Une Vie (2016) de Stéphane Brizé
Stéphane Brizé, réalisateur particulièrement apprécié ici (dossier bio là et son cinéma ici) revient avec son premier film d'époque en adaptant le premier roman de Guy De Maupassant "Une Vie" (1883). Depuis "Le Bleu des Villes" (1998) le réalisateur-scénariste en a fait du chemin et semble tourner de plus en plus, reconnaissance et succès aidants. Donc après "La Loi du Marché" (2015), Stéphane Brizé revient avec un film dont le contexte semble très différent mais qu'il rapproche pourtant de son dernier film. En effet, il voit les deux héros comme des gens qui ont une haute idée de la vie qu'il explique ainsi : "Thierry l'exprime en refusant une situation insupportable, Jeanne l'exprime dans sa confiance extrême en l'Homme". Sans doute mais on restera moins catégorique pour Jeanne. Car dans le cas de "Une Vie", le personnage de Jeanne est avant tout une femme soumise et renfermée, prisonnière d'abord d'une cage dorée mais aux barreaux patriarcaux et ecclésiastiques puis dans un quotidien désargenté dans lequel elle s'est laissée prendre.
Dans "La Loi du Marché", Thierry est d'abord un combattant, dans la limite de ses moyens mais un combattant tout de même. Là dessus le rapport entre les deux que le cinéaste explique ne parait pas des plus probants. Jusqu'ici le réalisateur s'était particulièrement intéressé au monde ouvrier, aux petites gens dans des films contemporains alors que cette fois l'héroïne est une noble du début 19ème ce qui confère, mine de rien, un virage important. L'héroïne est interprétée par une quasi inconnue, Judith Chemla, comédienne de la Comédie Française qu'on a pu apercevoir dans des films comme "La Princesse de Montpensier" (2010) de Bertrand Tavernier ou "Camille redouble" (2011) de Noémie Lvovsky dont elle retrouve d'ailleurs Yolande Moreau qui joue ici sa mère aux côté de Jean-Pierre Darroussin. À leurs côtés nous retrouvons Swann Arnaud et Finnegan Oldfield qui ont joué ensemble dans "Ni le ciel ni la Terre" (2016) de Clément Cogitore. Nous avons le plaisir de revoir la trop rare Clotilde Hesme qui était dans "Le fils de l'épicier" (2007) de Eric Guirado, film scénarisé par Florence Vignon qui signe là son 4ème film avec Stéphane Brizé. Le duo Vignon-Brizé se retrouve donc avec un joli challenge et signe un scénario intelligent qui donne la part belle à son personnage principal mais aussi aux sons environnants. D'abord il y a peu de dialogues et s'ils paraissent parfois peu utiles c'est pour mieux montrer la vie austère et de solitude de Jeanne. Si on tend un peu l'oreille on entend particulièrement les bruits environnants, du crépitement du feu au vent dans les arbres, des sons qui insistent sur ce qui entoure Jeanne toujours de plus en plus isolée.
Pour bien insister sur ce point le réalisateur a choisi de tourner en format (presque) carré 1.33, système qui a particulièrement été remarqué avec le sublime film "Mommy" (2014) de Xavier Dolan pour matérialiser ce sentiment d'abandon et d'enfermement. Dans le même temps Brizé reste fidèle à la caméra à l'épaule, sans doute pour éviter de rester trop figé dans un récit qui reste très contemplatif. Il filme Judith Chemla très souvent de 3/4 dos (que de plans sublimes !) ajoutant ainsi à sa détresse, à sa façon de vivre sans réels plaisirs. Plaisirs : quelle bonne idée que ces flash-backs d'instants fugaces de bonheur passés auxquels Jeanne s'attache dans des moments présents et douloureux ! Par contre si on apprécie le sens de l'image (magnifique photographie) et un montage savoureux, une actrice principale tragiquement ravissante on aurait aimé sans doute plus de passion, d'émotion notamment avec les parents. Ensuite la dernière partie est sans doute un peu longue (tourne en rond car trop répétitif). Stéphane Brizé ose autre chose avec audace et ambition. Le virage est prometteur, il signe là une tragédie sociale et romanesque d'une grande beauté avec une actrice (Judith Chemla) qu'on risque de revoir.
Note :