Miss Oyu (1951) de Kenji Mizoguchi

par Selenie  -  28 Décembre 2021, 10:18  -  #Critiques de films

Kenji Mizoguchi est un des réalisateurs japonais aux côtés de Akira Kurosawa et Yasujiro Ozu, mais la vraie reconnaissance mondiale va venir avec la dernière partie de sa vie et de sa carrière qui va venir juste après avec "La Vie d'O'haru Femme Galante" (1952). Juste avant donc, il réalise "Miss Oyu" en collaboration avec Masaichi Nagata son producteur habituel depuis "La Cigogne en papier" (1935), puis surtout avec Yoshikata Yoda son scénariste privilégié depuis "Les Soeurs de Gion" (1936), qui est peut-être son premier grand film. Le film est une adaptation du roman "Le Coupeur de Roseaux" (1932) de Jun'Ichiro Tanizaki, considéré comme l'un des plus grands écrivains japonais de son époue en témoigne le surnom qui lui était attribué de son vivant "Tanizaki le Grand"...  Shinnosuke attend la visite de Oshizu, une prétendante. Mais cette dernière est accompagnée de sa soeur Oyu, une jeune veuve. Shinnosuke est perturbé car il est tombé sous le charme de Oyu mais cette dernière est sous le joug de sa belle-famille comme le veut la tradition. Dans l'impossibilité d'épouser Oyu, il accepte de se marier à Oshizu afin d'être plus proche de Oyu. Mais Oshizu n'est pas dupe et propose un marché à Shinnosuke sans rien en dire à Oyu. Shinnosuke et Oshizu se marie, et le couple passe beaucoup de temps avec Oyu jusqu'au jour ou un drame délie les langues...

Les deux soeurs sont incarnées par deux stars qui se retrouvent après "L'Anneau de Fiançaille" (1950) de Keisuke Kinoshita, Nobuko Otowa alors débutante et qui tournera surtout pour Kaneto Shindo de "Histoire d'une Epouse Bien-Aimée" (1951) à "Le Testament du Soir" (1995) en passant par "L'Île Nue" (1960), puis Kinuyo Tanaka qui tournera une douzaine de films pour Mizoguchi depuis "La Femme de Naniwa" (1940) jusqu'à "Une Femme dont on Parle" (1954) étant ainsi une actrice majeure de l'Âge d'Or du réalisateur. L'époux amoureux de la soeur est interprété par Yuji Hori vu notamment dans "Gunro" (1948) de Toshio Shimura et qui retrouve sa partenaire Kinuyo Tanaka après "Les Soeurs Munakata" (1950) de Yasujiro Ozu. Au casting citons plusieurs acteurs fétiches de Mizoguchi, avec Reiko Kongo qu'on reverra dans "Les Contes de la Lune Vague après la Pluie" (1953) et "L'Intendant Snasho" (1954), Eijiro Yanagi vu notamment dans "L'Épée Bijomaru" (1945) et "Le Destin de Madame Yuki" (1950), il retrouvera Nobuko Otowa dans "Le parfum de l'Encens" (1964) de Keisuke Kinoshita et retrouvera dans "Le Banquet" (1967) de Heinosuke Gosho son partenaire Eitaro Shindo qui tournera également une douzaine de films sous la direction de Mizoguchi à partir de "Les Soeurs de Gion" (1936) jusqu'à "La Rue de la Honte" (1956). Puis enfin citons Kiyoko Hirai qui retrouvera pour "La Princesse Errante" (1960) sa partenaire Kinuyo Tanaka alors passée derrière la caméra en tant que réalisatrice... Le film est un mélodrame conjugal qu'il faut replacer dans son contexte, celui du Japon encore engoncé dans ses traditions et ses conventions sociétales qui n'ont foncièrement rien à voir avec notre civilisation occidentale.

La première force de ce film, et de la plupart des films nippons des années 30 à 60 est justement de nous immerger dans la société singulière japonaise. Mizoguchi décrit avec précision et subtilité les relations intra-familiales classiques, tout en instillant une réflexion plus moderne sur la force (ou non !) des sentiments au sein de convenances sociales et du poids des us et coutumes encore pregnantes dans cette histoire qui semble se dérouler fin des années 40. Le scénario est chirurgical, chaque scène à sa raison d'être, chaque séquence est nécessaire et jamais superflu pour un récit direct mais toujours avec délicatesse à l'image des gestes et des émotions des protagonistes, symbole d'un Japon qui a encore des difficultés à aller vers plus de liberté et de modernité. Mais cette retenue générale, empreinte de mélancolie, freine aussi toute réaction émotive tant les personnages sont en retrait et les événements vécus avec trop de retenu en témoigne la mort d'un enfant qui ne semble pas si déchirante que ça, où les pleurs si peu convaincants. Le plus frappant reste la photographie, chaque plan est une photo presque anthropologique, chaque plan vaut un cadre où on décèle à la fois la poésie mélancolique et un drame social. Le Noir et Blanc est beau mais on pourrait y voir un manque de constraste, la beauté diaphane étant idéal à la poésie moins au drame. Néanmoins, Mizoguchi signe un mélo emblématique où le sacrifice amoureux est la matérialisation d'un Japon entre deux eaux.

 

Note :            

 

14/20
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