Profession du Père (2021) de Jean-Pierre Améris

par Selenie  -  30 Juillet 2021, 08:47  -  #Critiques de films

Après son film "Je Vais Mieux" (2018), le réalisateur-scénariste Jean-Pierre Améris revient avec un nouveau film sur une autre évocation autour du mal être et/ou de la solitude, voir d'une certaine marginalité. Cette fois il adapte le roman éponyme (2015) de Sorj Chalandon, un choix que le cinéaste explique : "J'aime chez lui ce thème récurrent de la mystification, que l'on retrouve par exemple dans Mon Traître : des personnages qui se font avoir par un autre qui leur raconte des fictions auxquelles ils croient dur comme fer, et cette douleur qui est celle de découvrir que l'on a été berné, que tout était faux. Lorsque j'ai lu Profession du Père, j'ai trouvé que c'était une clé de son oeuvre puisqu'on y découvrait l'enfance de l'auteur. On y comprenait que le personnage originel, c'était le père. Un grand mythomane, le premier à raconter des histoires." Précisons que ce livre a aussi une forte dose autobiographique pour son auteur. Améris signe le scénario avec Muriel Magellan qui a déjà collaboré plusieurs fois avec son réalisateur sur les téléfilms "La Joie de Vivre" (2012) et "Illettré" (2016), mais qui a aussi écrit les films "Sous les Jupes des Filles" (2014) et "Si j'étais un Homme" (2017) tous deux de et avec Audrey Dana avant de passer elle-même derrière la caméra avec son premier long en tant que réalisatrice avec "Moi, Grosse" (2019)...

Dans les années 60, Emile 12 ans a comme héros son père et ce malgré la sévérité de ce dernier. Son père est un exemple car il a tout fait comme footballeur, parachutiste, pasteur, prof de judo, espion... etc... Et dans ces années 60 plein de changements Emile va devenir un espion en herbe pour son père qui va lui confier des missions pour tenter de sauver l'Algérie française... Le père est incarné par Benoît Peolvoorde qui retrouve son réalisateur après "Les Emotifs Anonymes" (2010) et "Une Famille à Louer" (2015) tandis qu'il est également en salles en ce moment avec le nanard "Mystère à Saint-Tropez" (2021) de Nicolas Benamou. La maman est interprétée par Audrey Dana qui retrouve justement sa scénariste, entre temps on l'aura vu dans "Convoi Exceptionnel" (2019) de Bertrand Blier et "La Vérité si je Mens ! Les Débuts" (2019) de Michel Munz et Gérard Bitton. Puis enfin l'enfant Emile est joué par Jules Lefebvre remarqué dans le film "Duelles" (2019) de Olivier Masset-Depasse, mais Emile adulte est joué par Nicolas Bridet aperçu dans les excellents films "Pupille" (2018) de Jeanne Herry et "Grâce à Dieu" (2019) de François Ozon... D'emblée on sent comme un malaise, un père qui entre à la maison et une mère qui angoisse aussitôt et un garçon qui semble toujours hésiter quant à sa position au sein du foyer. Un père qui n'est pourtant pas un violent dans le sens premier et actuel du terme, mais un homme qui a des soucis psychologiques évidents. Pas violent avec toute les nuances nécessaires, n'oublions pas qu'on est en 1961-1963 et que le père se situe dans la norme de l'époque. Ensuite si la mythomanie de l'homme est un critère évident on est pourtant plus convaincu par sa paranoïa, constitutive de se idées politiques et d'un passé traumatique.

Ce père sans travail, isolé dans la vie comme dans sa tête se repose alors sur son fils, seul capable de le suivre dans ses délires, seul être qui puisse l'admirer et l'écouter même si c'est parfois à l'insu de son plein gré. Comme à son habitude Améris opte pour un style qui flirte avec la comédie, un ton faussement léger, une fantaisie acidulé pourrait faire croire à du bonheur mais il s'agit bien d'un drame, familial et psycho-social qui va même ouvrir sur une porte derrière laquelle il pourrait faire froid dans le dos. Le réalisateur signe sur ce point une atmosphère fluctuante toute en nuance singulière et judicieuse car on reste du point de vue de l'enfant. L'effet miroir passant du père au fils est aussi intéressant, où comment un enfant peut mimétiser son père alors qu'au fond il n'est sans doute pas dupe du délire paranoïaque. Outre la logique évolutive des syndrômes psychologiques, du style et du climax la force du film est aussi le jeu des acteurs et de la direction d'acteur avec un équilibre parfait entre les interprètes et leur personnage respectif. Le jeune Jules Lefebvre joue bien sans pour autant impressionner, sans doute aussi pas aider par un personnage d'enfant qui semble assez naïf pour ses 11 ans, surtout quand un autre s'avère tout aussi peu malin (ou du moins l'excuse de la fille est franchement tiré par les cheveux). Poelvoorde est parfait, impressionnant quand il est violent et dangereux, touchant quand il est en mode complice père-fils. Audrey Dana est sans doute l'atout coeur en maman soumise, peureuse aussi mais tellement aimante. Son personnage prend toute sa place dans une scène finale qui tire la larme l'oeil. On pourrait chipoter sur le fait que le réalisateur a atténué la violence du père (on ne peut pas dire que l'enfant est battu dans le contexte du film), mais la plupart du temps ce qui gêne (naïveté des enfants aussi) est souvent compenser par une justification psychologique crédible et cohérente. Notons aussi quelques séquences marquantes émotionnellement, comme la ceinture, le rendez-vous ultime chez le directeur où le "comble de la carpe". Améris signe donc un drame familial terrifiant et émouvant, déchirant même à la fin. Un très beau film à conseiller. 

 

Note :            

 

14/20
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