Les Oiseaux de Passage (2019) de Ciro Guerra et Cristina Gallego
L'idée de ce film est née lors du tournage du film "Les Voyages du Vent" (2009) qui se déroulait au nord de la Colombie, à savoir les prémices de ce qui allait devenir une mafia autour du trafique de stupéfiants soit la naissance des Cartels. Ce projet est un film à part pour le réalisateur Ciro Guerra, puisque pour la première fois il co-réalise le film avec Cristina Gallego, première fois à la réalisation puisqu'elle est avant tout la productrice de Ciro Guerra depuis son premier film "L'Ombre de Bogota" (2004) et qui reprendra son poste à la production pour le récent "Waiting for the Barbarians" (2019). L'idée du film et l'intérêt pour cette histoire est donc avant tout poussé par la productrice-réalisatrice-scénariste, avec Ciro Guerra ils ont passé du temps avec la population locale : "Cette histoire avait un potentiel pour dépasser l'anecdote et atteindre quelque chose de plus profond (...) C'est une métaphore de notre pays, une tragédie familiale qui devient aussi une tragédie nationale. En parlant du passé, elle nous permet de mieux comprendre où nous en sommes aujourd'hui en tant que pays..." Les deux cinéastes ont co-écrit leur histoire, rejoint par Maria Camila Arias scénariste du film "Candelaria" (2017) de Johnny Hendrix Hinestroza, et le français Jacques Toulemonde Vidal qui retrouve le duo Guerra-Gallego après "L'Etreinte du Serpent" (2015)...
Dans les années 70, en Colombie une famille d'indigènes se retrouve au coeur du trafique de maijuana en partance pour les Etats-Unis. Mais bientôt la famille est en proie à une guerre des clans, une guerre fratricide pour le contrôle du marché qui va mettre en péril leur culture et leurs traditions... Au casting on retrouve des acteurs colombiens, la plupart inconnus hors de leurs frontières comme Greider Meza, Juan Bautista ou John Narvaez. En tête d'affiche citons tout de même Natalia Reyes vue plus tard dans "Running with the Devil" (2019) de Jason Cabell et surtout "Terminator : Dark Fate" (2019) de Tim Miller. Elle est entourée de Victor Montero vu dans "Neruda" (2017) de Pablo Larrain et "Les Evadés de Santiago" (2020) de David Albala, Carmina Martinez vue dans "Habitos Sucios" (2003) de Carlos Palau et "La Captura" (2012) de Dago Garcia et Juan Carlos Vasquez... Cristina Gallego a précisé que c'est "un film noir, un film de gangster. Mais il peut aussi être ç la fois un western, une tragédie grecque et un conte de Gabriel Garcia Marquez. Il existe un personnage, le palabrero, avec un rôle similaire de celui du consigliere dans la mafia. C'est un genre qui plaît beaucoup autour du monde, mais que notre cinéma s'est souvent interdit. En Colombie, on a du mal à s'en emparer à cause de notre histoire récente." La tribu concernée est les Wayuu (Pour en savoir plus c'est ICI). Précisons qu'une grande partie du casting est composé de Wayuu non professionels. Le film débute par une cérémonie où une jeune femme devient adulte et devient donc prête pour voir défiler les prétendants. Une passage à l'âge adulte très courant dans de nombreuses civilisations, un moment important qui place la tradition au centre du film. Le film est chapitré à la façon d'un chant funèbre, à chaque chapitre une année charnière dans le destin de cette famille Wayuu qui va se perdre en commençant des affaires avec les gringos (les blancs), qui eux-mêmes apportent le capitalisme (avec une petite ironie au début !) qui amène au luxe, à l'appât du gain et parallèlement les traditions s'érodent d'autant.
1968, la jeune femme devient épouse d'un Wayuu sans doute déjà trop occidentalisé, et malgré les présages le trafique de stupéfiants devient un poison insidieux incontournable. Le film est un saga familiale dont le destin est d'une logique implacable, dans une région aride et loin des cités urbaines, apogée et déclin dans une sorte d'anti-thèse à la trilogie "Le Parrain" (1972-1991) de Francis Ford Coppola. La mise en scène est clinique, classieuse, qui sait se poser pour les séquences us et coutumes, à chaque passage tradition il y a un vis à vis funeste soit en rapport avec les gringos soit avec la guerilla. La force du film repose donc sur cette constante entre tradition et trafique, cet antagonisme latent ou malgré la critique envers les gringos les Wayuu se perdent dans un capitalisme malsain qui va d'autant éroder le poids des traditions. La tragédie est connue pourtant d'entrée, la matriarche prévient, annonce les risques mais d'autres paramètres viennent se briser au mysticisme divinatoire. Les décors sont symptomatiques, les Wayuu vivent dans des huttes ou des maisons de fortune, dans une région plutôt sèche et aride, puis petit à petit habitent dans des maisons luxueuses isolées en plein désert ; le choc visuel fait mouche. Le vrai et seul bémol reste l'acting, ou plutôt certains personnages qui auraient mérité un jeu plus subtil et moins monolithique. On pense surtout au premier rôle, Rapayet/ Acosta qui se résume à un visage dur et impassible sans aucune nuance que ce soit quand il tue ou quand il devient père. Les femmes, mère et fille jouées respectivement par Carmina Martinez et Natalia Reyes, sont l'atout émotion et si elle restent finalement peu entendues elles sont les plus lucides. Le duo Guerra-Galledo signe un drame qui mélange les genres avec habileté, jouant des différents codes pour un film classique dans le sens noble du terme qui s'avère d'une modernité pleine d'acuité et de pertinence. A voir et à conseiller.
Note :