Buffet Froid (1979) de Bertrand Blier
5ème film du réalisateur-scénariste Bertrand Blier depuis "Si j'Etais un Espion" (1967), un projet qui réunit trois idées, la première est un rêve récurrent qu'il faisait où il était poursuivi par des policiers, puis l'envie de travailler avec Gérard Depardieu, et enfin le meurtre gratuit. Dans son autobiographie le cinéaste précise : "L'idée de départ était le meurtre gratuit : "j'ai un couteau dans la main; je vous le plante dans le ventre ; quel effet cela vous fait ?" L'idée s'était étoffée à partir du choix de Depardieu. A l'époque, je faisais un rêve récurrent : j'étais poursuivi par lapolice et on m'arrêtait - ça m'est passé un peu depuis que je prends des somnifères. Depardieu a fait sien ce fantasme. Parmi tous les acteurs que je connais, Gérard est le seul à qui on peut faire jouer un tel rôle. C'est un "homme-couteau" par excellence. D'ailleurs, dans la vie, il a toujours un couteau dans sa poche ou à la main. Il taille des branches ou toute autre chose. Donc Depardieu (personnage-acteur) s'est approprié mon idée de meurtre gratuit et moi j'ai brodé là-dessus. Qui dit meurtre dit cadavres, qui dit cadavres dit flics, qui dit flics, etc..." Ainsi voit "Buffet Froid" voit le jour, réalisé et écrit par le fils Blier... Alphonse Tram, chômeur, rencontre un inconnu dans les couloirs d'un métro désert. Ils se quittent, puis Tram le retrouve avec son propre couteau dans le ventre. Sans comprendre il quitte pourtant les lieux. De retour dans son immeuble, il fait alors successivement connaissance avec un commissaire de police, de l'assassin de sa femme, puis ils se retrouvent entraîné les uns et les autres, les uns pas les autres ou l'inverse, dans une série de meurtres surréalistes dans une ville qui semble aussi déserte que le métro...
Bertrand Blier réunit un casting aux petits oignons, composés de fidèles et surtout d'acteurs qui se connaissent particulièrement bien. Le réalisateur retrouve avant tout son père, le géant Bernard Blier qui a déjà tourné sou sla direction de son fils dans "Si j'Etais un Espion" (1967) et "Calmos" (1976), ce dernier retrouve Michel Serrault avec lequel il tournera en tout pas moins de 12 films depuis "La Chasse à l'Homme" (1964) de Edouard Molinaro, idem pour Jean Carmet, 12 films avec Serrault et 9 films avec Gérard Depardieu qui lui-même tournera pas moins de 9 films avec le réalisateur de "Les Valseuses" (1974) à "Convoi Exceptionnel" (2018). Carmet sera aussi dans "Merci la Vie" (1991), Serrault dans "Préparez vos Mouchoirs" (1978) et "Les Acteurs" (2000) tous avec Depardieu également. Le trio Carmet-Depardieu-Serrault jouait ensemble entre autre dans les films "Le Viager" (1972) et "Les Gaspards" (1974) tous deux de Pierre Tchernia. A leurs côtés citons les dames, Geneviève Page vue dans "Fanfan la Tulipe" (1951) de Christian-Jaque, "Michel Strogoff" (1956) de Carmine Gallone ou "Belle de Jour" (1966) de Luis Bunuel, Carole Bouquet qui venait de jouer dans son premier film avec "Cet Obscur Objet du Désir" (1977) de Luis Bunuel et qui retrouvera Bertrand Blier et/ou Depardieu dans "Trop Belle pour Toi" (1989) et "Un Pont entre Deux Rives" (1999) de Frédéric Auburtin, Liliane Rovère qui retrouve Blier aussi après "Calmos" et "Préparez vos Mouchoirs", et qui a retrouvé aussi Depardieu tout récemment dans "Maison de Retraite" (2022) de Thomas Gilou. Et enfin citons Jean Rougerie qui retrouve ou retrouvera Blier et/Depardieu dans "Préparez vos Mouchoirs", "Le Choix des Armes" (1981) de Alain Corneau et "Merci la Vie" (1990), puis Jean Benguigui qui tournera dans 6 films avec Depardieu dont "Les Fugitifs" (1986) de Francis Veber et "Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre" (2002) de Alain Chabat... Le réalisateur reprend la forme du trio, figure récurrente de son cinéma comme dans "Les Valseuses", "Préparez vos Mouchoirs" ou "Tenue de Soirée".
Et quel trio, outre un petit rôle marquant pour Serrault, le film est porté par le trio Depardieu-Blier-Carmet dans un polar de l'absurde, un thriller surréaliste qui ose le meurtre gratuit de A à Z, c'est-à-dire que ce soit sur le fond ou la forme rien n'explique réellement les passages à l'acte. Blier fils signe un polar OFNI (Objet Filmé Non Identifié) nihiliste et délirant qui confère au film une liberté anarchiste inédit et unique. C'est bien là sa force, une sorte de thriller aussi jouissif qu'inattendu, à la fois complètement con et d'une écriture redoutable. Car derrière ce semblant de délire gratuit il y a aussi une réflexion sur la peur et la solitude, symbolisé aussi par cet atmosphère déshumanisé et froid. Il y a donc une certaine tristesse omniprésente juste compensée par un humour noir, très noir, servi par des dialogues épatants, ciselés et inspirés. Mais cette singularité est aussi un risque, celui de surprendre, de déstabiliser, de déboussoler, de par cette immersion digne d'un cauchemar, où la drôlerie reste si sombre qu'il faut accepter de prendre le tout avec le bon degré. En tous cas ce film ne peut laisser insensible. Le film est un échec assez important à sa sortie en salle (à peine 7800000 entrées France), des spectateurs ont même demander un remboursement ! Néanmoins, le réalisateur affirme que c'est son film le plus abouti, et les années établiront son statut de film culte tout à fait mérité. A voir.
Note :