avoir de maman ?! Le plus ambigu est le parti pris sur le propos de fond, où la cinéaste tant a suggéré que tous les enfants sont plus ou moins vicieux ou méchants, voir harceleurs. Transformé la cour d'école comme un mini-enfer est un peu simpliste et réducteur, voir trop démonstratif au lieu de rester focalisé sur Nora et Abel. Le pire reste les invraisemblances, par exemple comment croire à une surveillante qui à 30 mètres d'une agression n'entend pas les cris et qui ne voit rien ?! Néanmoins, sur d'autres côtés il est intéressant et pertinent de voir comment une victime peut devenir à son tour bourreau, et/ou comment un harcèlement scolaire peut avoir des conséquences plus ou moins directes sur d'autres camarades. Laura Wandel signe pourtant un film dure dans sa violence, déchirant dans sa détresse, un film nécessaire et ludique magnifiquement interprété, les deux enfants évidemment, mais on notera aussi une professeur à la fois attendrie et désarmée, et surtout un papa touchant et tout aussi paumé. Un film dont l'immersion est saisissante, à montrer dans les écoles !

 

Note :            

 

15/20
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