Jambon, Jambon (1992) de Bigas Luna
9ème film du réalisateur Bigas Luna depuis "Tatuaje" (1978) et après "Les Vies de Loulou" (1990). Pour ce projet le réalisateur-scénariste co-signe le scénario avec Cuca Canals, qu'il retrouvera ensuite sur plusieurs autres films dont "La Lune et le Téton" (1994) ou "La Femme de Chambre du Titanic" (1997). Pour cette histoire les deux auteurs ont imaginé une allégorie gourmande de leur pays l'Espagne, sur une certaine idée de la virilité latine, mais surtout le rapport des espagnols avec leur gastronomie... Le "jamon" est l'emblème de l'Espagne, et quand une femme est sensuelle et appétissante on dit alors qu'elle est "jamona". Silvia est justement une "jamona" mais elle attend un enfant de Jose Luis ce qui est compliqué car la mère de Jose Luis déteste Carmen, la mère de Silvia. Conchita décide de payer Raul, magasinier dans une usine de jambons pour qu'il séduise Silvia...
La "Jamona" est incarnée par une inconnue mais future star, Penelope Cruz alors tout juste 17 ans, qui joue là son premier rôle au cinéma et quel rôle ! Elle a pour partenaire un certain Javier Bardem, qu'elle retrouvera encore 8 fois jusqu'à "Everybody Knows" (2017) de Asghar Farhadi en passant par "En Chair et en Os" (1997) de Pedro Almodovar ou "Vicky Cristina Barcelona" (2008) de Woody Allen, l'acteur retrouve également Bigas Luna qui a aussi révélé Bardem avec "Les Vies de Loulou" (1990) qui sera suivi aussi de "Macho" (1993) et "La Lune et le Téton" (1994), le réalisateur a donc révélé au monde le duo Cruz-Bardem qui seront couple à la ville à partir de 2007. Le futur père Jose Luis est joué par Jordi Molla qui retrouvera ensuite sa partenaire Penelope Cruz dans "Volavérunt" (1999) de Bigas Luna et dans "Blow" (2001) de Jonathan Demme, puis on le verra entre autre dans "G.A.L." (2006) de Miguel Courtois, "Au Coeur de l'Océan" (2015) de Ron Howard et "L'Homme qui tua Don Quichotte" (2018) de Terry Gilliam. Les deux mamans sont interprétées, comme par ironie, par deux mamas italiennes, Anna Galiena vue entre autre dans "Le Mari de la Coiffeuse" (1990) de Patrice Leconte, "Trois Vies et une Seule Mort" (1996) de Raoul Ruiz et "Folles de Joie" (2016) de Paolo Virzi, puis surtout la star Stefania Sandrelli qui a connu son Âge d'Or de "Divorce à l'Italienne" (1961) de Pietro Germi à "1900" (1976) de Bernardo Bertolucci qu'il retrouvera après quelques années plus discrètes dans "Beauté Volée" (1996), et récemment vue notamment dans "Juste un Baiser" (2001) et "Une Famille Italienne" (2018) tous deux de Gabriele Muccino. Et enfin citons l'acteur Juan Diego vu dans "Cabeza de Vaca" (1991) de Nicolas Echevarria, "Le Septième Jour" (2004) de Carlos Saura ou encore "Insensibles" (2012) de Juan Carlos Medina... Le film débute avec une scène très caricatural du machisme latin, à savoir un homme que la nature a bien pourvu qui met en scène une tauromachie comme un jeu d'enfant. En quelques instants le réalisateur pose les bases d'une satire sur le machisme, l'immaturité des hommes dont l'intelligence se focalise sur une seule partie du corps, et ne filigrane l'omniprésence de la viande avec toutes les symboliques qui vont avec.
Ensuite on ne peut que remarquer le parallèle métaphorique entre le sexe et la gastronomie, et donc par ricochet le film renvoie aux désirs primitifs comme le rappelait Beaumarchais : "Boire sans soif, faire l'amour de tout temps, Madame, il n'y a a que ça qui nous distingue des autres bêtes." ("Le Mariage de Figaro" 1784). Plusieurs scènes rappellent donc le lien entre sexe et nourriture, des seins qu'on aime manger au titre qui renvoie à une comptine ("monja, monja, monja" qui signifie "nonne, nonne, nonne"...) et à la nourriture forcément. Mais le réalisateur impose aussi une guerre où les protagonistes ne sont qu'une transposition à peine feinte de la sainte trinité (!), la maman, la putain et le macho ! Ainsi Bigas Luna par une histoire assez simple impose un portrait peu flatteur de la société ibérique avec ses vices mêlant foi, gastronomie, sexe dans une "sainte trinité primitive". Mais à y regarder de plus près, sous couvert de séquences plus ou moins érotiques le film reste tout de même peu audacieux et bien sage reposant essentiellement sur les seins sublimes et appétissants de Penelope. Au-delà de ça le sexe reste bien sage, le parallèle nourriture-sexe se résume à du jambon, et les relations multiples et divers façonnent une sorte de patchwork orgiaque qui n'ira jamais bien loin, sans compter que tout se fait dans une sorte de vase clos entre deux familles. Il manque un côté sulfureux plus assumé, et un contexte moins primaire (primitif ?!) et simpliste. Néanmoins, le propos est intéressant, bien porté par des acteurs magnifiques et une sensualité qui ne laisse évidemment pas insensibles. Un film logiquement culte bien que un chouïa surestimé.
Note :